CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 357 F-D
Pourvoi n° W 24-13.869
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
1°/ Mme [K] [S], épouse [R],
2°/ M. [B] [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° W 24-13.869 contre l'arrêt rendu le 22 février 2024 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BDR et associés, dont le siège est [Adresse 1], représentée par Mme [L] [E], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Vivenci énergies,
2°/ à la société Cofidis, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de M. et Mme [R], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Cofidis, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 février 2024), le 11 juin 2012, M. et Mme [R] (les emprunteurs) ont, dans le cadre d'un démarchage à domicile, commandé auprès de la société Vivenci énergies (le vendeur) la fourniture et la pose d'un système photovoltaïque, ainsi qu'un pack écologique comprenant notamment une solution domotique et un chauffe-eau thermodynamique, dont le prix a été financé par un crédit souscrit auprès de la société Groupe Sofemo, aux droits de laquelle vient la société Cofidis (le prêteur).
2. Une procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte au bénéfice du vendeur, puis clôturée pour insuffisance d'actifs, un mandataire ad hoc lui a été désigné afin de permettre sa représentation en justice.
3. Les 16 juillet 2021 et 14 septembre 2021, les emprunteurs ont assigné le mandataire ad hoc du vendeur et le prêteur, en annulation des contrats de vente et de crédit affecté.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables à agir en nullité du contrat de vente et en nullité du contrat de crédit affecté et par voie de conséquence, de les déclarer irrecevables en leur action en responsabilité à l'encontre du prêteur, alors « que la prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue ; qu'en l'espèce, les emprunteurs faisaient valoir que leurs craintes sur une absence complète d'autofinancement et de rentabilité de leur installation ne se sont confirmées qu'à la lecture du rapport d'expertise qu'ils avaient fait diligenter et qui avait révélé qu'une durée d'au moins 24 ans était nécessaire pour que l'investissement soit amorti ce qui les avait conduite à saisir un avocat ; qu'en l'espèce, pour dire que l'action des emprunteurs en nullité fondée sur le dol était irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a retenu qu'ils avaient découvert au jour de la réception de la première facture de rachat de l'électricité produite les faits permettant d'engager une telle action dès lors qu'un simple calcul du coût annuel du crédit, comparé au montant de la première facture annuelle de revente d'électricité leur permettait de se rendre compte que l'installation ne pourrait pas s'autofinancer, et qu'elle ne leur rapportait pas « le revenu sur investissement », ni le bénéfice mentionné au document « estimation du plan de financement photovoltaïque » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si les emprunteurs n'avaient pas découvert l'erreur qu'ils alléguaient à la lecture du rapport de l'expertise diligentée à leur demande en 2019, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1304 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
5. Ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que les emprunteurs avaient découvert les faits constitutifs du dol allégué, à savoir une promesse mensongère de rentabilité et d'autofinancement de l'installation, au moment de la réception, le 7 janvier 2014, de la première facture de rachat, par la société EDF, de l'électricité produite, la cour d'appel, qui a rejeté, implicitement mais nécessairement, le moyen selon lequel les emprunteurs n'avaient pu découvrir les faits leur permettant d'agir qu'après avoir pris connaissance d'une expertise établie à leur demande en 2019, en a exactement déduit que l'action introduite après l'expiration du délai quinquennal était irrecevable comme étant prescrite, justifiant ainsi légalement sa décision.
Mais sur le moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Les emprunteurs font le même grief à l'arrêt, alors « que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance ; qu'en l'espèce, pour dire que l'action des emprunteurs en nullité fondée sur l'inobservation par le vendeur des dispositions du code de la consommation était irrecevable comme prescrite pour avoir été introduite plus de cinq années après la signature du bon de commande, la cour d'appel a retenu d'une part que le délai de prescription de l'action en nullité fondée sur l'irrégularité formelle du contrat au regard des dispositions du code de la consommation, visible par les contractants à la date de conclusion du contrat, court à compter de cette date et d'autre part que les conditions générales du contrat de vente, figurant au verso du bon de commande, reproduisaient les dispositions des textes applicables de sorte que les époux [R] étaient en mesure de vérifier par eux-même si le bon de commande était conforme aux dispositions du code de la consommation ; qu'en statuant ainsi, sans relever aucune circonstance permettant de justifier d'une connaissance effective par les emprunteurs des vices du bon de commande qu'ils faisaient valoir à l'appui de leur action en nullité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article [L. 121-23] du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause ensemble l'article 2224 du code civil.
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 et 2224 du code civil :
7. Il résulte de ces textes que le point de départ du délai de prescription de l'action en annulation du contrat conclu dans le cadre d'un démarchage, fondée sur la méconnaissance par le professionnel de son obligation de faire figurer sur le contrat, à peine de nullité, les informations mentionnées à l'article L. 121-23 susvisé, se situe au jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les défauts d'information affectant la validité du contrat.
8. La reproduction sur le contrat, même lisible, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu dans le cadre d'un démarchage ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite de ce contrat, en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance.
9. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en nullité fondée sur la méconnaissance des dispositions du code de la consommation, l'arrêt relève que le délai de prescription de l'action en nullité fondée sur le non-respect des dispositions des articles L. 121-23 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 93-949 du 27 juillet 1993, à raison d'irrégularités formelles du contrat qui, à les supposer avérées, étaient visibles par le contractant à la date de la conclusion du contrat, court à compter de cette date. Il constate, par motifs propres et adoptés, que ces dispositions du code de la consommation sont reproduites au verso du bon de commande, dans des caractères parfaitement lisibles, de sorte que, dès la signature du bon de commande, les emprunteurs étaient en mesure de vérifier par eux-mêmes sa conformité aux dispositions du code de la consommation et qu'ils ne peuvent invoquer une méconnaissance du droit applicable pour faire échec à la prescription. Il en déduit que le contrat de vente ayant été signé le 11 juin 2012, l'action en nullité engagée le 16 juillet 2021 est prescrite.
10. En se déterminant ainsi, sans relever aucune circonstance permettant de justifier que les emprunteurs avaient eu ou auraient dû avoir connaissance des irrégularités du bon de commande à la date de sa signature, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il a déclaré l'action en nullité prescrite entraîne la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant nécessairement irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre le prêteur, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande reconventionnelle de dommages et intérêts présentée par la société Cofidis venant aux droits de la société Groupe Sofemo à l'encontre de M. et Mme [R], et en ce qu'il déclare irrecevable l'action en nullité fondée sur le dol, l'arrêt rendu le 22 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Cofidis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cofidis et la condamne à payer à M. et Mme [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.