CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 346 FS-B+R
Pourvoi n° C 23-13.687
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société Doosan Infracore Europe SRO, société de droit tchèque, nouvellement dénommée HD Hyundai Infracore Europe SRO, dont le siège est [Adresse 5] (République tchèque), venant aux droits des sociétés Doosan Infracore Europe SA, Doosan Benelux SA et Doosan Infracore Europe BV, a formé le pourvoi n° C 23-13.687 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Tvm Verzekeringen Nv, société d'assurance de droit néerlandais, dont le siège est [Adresse 2] (Pays-Bas),
2°/ à la société Tvm Belgium, société anonyme de droit belge, dont le siège est [Adresse 3] (Belgique),
3°/ à la société Swib, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 4] (Luxembourg),
4°/ à la société Wilbois, société de droit belge, dont le siège est [Adresse 6] (Belgique),
5°/ à la société Vigneau matériels forestiers, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
6°/ à la société nouvelle FCE TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
défenderesses à la cassation.
La société nouvelle FCE TP a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, Ã l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, Ã l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Corneloup, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société HD Hyundai Infracore Europe SRO, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat des sociétés Tvm Verzekeringen Nv et Tvm Belgium, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Vigneau matériels forestiers, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société nouvelle FCE TP, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Soulard, premier président, Mme Champalaune, président de chambre, Mme Corneloup, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, Mmes Peyregne-Wable, Tréard, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du premier président, du président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 5 avril 2022), la société Swib, société de droit luxembourgeois, et la société Wilbois, société de droit belge, exercent une activité d'exploitation de bois, de débroussaillage et de mise en valeur d'exploitations forestières.
2. La première met à la disposition de la seconde une partie de son matériel.
3. La société Swib est assurée auprès de la société TVM Belgium, succursale belge de la société TVM Verzekeringen, société d'assurance de droit néerlandais.
4. En 2014 et 2016, la société Swib a conclu avec la société Bil lease successivement deux contrats de crédit-bail portant sur du matériel de marque Doosan, qui a été détruit par incendie au cours de l'année 2016.
5. Ce matériel avait été acquis par la société Bil Lease auprès de la société Vigneau matériels forestiers (la société Vigneau) qui, avant d'y apporter diverses modifications pour les besoins du travail forestier, l'avait acheté auprès de la société nouvelle FCE TP (la société FCE), concessionnaire et distributeur de machines de marque Doosan, laquelle l'avait acquis auprès du fabricant, dont les conditions générales de vente comportaient une clause de choix de la loi belge.
6. Le 14 janvier 2019, la société TVM Verzekeringen, subrogée dans les droits de la société Swib, a assigné, sur le fondement de la garantie des vices cachés, devant un tribunal de commerce français, les sociétés Vigneau, FCE et Doosan Holdings France en indemnisation, à hauteur de la somme acquittée à la société Swib.
7. Les sociétés Swib et Wilbois ont sollicité le paiement de diverses sommes sur les fondements de la garantie des vices cachés, du défaut de conformité et de l'obligation de conseil.
8. La société Doosan Infracore Europe devenue la société HD Hyundai Infracore Europe (la société Hyundai), société de droit tchèque, est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 3 du code civil, les articles 1er, 4 et 14 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (règlement Rome II), et l'article 1er du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (règlement Rome I) :
11. Il résulte du premier texte qu'il incombe au juge, devant qui l'application d'une loi étrangère est revendiquée par l'une des parties et contestée par l'autre, de restituer aux faits leur exacte qualification et de trancher le litige en application de la loi qui lui est applicable.
12. Selon leur article 1er, ces règlements s'appliquent, dans les situations comportant un conflit de lois, respectivement aux obligations non contractuelles et aux obligations contractuelles en matière civile et commerciale.
13. L'article 4 du règlement Rome II dispose :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »
14. Selon l'article 14 du règlement Rome II, les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage ou, lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage.
15. Il découle du considérant 7 des règlements Rome II et Rome I que le législateur de l'Union a cherché à assurer une cohérence du champ d'application matériel et des dispositions de ces règlements, tant dans leurs rapports réciproques que par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (règlement Bruxelles I).
16. La Cour de justice de l'Union européenne en a déduit une exigence de cohérence dans l'application des règlements, qui ne saurait toutefois conduire à donner aux dispositions d'un règlement une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci (CJUE, arrêt du 16 janvier 2014, Kainz, C-45/13, point 20).
17. S'agissant de l'action que le sous-acquéreur d'une marchandise achetée auprès d'un vendeur intermédiaire engage contre le fabricant en vue d'obtenir la réparation du préjudice résultant de la non-conformité de la chose vendue, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit qu'il n'existe aucun lien contractuel entre le sous-acquéreur et le fabricant, celui-ci n'ayant assumé aucune obligation de nature contractuelle envers le sous-acquéreur, et que l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (convention de Bruxelles) doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un litige opposant le sous-acquéreur d'une chose au fabricant, qui n' est pas le vendeur, en raison des défauts de la chose ou de l'impropriété de celle-ci à l' usage auquel elle est destinée (CJCE, arrêt du 17 juin 1992, Handte / TMCS, C-26/91, point 16 et dispositif).
18. Elle a également dit pour droit que, dès lors que le sous-acquéreur et le fabricant doivent être considérés, aux fins de l'application du règlement Bruxelles I, comme n'étant pas unis par un lien contractuel, il y a lieu d'en déduire qu'ils ne peuvent être considérés comme étant « convenus », au sens de l'article 23, paragraphe 1, de ce règlement, du tribunal désigné comme compétent dans le contrat initial conclu entre le fabricant et le premier acquéreur (CJUE, arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C-543/10, point 33).
19. Il y a lieu de transposer la qualification d'obligation non contractuelle, ainsi retenue pour la détermination de la juridiction compétente, à celle de la loi applicable, de sorte que la loi applicable à l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant doit être déterminée en application du règlement Rome II.
20. Une clause de choix de la loi applicable, stipulée dans le contrat initial conclu entre le fabricant et le premier acquéreur, auquel le sous-acquéreur n'est pas partie, et à laquelle celui-ci n'a pas consenti, ne constitue pas un choix de la loi applicable à l'obligation non contractuelle, au sens de l'article 14, paragraphe 1er, de ce règlement.
21. La loi applicable à l'action de la société TVM Verzekeringen contre la société Hyundai doit, dès lors, être déterminée en application de son article 4.
22. Pour déclarer la loi française applicable, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'action de la société TVM Verzekeringen est dirigée, à titre principal, contre la société Vigneau qui ne soutient pas qu'elle aurait soumis ses contrats de vente au droit belge et que, concernant les sociétés FCE et Hyundai, ni le droit belge, ni le droit irlandais ne sont applicables, le litige ne portant pas sur le contrat de distribution les liant. Il retient également, par motifs propres, qu'il est constant que les clauses ne sont opposables aux sous-acquéreurs de la chaîne de contrats que s'il est démontré que ceux-ci en avaient connaissance et les ont acceptées lors de la formation du contrat auquel ils sont parties, ce qui n'est pas établi par la société Hyundai.
23. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de déterminer la loi applicable à l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant en vertu de l'article 4 du règlement Rome II, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation atteint seulement les chefs de dispositif confirmant le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne, en ce qu'il a dit le droit français applicable à l'action de la société TVM contre la société Doosan Infracore Europe (devenue Hyundai) et déclaré que la prescription légale ne saurait être opposée à la société TVM dans le cadre de son action contre la société Doosan Infracore Europe (devenue Hyundai), condamnant la société Doosan Infracore Europe (devenue Hyundai) in solidum à payer à la société Swib la somme de 3 000 euros au titre des franchises restant à sa charge, et condamnant la société Doosan Infracore Europe (devenue Hyundai) in solidum aux dépens, comprenant les frais de l'expertise, et au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
25. Elle n'emporte pas la cassation des autres chefs de dispositif de l'arrêt, qui ne sont pas dans la dépendance des chefs cassés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement pour avoir dit le droit français applicable à l'action de la société TVM contre la société Doosan Infracore Europe SRO et déclaré que la prescription légale ne saurait être opposée à la société TVM dans le cadre de son action contre la société Doosan Infracore Europe, en ce qu'il condamne la société Doosan Infracore Europe SRO in solidum à payer à la société Swib la somme de 3 000 euros au titre des franchises restant à sa charge, et en ce qu'il condamne la société Doosan Infracore Europe in solidum aux dépens, comprenant les frais de l'expertise, et au paiement de 3 000 euros à la société Swib et de 3 000 euros à la société TVM au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne in solidum les sociétés Vigneau matériels forestiers, nouvelle FCE TP, TVM Verzekeringen et TVM Belgium aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.