CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 350 F-D
Pourvoi n° Z 23-12.281
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société caisse régionale Normande de financement, société coopérative exploitée sous forme de SARL, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-12.281 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2022 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [L],
2°/ à Mme [G] [H], épouse [L],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
3°/ à M. [W] [N], domicilié [Adresse 2],
4°/ à la société Yves Raybaudo - Cyril Courant - Jean-Christophe Letrosne et Véronique Sciblo, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la caisse régionale Normande de financement, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. et Mme [L], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Peyregne-Wable, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la caisse régionale Normande de financement du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Yves Raybaudo - Cyril Courant - Jean-Christophe Letrosne et Véronique Sciblo.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 3 décembre 2022), par acte reçu le 17 août 2006 par M. [N] (le notaire), la caisse régionale Normande de financement (la banque) a consenti à M. et Mme [L] (les emprunteurs) un prêt d'un certain montant, remboursable par mensualités, destiné à financer l'acquisition en l'état futur d'achèvement d'un lot de copropriété dans un ensemble immobilier commercialisé par la société Apollonia.
3.Le 18 mai 2010, faute de règlement des échéances par les emprunteurs, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt.
4.Le 8 mars 2021, la banque, agissant sur le fondement de l'acte authentique de prêt, a fait pratiquer une saisie attribution sur les loyers détenus par la société Garden City Lissieu pour le compte des emprunteurs, pour le recouvrement de sa créance .
5.Le 14 avril 2021, les emprunteurs ont assigné la banque aux fins, à titre principal, d'annulation et mainlevée de la saisie attribution, invoquant notamment la prescription de l'action en exécution de l'acte notarié du 17 août 2006.
6.Les 25 et 28 juin 2021, la banque a assigné en intervention forcée le notaire et la société Raybaudo, Courant, Letrosne et Sciblo.
7.Les appels en cause ont été joints à l'instance principale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait grief à l'arrêt de constater la prescription de l'action en exécution de l'acte notarié du 17 août 2006, d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution effectuée entre les mains de la société Garden City Lissieu, dénoncée aux emprunteurs le 15 mars 2021, alors « que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que l'arrêt rappelle ainsi qu' en application de l'article 2141 du code civil, la Cour de cassation juge que, si en principe l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent aux mêmes fins, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première ; que tendent l'une et l'autre au désintéressement du créancier la demande en paiement d'une créance en vue d'obtenir un titre exécutoire judiciaire et la mise en oeuvre de mesures d'exécution forcée tendant au recouvrement d'une créance entreprises en vertu d'un titre exécutoire notarié ; que l'arrêt relève ainsi justement qu'en l'espèce, l'action diligentée par la société Norfi devant le tribunal de grande instance d'Evry aux fins notamment de condamnation des époux [L] au solde du prêt consenti le 17 août 2006 et la mesure d'exécution forcée contestée tendent au même but, le recouvrement de la créance du prêteur ; qu'en retenant que, pour autant, l'engagement de l'instance au fond n'a pas interrompu le délai de prescription de l'exécution forcée de l'acte notarié de prêt revêtu de la formule exécutoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres énonciations, a violé les articles 2241 et 2242 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241 du code civil :
9. Il résulte de ce texte que si en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
10. Pour déclarer prescrite l'action en exécution de l'acte notarié de prêt et ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par la banque, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la mesure d'exécution forcée a été mise en oeuvre le 8 mars 2021, plus de cinq ans après chacune des échéances impayées et la déchéance du terme, et que si l'action diligentée par la banque le 8 juin 2010 aux fins de condamnation des emprunteurs au paiement du solde du prêt ,objet d'un sursis à statuer ordonné par le juge de la mise en état le 7 avril 2011, et la mesure d'exécution forcée, tendent au même but, à savoir le recouvrement de la créance du prêteur, la seconde action n'est pas virtuellement comprise dans la première dès lors qu'elle pouvait être exercée de manière autonome , le créancier disposant d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
11. En statuant ainsi, alors que l'instance en paiement introduite par la banque, toujours en cours, et l'action en exécution forcée initiée par celle-ci ayant le même but, à savoir le désintéressement du prêteur, l'introduction de la première avait interrompu le délai de prescription de la seconde et que l'effet interruptif ayant continué de produire ses effets, aucune prescription n'était acquise au moment de la saisie-attribution du 8 mars 2021, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Demande de mise hors de cause
12. Il y a lieu de mettre hors de cause M. [N], dont la présence devant la cour de renvoi n'est pas nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate la prescription de l'action en exécution de l'acte notarié du 17 août 2006 et ordonne la mainlevée de la saisie attribution effectuée entre les mains de la société Garden City Lissieu, dénoncée à M.et Mme [L] le 15 mars 2021, l'arrêt rendu le 13 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Met hors de cause M. [N]
Condamne M. et Mme [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.