CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 521 F-B
Pourvoi n° J 24-11.006
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société [V] [I], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 24-11.006 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2023 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Assurances du crédit mutuel - IARD, société anonyme,
2°/ à la société Groupe des assurances du crédit mutuel, société anonyme,
ayant tous deux leur siège [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société [V] [I], celles de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Assurances du crédit mutuel - IARD et de la société Groupe des assurances du crédit mutuel, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 avril 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 novembre 2023), la société [V] [I] (l'assurée), exploitante d'un fonds de commerce de débit de boissons et de restauration, a souscrit auprès de la société Assurances du crédit mutuel IARD (l'assureur) un contrat d'assurance multirisque professionnelle dénommé « Acajou Signature ».
2. A la suite d'un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, l'assurée a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur, qui a refusé de garantir le sinistre.
3. L'assurée a assigné l'assureur en indemnisation de ses pertes d'exploitation devant un tribunal de commerce.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'assurée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes dirigées contre l'assureur relatives à la mobilisation de la garantie perte d'exploitation et d'expertise, alors « que l'article 17.1 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit par l'assurée stipule que l'assureur garantit les pertes pécuniaires subies du fait de « l'interruption ou de la réduction » de l'activité de l'assuré résultant « d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à [son] activité et aux locaux dans lesquels [il] l'exerce » ; que cette clause ne soumet ainsi nullement la garantie qu'elle prévoit à la condition que la mesure d'interdiction d'accès édictée soit absolue à l'égard de toute personne et entraîne une impossibilité totale d'accéder aux locaux ; qu'en jugeant toutefois que cette interdiction d'accès signifiait « une défense absolue pour quiconque de pénétrer dans les locaux » et supposait « une impossibilité totale et matérielle d'accéder aux locaux », et en en déduisant que la clause ne permettait pas une couverture des pertes subies du fait des dispositions prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui n'édictaient que des mesures de restriction d'accès aux restaurants, limitées à la clientèle, la cour d'appel a dénaturé les termes de l'article 17.1 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit par l'assurée, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique est nouvelle et contraire à la thèse développée en appel par l'assurée.
6. Cependant, d'une part, le moyen, tiré de la dénaturation du contrat d'assurance, est né de la décision attaquée.
7. D'autre part, le moyen n'est pas contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond, l'assurée ayant fait valoir, devant la cour d'appel, que la clause litigieuse était claire et non sujette à interprétation.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
9. Pour dire que l'assureur n'est pas tenu à garantie, l'arrêt expose que la clause 17.1 est claire et ne requiert pas interprétation. Il estime que l'interdiction d'accès, non définie par le contrat, doit se comprendre comme une défense absolue pour quiconque de pénétrer dans les locaux.
10. Il ajoute que les mesures gouvernementales de lutte contre le Covid-19 ont édicté des restrictions d'accès aux restaurants limitées à la clientèle en autorisant les activités de livraison et de vente à emporter, sans avoir pour effet de rendre les locaux inaccessibles dès lors que les restaurants sont demeurés accessibles aux exploitants ou aux salariés, voire aux fournisseurs et que, sous certaines conditions, les clients ont pu venir chercher des commandes et même s'installer dans les établissements entre deux mesures gouvernementales sanitaires.
11. Il énonce que la notion de restriction d'accueil est différente de la notion d'interdiction d'accès, qui suppose une impossibilité totale et matérielle d'accéder aux locaux non caractérisée en l'espèce, et retient que le fait que l'assurée n'ait pas pu ou voulu faire de la vente à emporter pour s'adapter à la situation relève de sa décision et concerne son activité et ses difficultés d'exploitation, et non l'interdiction d'accès aux locaux.
12. En statuant ainsi, alors que le contrat d'assurance prévoit que sont garanties les pertes subies du fait de l'interruption ou de la réduction de l'activité de l'assuré résultant d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, sans exiger une impossibilité totale et matérielle d'accéder aux locaux, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Mise hors de cause
13. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, à sa demande, la société Groupe des assurances du crédit mutuel, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement du 19 mai 2021 en tant qu'il a dit que les conditions sont réunies pour l'application de la garantie de base de l'article 17.1 de la police d'assurance et que la société Assurances du crédit mutuel IARD doit indemniser la société [V] [I] de son préjudice résultant de ses pertes d'exploitation et en tant qu'il a instauré une mesure d'expertise et en ce que, statuant à nouveau, il déboute la société [V] [I] de ses demandes dirigées contre la société Assurances du crédit mutuel IARD relatives à la mobilisation de la garantie perte d'exploitation et d'expertise et la déboute de ses demandes indemnitaires et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Met hors de cause la société Groupe des assurances du crédit mutuel ;
Condamne la société Assurances du crédit mutuel IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Assurances du crédit mutuel IARD et Groupe des assurances du crédit mutuel et condamne la société Assurances du crédit mutuel IARD à payer à la société [V] [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.