SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 587 F-D
Pourvoi n° B 23-20.977
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société EOS France, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée EOS credirec, a formé le pourvoi n° B 23-20.977 contre l'arrêt rendu le 22 mai 2023 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [L], domicilié [Adresse 1],
2°/ au Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société EOS France, après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présentes Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 22 mai 2023), M. [L], engagé en qualité de télé-gestionnaire le 21 mai 2002 par la société EOS credirec, devenue la société EOS France (la société), occupait en dernier lieu les fonctions de négociateur de créance senior plus.
2. Convoqué le 16 octobre 2017 en entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 octobre suivant, puis licencié pour cause réelle et sérieuse le 17 novembre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en contestation de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de juger que la déclaration d'appel du 14 novembre 2019 du salarié n'a pas privé son appel de son effet dévolutif et de la condamner à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts, d'ordonner le remboursement par l'employeur à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées au salarié dans les limites de quatre mois en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que la déclaration d'appel du salarié définissait expressément l'objet de l'appel dans les termes suivants : "appel total du jugement du conseil de prud'hommes de Nantes, section activités diverses (départage section), rendu le 15 octobre 2019, RG N° F 18100374 qui a jugé que le licenciement de Monsieur [H] [L] du 17 novembre 2017 était justifié A savoir : - Juger que le licenciement de Monsieur [H] [L] du 17 novembre 2017 est sans cause réelle et sérieuse - Condamner la société EOS à verser à Monsieur [H] [L] les sommes suivantes : 31 454,00 euros de dommages-intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat ; 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile", ce dont il résultait que la déclaration d'appel ne critiquait expressément aucun chef de dispositif du jugement ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que la dévolution s'était opérée et infirmer le jugement, que la déclaration d'appel mentionnait que l'appel concernait le chef du jugement qui avait jugé que le licenciement était justifié, la cour d'appel a dénaturé cet acte et violé le principe susvisé ;
2°/ que, au surplus, la déclaration d'appel mentionne que l'appel est "total" ; qu'en énonçant néanmoins que la déclaration d'appel de M. [L] mentionnait que l'appel concernait "le seul chef du jugement qui a jugé que son licenciement était justifié", la cour d'appel a dénaturé cet acte et violé le principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ que, à tout le moins, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, de sorte que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la déclaration d'appel mentionnait l'"appel total" du jugement "qui a jugé que le licenciement de M. [H] [L] du 17 novembre 2017 était justifié" et visait ensuite uniquement les demandes formulées en première instance ; qu'en retenant néanmoins qu'elle était saisie d'un chef de dispositif du jugement ayant retenu que le licenciement était justifié et, partant, du débouté de la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s'y rattachait par un lien d'indivisibilité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, et 901-4° du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2022-245 du 25 février 2022 ;
4°/ que l'appelant qui entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige doit se référer, dans la déclaration d'appel, à cette indivisibilité ; qu'en retenant, après avoir constaté que la déclaration d'appel ne se référait pas à l'indivisibilité du litige, que l'objet de l'appel était indivisible en ce qu'il portait sur la contestation du licenciement et ses conséquences pécuniaires, la cour d'appel a violé les articles 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, et 901-4° du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2022-245 du 25 février 2022. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 562, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués.
5. La cour d'appel a relevé que la déclaration d'appel litigieuse mentionnait que l'appel concernait le seul chef du jugement qui a jugé que le licenciement était justifié, duquel il était résulté que le salarié a été débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
6. De ces constatations, dont il ressortait que le chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse était la conséquence du chef de dispositif expressément critiqué disant que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a exactement déduit que l'effet dévolutif de l'appel s'étendait à l'ensemble de ces chefs de dispositif.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts et d'ordonner le remboursement par ses soins à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées au salarié dans les limites de quatre mois en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 1332-4 du code du travail que ne sont pas prescrits les faits fautifs commis moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires ; qu'en énonçant que les règles de prescription n'autorisaient pas l'employeur à invoquer le fait reproché à Monsieur [L] d'avoir adopté depuis son retour d'arrêt maladie une attitude particulièrement désinvolte, quand il résultait de ses propres constatations que le salarié était revenu d'arrêt maladie le 9 septembre 2017 et que les poursuites disciplinaires avaient été engagées par la convocation à un entretien préalable suivant courrier remis en main propre le 16 octobre suivant, soit dans le délai de deux mois, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail ;
2°/ qu'un fait fautif datant de plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires peut être invoqué à l'appui d'une sanction prise en cas de nouvel agissement fautif du salarié, dès lors que les comportements en cause sont de même nature ; que la cour d'appel a constaté que l'employeur se prévalait, dans le délai de deux mois, du comportement de Monsieur [L] à l'égard de sa supérieure hiérarchique au cours d'une altercation du 16 octobre 2017 où il avait tenu des propos agressifs et de nature à remettre en cause les compétences de cette dernière ; qu'en retenant que l'employeur ne pouvait se prévaloir du fait, antérieur de plus de deux mois, d'avoir "mis en cause sa supérieure hiérarchique, accusée de
harcèlement et de discrimination", quand ces agissements étaient de même nature, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail ;
3°/ que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, la société faisait valoir que la supérieure hiérarchique directe du salarié avait les plus grandes difficultés à le "manager", qui contestait ouvertement ses consignes, et se prévalait d'un courriel de l'intéressée témoignant d'un incident du 21 septembre 2017 au cours duquel le salarié avait qualifié ses directives de "débiles"; qu'en retenant, pour écarter ce grief, que l'employeur "ne développe aucun élément concernant le propos du 21 septembre 2017 qu'il lui attribue", la cour d'appel a dénaturé les conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que la société produisait au soutien de ses écritures un courriel du 13 octobre 2017 adressé par Madame [T] à Madame [J] témoignant des propos tenus le 21 septembre 2017 par Monsieur [L] concernant une demande de changement de planning qui lui avait été refusée, ce à quoi
le salarié avait rétorqué "je trouve ça débile" ; qu'en énonçant que l'employeur "ne développait aucun élément concernant le propos du 21 septembre 2017 qu'il lui attribue, de sorte que ce grief ne peut être retenu à l'égard du salarié", la cour d'appel a dénaturé le courriel du 13 octobre 2017 par omission, en violation du principe susvisé ;
5°/ que le juge doit se prononcer sur des éléments invoqués par l'employeur pour justifier le motif du licenciement ; que la société invoquait, pièces à l'appui, l'agressivité manifestée par Monsieur [L] le 16 novembre 2016 lors d'un échange avec Mesdames [F] et [Y], son arrogance le 5 décembre 2016 lorsqu'il lui avait été demandé, alors qu'il s'emportait au téléphone, de parler moins fort, le ton provocateur adopté par le salarié dans un courrier du 15 novembre 2016, la réaction inappropriée du salarié à la suite d'une remarque de Madame [F] concernant un échange avec un client, l'échange tendu avec Madame [R] en date du 5 décembre 2016 et des manifestations d'agressivité dans la journée du 3 octobre 2016 à l'égard de Madame [T]-[U] ; que pour infirmer le jugement et dire que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, relevant que l'employeur invoquait "des autres faits rapportés de manière globale concernant d'autres encadrants et collaborateurs qui auraient eu à subir de sa part un comportement de même nature, irrespectueux, déplacé et agressif sans qu'ils soient détaillés ou datés dans la lettre de licenciement", s'est bornée à examiner l'attitude de Monsieur [L] à l'égard de Madame [Y] le 6 janvier 2017 et à l'égard de Madame [I] ; qu'en se déterminant ainsi, sans se prononcer sur l'ensemble des éléments avancés par l'employeur pour justifier le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235 1 du code du travail ;
6°/ que la société faisait valoir que l'attitude de Monsieur [L] avait eu des répercussions négatives sur le bien-être et la santé mentale des autres salariés ; qu'en retenant que les échanges des 14 juin 2017 et 6 janvier 2017 avec Madame [J] et Madame [Y] ne présentaient pas de caractère fautif dès lors, pour les premiers, qu'ils témoignaient d'une perte de considération du salarié à l'égard de sa hiérarchie mais ne pouvaient être qualifiés d'altercation et, pour les seconds, que pour étonnant que soit le mode de communication du salarié, son contenu ne pouvait être qualifié d'agressif, sans prendre en compte les répercussions négatives des agissements du salarié sur ses collègues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
7°/ que pour être justifié, le licenciement doit être prononcé pour une cause réelle et sérieuse, ce qu'il appartient au juge d'apprécier en cas de litige en prenant en compte l'ensemble des circonstances qui lui sont soumises ; qu'en retenant que le licenciement constituait une sanction manifestement disproportionnée "au regard de l'ancienneté du salarié, de ses qualités professionnelles reconnues et du mal-être résultant de ses conditions de travail, dont il alertait sa hiérarchie dès 2016", sans prendre en compte les répercussions négatives des agissements du salarié sur le bien-être et la santé mentale des autres salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel, par une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, a d'abord retenu que certains des griefs, visés dans la lettre de licenciement, n'étaient pas établis.
10. Elle a ensuite décidé, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, que les griefs établis ne pouvaient constituer une cause sérieuse de licenciement, compte tenu de l'ancienneté du salarié, de ses qualités professionnelles et du mal être résultant de ses conditions de travail, dont il avait alerté sa hiérarchie dès 2016, étant manifestement disproportionnée, l'employeur disposant d'une échelle de sanctions qui aurait pu lui permettre de sanctionner de manière plus adaptée le salarié.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société EOS France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société EOS France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.