N° P 24-83.736 FS-B
N° 00602
ODVS
27 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 MAI 2025
Mme [Y] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 23 mai 2024, qui, pour exercice illégal de la profession de sage-femme, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction professionnelle et a ordonné la publication de la décision.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [Y] [I], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat du conseil national de l'ordre des sages-femmes, et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, M. Busché, Mme Carbonaro, conseillers de la chambre, MM. Joly,Leblanc, Charmoillaux, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [Y] [I], ayant fait l'objet d'une décision disciplinaire lui interdisant d'exercer les fonctions de sage-femme, a été poursuivie du chef susvisé.
3. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis et trois ans d'interdiction d'exercer la profession de sage-femme et a prononcé sur les intérêts civils.
4. La prévenue, le procureur de la République ainsi que le conseil national de l'ordre des sages-femmes et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), parties civiles, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité de la procédure soulevées par Mme [I] in limine litis, alors :
« 1°/ que la citation énonce le fait poursuivi et vise le texte de la loi qui le réprime ; tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, de même que d'interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; qu'en estimant que la citation n'était pas tenue d'énoncer, au besoin en se rapportant à une annexe ou un procès-verbal précis, de manière exhaustive et limitative, le ou les faits sur le ou lesquels la personne mise en cause devait s'expliquer, la cour d'appel a méconnu l'obligation de faire connaître de manière détaillée l'accusation portée contre la personne mise en cause, et ensemble l'article 551 du code de procédure pénale et l'article 6, § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que de surcroît, pour écarter l'exception de nullité de la citation fondant les poursuites de Mme [I] devant les juridictions répressives, la cour d'appel a affirmé que cette dernière « était (
) parfaitement informée des faits qui lui étaient reprochés puisqu'il résulte de la procédure : - que les décisions des chambres disciplinaires de première instance et d'appel lui avaient été notifiées en personne, ainsi qu'à son conseil ; - qu'elle avait été entendue à deux reprises sur cet exercice illégal par les services de police en présence de son conseil (
) - que son conseil avait demandé et obtenu copie de l'entière procédure ; - qu'elle a elle-même informé une patiente de la sanction dont elle faisait l'objet » ; qu'en statuant ainsi par des motifs abstraits et impropres, relatifs au contenu d'actes de procédure ne faisant pas corps à la citation et n'y étant pas joints, permettant tout au plus à Mme [I] de connaître la nature des faits lui étant reprochés, mais pas des faits précis lui étant imputés, lesquels n'étaient pas précisément énumérés par la citation, la cour d'appel a méconnu l'article 551 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en ne répondant pas aux conclusions de Mme [I] se prévalant de la méconnaissance de son droit d'interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge, dans la mesure notamment où les faits n'étaient pas clairement identifiés, renvoyant même à un « tableur Excel » communiqué la veille de l'audience de première instance, mais finalement écarté au titre de l'indemnisation de la partie civile, la cour d'appel a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 551 du code de procédure pénale et 6, § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'imprécision de la citation, l'arrêt attaqué énonce que le fait poursuivi est un exercice illégal de la profession de sage-femme en violation d'une interdiction d'exercer pour une durée d'un an prononcée par la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des sages-femmes.
8. Les juges ajoutent que la prévenue était parfaitement informée des faits qui lui étaient reprochés, puisque les décisions des chambres disciplinaires de première instance et d'appel lui avaient été notifiées, qu'elle avait été entendue à deux reprises sur cet exercice illégal par les services de police en présence de son avocat et que ce dernier avait demandé et obtenu copie de l'entière procédure.
9. Ils en concluent que la citation, qui précise le fait poursuivi, le lieu des faits et la période de prévention, répond aux exigences de la loi, les mentions ajoutées après l'adverbe « notamment » n'étant destinées qu'à illustrer l'exercice illégal incriminé, sans caractère exhaustif.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la demanderesse dans le détail de son argumentation, a répondu aux chefs péremptoires des conclusions qui lui étaient soumises sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
11. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de supplément d'information, alors « que la juridiction correctionnelle qui refuse d'ordonner un supplément d'information régulièrement sollicité, doit spécialement motiver sa décision ; qu'en se bornant à affirmer, pour rejeter dans son ensemble la demande de supplément d'information présentée par Mme [I], que la demande relative aux frottis cervicaux serait imprécise et qu'il ne serait pas établi en quoi elle pourrait être utile à la manifestation de la vérité, cependant que Mme [I] expliquait, au soutien de sa demande de supplément d'information en vue de déterminer à quelle date les frottis cervicaux ont été déposés en laboratoire, que la date du laboratoire, en ce qu'elle confirmera nécessairement la date du prélèvement, corroborera l'exactitude des dates de son agenda et démentira, par voie de conséquence, les dates figurant notamment dans les tableurs de la CPAM du Rhône, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 388-5 et 512 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
13. Pour rejeter la demande de supplément d'information portant, notamment, sur la détermination de la date à laquelle des frottis cervicaux ont été déposés au laboratoire, l'arrêt attaqué énonce que cette demande est imprécise et qu'il n'est pas établi en quoi elle pourrait être utile à la manifestation de la vérité.
14. En se déterminant ainsi, dès lors que l'opportunité d'ordonner une mesure d'instruction relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, la cour d'appel, qui a spécialement motivé le rejet de la demande de supplément d'information et n'était pas tenue de suivre la demanderesse dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision sans encourir les griefs formulés au moyen.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la diffusion du dispositif de l'arrêt dans le journal « [1] », toutes éditions, pendant une durée de deux mois, aux frais de Mme [I], et dit que cette diffusion porterait sur l'entier dispositif et s'effectuerait dans un encart de 10 cm par 5 cm, alors :
« 1°/ que la peine complémentaire de diffusion du dispositif de la décision ne peut être ordonnée pour une certaine durée, même déterminée, mais doit être limitée à une seule diffusion dans le ou les publications de presse désignées par les juridictions répressives ; que pourtant, la cour d'appel a ordonné la diffusion du dispositif de l'arrêt dans le journal quotidien régional « [1] », toutes éditions, pendant une durée de 2 mois, soit à une soixantaine de reprise, aux frais de Mme [I] ; qu'en statuant ainsi, tandis que la peine complémentaire de diffusion ne pouvait être que ponctuelle et limitée à une seule parution dans le ou les journaux déterminés par la cour d'appel, la cour d'appel a méconnu l'article 131-35 du code pénal, ensemble l'article 6, § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 111-3 et 131-35 du code pénal :
17. Selon le premier de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit.
18. Il se déduit du second, qui ne prévoit la fixation par la juridiction d'une durée pour l'exécution de la peine qu'à l'égard de l'affichage de la décision prononcée, que lorsqu'est décidée une diffusion dans une publication de presse, celle-ci est par nature unique dans le ou les organes désignés.
19. En ordonnant, à titre de peine complémentaire, la diffusion de l'entier dispositif de sa décision dans le journal [1], pour une durée de deux mois, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation sera limitée aux peines, les autres dispositions n'encourant pas la censure.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
22. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de Mme [I] étant devenue définitive par suite de la non-admission ou du rejet des trois premiers moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 23 mai 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [I] devra payer au conseil national de l'ordre des sages-femmes, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt-cinq.