CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, premier président
Arrêt n° 408 F-D
Pourvoi n° Q 23-19.724
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025
La société AIG Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], (Luxembourg), prise en sa succursale néelandaise, sise [Adresse 7] (Pays-Bas), a formé le pourvoi n° Q 23-19.724 contre l'arrêt rendu le 12 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [I], domicilié [Adresse 5] (Pays-Bas), pris en qualité de liquidateur de la société Scheuten Solar Holding BV,
2°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société JSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement société Gauthier-Sohm pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Granger,
4°/ à M. [V] [P], domicilié [Adresse 6] (Pays-Bas), pris en qualité de liquidateur de la société Alrack BV,
5°/ à la société Allianz Benelux NV, dont le siège est [Adresse 4] (Pays-Bas),
défendeurs à la cassation.
Les sociétés MAAF assurances et Allianz Benelux NV ont formé respectivement un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La société MAAF assurances, demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
La société Allianz Benelux NV, demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société AIG Europe, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Allianz Benelux NV, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 avril 2023), en 2010, Mme [F] a confié à la société Granger, assurée auprès de la société MAAF assurances, l'installation, sur la toiture de sa maison d'habitation, de panneaux photovoltaïques constitués de modules fabriqués par la société Scheuten Solar Holding BV (la société Scheuten), mise en liquidation judiciaire le 30 mars 2012 et assurée auprès de la société AIG Europe. Ces panneaux étaient équipés de boîtiers de connexion, fabriqués par la société Alrack BV, mise en liquidation judiciaire le 12 avril 2016, assurée auprès de la société Allianz Benelux NV.
2. En octobre 2012, Mme [F] a constaté un dysfonctionnement de cette installation électrique.
3. Après des expertises amiable et judiciaire, Mme [F] a assigné la société MAAF assurances en réparation de son préjudice. Par un jugement du 28 juin 2009, devenu irrévocable sur ce point, la société MAAF assurances a été condamnée à lui payer les sommes de 11 496 euros au titre des travaux de reprise et 14 324,20 euros au titre de la perte d'exploitation électrique. Elle a sollicité la garantie des assureurs des fabricants.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et le deuxième moyen du pourvoi incident formé par la société Allianz Benelux NV
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La société AIG Europe fait grief à l'arrêt de dire que la société Scheuten est responsable des préjudices au titre des travaux de reprise et de la perte d'exploitation électrique subis par Mme [F] sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et de dire que la société AIG Europe doit sa garantie à la société MAAF Assurances au titre de l'indemnité fixée pour les travaux de reprise, alors :
« 1°/ que ne sont couverts par la responsabilité de plein droit du fait des produits défectueux que les dommages consécutifs à l'atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était "établi que le préjudice de Mme [F] constitué par le coût de remise en état résulte directement des défauts affectant les boîtiers de connexion Solexus fabriqués par la société Alrack et incorporés dans les panneaux fabriqués par la société Scheuten Solar" ; qu'en retenant néanmoins la garantie de la société AIG Europe au titre des travaux de reprise, quand les boîtiers de connexions Alrack ne constituent pas un bien distinct des panneaux Scheuten auxquels ils sont incorporés mais la partie composante d'un produit qui, pris dans sa globalité, est considéré comme défectueux, la cour d'appel a réparé un préjudice économique résultant d'un dommage affectant le produit défectueux lui-même et violé, ce faisant, l'article 1386-2 ancien, devenu 1245-1, du code civil ;
2°/ que, en retenant que la société AIG Europe devait sa garantie au titre des travaux de reprise sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au prétexte que le défaut avait été localisé exclusivement sur le boîtier de connexion Solexus fabriqué par la société Alrack et placé en sous-face du panneau fabriqué par la société Scheuten, que le défaut de cette partie composante distincte ne constituait pas le défaut du produit entier et que partant, "ce sont les défauts affectant seulement les boitiers de connexion Solexus qui ont entraîné un dommage distinct aux panneaux Scheuten", sans expliquer en quoi consistait ce "dommage distinct" dont la société AIG Europe contestait l'existence en l'absence d'une atteinte matérielle aux panneaux photovoltaïques établie, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1386-2 ancien, devenu 1245-1, du code civil ;
3°/ que le régime de responsabilité des produits défectueux ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte ; qu'en considérant, en l'espèce, que la société Scheuten était responsable des pertes d'exploitation électrique subies par Mme [F] motif pris de ce que "la perte financière d'exploitation est un dommage résultant de la mise à l'arrêt des panneaux et non directement des défauts affectant les boîtiers de connexion" quand il ressortait de ses propres constatations qu' "il résulte de l'expertise judiciaire et des deux études de laboratoire que ce sont les défauts affectant les boîtiers de connexion et non les panneaux eux-mêmes qui ont nécessité la mise à l'arrêt de ces derniers", ce dont il s'évinçait que cette perte d'exploitation constituait un préjudice économique indirect consécutif à l'atteinte matérielle aux boîtiers de connexion défectueux ne pouvant être réparé sur le fondement de cette responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1386-2 ancien, devenu 1245-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 1382-2, devenu 1245-1, du code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux s'applique à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
7. Aux termes de l'article 1386-8, devenu 1245-7, du code civil, en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables.
8. En premier lieu, la société AIG Europe est sans intérêt à critiquer la condamnation de la société Scheuten à réparer le préjudice subi par Mme [F] au titre de la perte financière d'exploitation, dès lors que l'arrêt ne retient pas que la société AIG Europe doit sa garantie à la société MAAF Assurances au titre de l'indemnité fixée pour la perte d'exploitation.
9. En second lieu, dès lors que la cour d'appel a retenu que les boîtiers de connexion, qui étaient montés en sous-face des panneaux photovoltaïques, présentaient un risque incontrôlé d'échauffement et d'incendie, que ce défaut affectait seulement ces boîtiers et non les panneaux au sein desquels ils étaient incorporés et qui constituaient des produits distincts, qu'il avait entraîné un dommage distinct aux panneaux qui devaient être remplacés, de sorte que le coût de remise en état résultait directement du défaut affectant les boîtiers, elle en a déduit à bon droit que la société AIG Europe devait sa garantie à la société MAAF Assurances au titre des travaux de reprise.
10. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le premier moyen du pourvoi incident formé par la société Allianz Benelux NV
11. La société Allianz Benelux NV fait grief à l'arrêt de dire que la société Alrack est responsable à l'égard de la société MAAF assurances du préjudice de travaux de reprise et de perte d'exploitation électrique subis par Mme [F] sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, de fixer l'indemnité due par la société Alrack à Maaf Assurances au montant de 11 496 euros au titre des travaux de reprise et 14 324,20 euros au titre de la perte d'exploitation électrique et de dire que la société Allianz Benelux NV doit sa garantie à la société Maaf Assurances au titre des condamnations prononcées à son égard concernant ces préjudices, alors « que la cassation à intervenir, sur le premier moyen du pourvoi de la société AIG Europe, du chef de l'arrêt ayant dit que la société Scheuten Solar était responsable des préjudices au titre des travaux de reprise et de la perte d'exploitation électrique subis par Mme [F] sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux entraînera la cassation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, du chef de dispositif de l'arrêt ayant dit que la société Alrack était responsable des mêmes préjudices sur le même fondement, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire dès lors que la cour d'appel a retenu que la société Alrack, en qualité de producteur de la partie composante, était responsable solidairement avec la société Scheuten Solar, en qualité de producteur qui a réalisé l'incorporation, en application de l'article 1386-8 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
12. Le rejet du premier moyen du pourvoi principal rend sans portée le moyen pris d'une cassation par voie de conséquence.
Sur le troisième moyen du pourvoi incident formé par la société Allianz Benelux NV
13. La société Allianz Benelux NV fait grief à l'arrêt de dire qu'elle doit sa garantie à la société MAAF assurances au titre des condamnations prononcées à son égard concernant les préjudices de travaux de reprise et de pertes d'exploitation électrique subis par Mme [F], alors :
« 1°/ qu'en application de la clause d'exclusion de garantie des dommages aux biens livrés par ou sous la responsabilité de l'assuré prévue à l'article 3.5 des conditions générales de la police d'assurance souscrite par la société Alrack auprès de la société Allianz Benelux, cette dernière ne doit sa garantie que pour les dommages causés à des biens autres que les boîtiers de connexion livrés par la société Alrack ; qu'aux termes de l'article 1.7 des conditions générales de la police, le dommage garanti est soit un dommage corporel, soit un dommage matériel défini comme étant "l'endommagement, la destruction ou la perte de biens appartenant à des tiers, y compris le dommage en découlant" ; qu'en jugeant que la société Allianz Benelux devait sa garantie pour les travaux de reprise consistant dans le remplacement des panneaux photovoltaïques installés chez Mme [F] aux motifs que "ce sont les défauts affectant seulement les boitiers de connexion Solexus qui ont entraîné un dommage distinct aux panneaux Scheuten" et qu' "il a été démontré précédemment que les boitiers défectueux fabriqués et livrés par la société Alrack avaient causé des dommages aux panneaux", sans expliquer en quoi consistait ce "dommage distinct" aux panneaux dont la société Allianz Benelux devait sa garantie contestait l'existence en faisant valoir qu'au terme de ses opérations d'expertise judiciaire, M. [Y] avait constaté et mentionné dans son rapport final que pour seul dommage avait été trouvé un boîtier Solexus détérioré, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1103 du code civil ;
2°/ qu'aux termes de l'article 3.5 des conditions générales de la police d'assurance souscrite par la société Alrack auprès de la société Allianz Benelux, sont exclus de la garantie les dommages à des biens livrés par ou sous la responsabilité de l'assuré ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était "établi que le préjudice de Mme [F] constitué par le coût de remise en état résulte directement des défauts affectant les boîtiers de connexion Solexus fabriqués par la société Alrack et incorporés dans les panneaux fabriqués par la société Scheuten Solar", ce dont il se déduisait que les panneaux photovoltaïques étaient des biens livrés sous la responsabilité de la société Alrack et, partant, qu'à supposer qu'ils aient subi un dommage – ce qui est contesté –, la demande d'indemnisation de ces dommages était exclue de la garantie de l'exposante en application de l'article 3.5 des conditions générales de la police ; qu'en jugeant que cette dernière devait sa garantie pour les dommages causés aux panneaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1103 du code civil ;
3°/ qu'aux termes de l'article 1.7.2 des conditions générales de la police souscrite par la société Alrack auprès de l'exposante, les dommages immatériels ne sont garantis que s'ils découlent d'un dommage matériel garanti ; qu'aux termes de l'article 3.5 de ces conditions générales, sont exclus de la garantie les dommages à des biens livrés par ou sous la responsabilité de l'assuré ; qu'en jugeant que l'exposante devait sa garantie pour la perte d'exploitation électrique aux motifs que "la perte financière d'exploitation est un dommage résultant de la mise à l'arrêt des panneaux et non directement des défauts affectant les boîtiers de connexion" et que "les dommages aux panneaux avaient rendu nécessaire l'arrêt de leur fonctionnement causant directement une perte d'exploitation électrique", quand il ressortait de ses propres constatations qu' "il résulte de l'expertise judiciaire et des deux études de laboratoire que ce sont les défauts affectant les boîtiers de connexion et non les panneaux eux-mêmes qui ont nécessité la mise à l'arrêt de ces derniers", ce dont il s'évinçait que cette perte d'exploitation n'était pas garantie par l'exposante dès lors qu'elle découlait de l'atteinte matérielle aux boîtiers livrés par la société Alrack exclue de la garantie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. Dès lors que la cour d'appel a retenu, d'une part, par des motifs suffisants repris au paragraphe 9, que le défaut affectait seulement les boîtiers et que le coût de remise en état résultait directement de ce défaut, d'autre part, que les dommages aux panneaux avaient rendu nécessaire l'arrêt de leur fonctionnement causant directement une perte d'exploitation électrique, elle en a déduit à bon droit que les dispositions des conditions générales de la police d'assurance, vainement invoquées par société Allianz Benelux NV, ne permettaient pas d'écarter sa garantie au titre des travaux de remise en état et des pertes d'exploitation électrique.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le pourvoi incident de la société MAAF assurances, qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société AIG Europe et la société Allianz Benelux NV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société AIG Europe et la société Allianz Benelux NV et les condamne à payer à la société MAAF assurances la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.