SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 27 mai 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 552 F-D
Pourvois n°
T 24-11.566
U 24-12.648 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2025
I. La société Mutualité française Sud-Rhône-Alpes, société mutualiste, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la mutuelle Aesio santé Sud-Rhône-Alpes, a formé le pourvoi n° T 24-11.566 contre un arrêt rendu le 16 janvier 2024 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [C] [F], domiciliée [Adresse 1],
2°/ au syndicat CGT Aesio santé Sud Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
II. Mme [C] [F] a formé le pourvoi n° U 24-12.648 contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° T 24-11.566 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° U 24-12.648 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations écrites de Me Balat, avocat de Mme [F], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Mutualité française Sud-Rhône-Alpes, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présentes Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 24-11.566 et U 24-12.648 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 janvier 2024) et les productions, Mme [F] a été engagée en qualité d'agent à domicile par l'Union des mutuelles de la Drôme, devenue la Mutualité française Sud-Rhône-Alpes, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter du 1er avril 2000, la durée mensuelle de travail ayant été annualisée et modulée suivant avenant à effet du 1er janvier 2014. La durée mensuelle de travail rémunérée fixée à 124,44 heures a été réduite à 86,67 heures suivant avenant à effet du 1er janvier 2021.
3. Le 11 février 2021, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et en paiement de diverses sommes, notamment à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
4. Le syndicat CGT Aesio Sud-Rhône-Alpes (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi de la salariée n° U 24-12.648
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de requalifier son contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet pour la seule période du 1er février 2018 au 1er janvier 2021, alors :
« 1°/ que la requalification d'un premier contrat emporte avec elle tous les contrats postérieurs, ces derniers se trouvant absorbés par la relation nouvellement qualifiée, qui ne prend fin qu'au jour de la cessation définitive de la relation de travail ; qu'en requalifiant le contrat de travail à temps partiel modulé de Mme [F] en contrat de travail à temps complet pour la seule période du 1er février 2018 au 1er janvier 2021 et en la déboutant de sa demande de requalification de son contrat de travail pour la période postérieure au 1er janvier 2021 au motif qu'à compter de cette dernière date la relation de travail se serait poursuivie dans le cadre d'un nouvel avenant, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et violé les articles L. 3123-6 et L. 3123-14 du code du travail et les articles 5, 21 et 26 de l'accord de branche du 30 mars 2006 relatif aux temps modulés dans la branche de l'aide à domicile ;
2°/ que la conclusion d'un avenant au contrat ne fait pas naître un nouveau contrat ; qu'en requalifiant le contrat de travail à temps partiel modulé de Mme [F] en contrat de travail à temps complet pour la seule période du 1er février 2018 au 1er janvier 2021 et en déboutant cette dernière de sa demande de requalification du contrat de travail pour la période postérieure au 1er janvier 2021 au motif qu'à compter de cette dernière date, la relation de travail se serait poursuivie dans le cadre d'un nouvel "avenant" constituant "à lui seul un nouveau contrat de travail autonome", la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et violé les articles 1103 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;
3°/ qu'en affirmant "qu'il apparaît que cet avenant, daté du 11 janvier 2021 à effet au 1er janvier 2021, signé par les parties, ne fait aucun renvoi au précédent contrat à temps partiel modulé du 5 mai 2014, et constitue à lui seul un nouveau de contrat de travail autonome", cependant que l'avenant litigieux énonce, in fine, que, hors les stipulations qui s'y trouvent ajoutées, "les autres dispositions du contrat de travail restent inchangées", ce dont il résulte que l'avenant du 11 janvier 2021 renvoie au précédent contrat du 5 mai 2014, la cour d'appel a dénaturé ce document en méconnaissance du principe de l'interdiction faite au juge des dénaturer les documents de la cause ;
4°/ que dans ses écritures d'appel, Mme [F] a soutenu que ses plannings ne mentionnaient pas de jours d'indisponibilité ; qu'en la déboutant de sa demande de requalification de son contrat de travail pour la période postérieure au 1er janvier 2021 au motif qu'à compter de cette dernière date, la relation de travail se serait poursuivie dans le cadre d'un nouvel "avenant" constituant "à lui seul un nouveau contrat de travail autonome" sans répondre à ces conclusions faisant valoir que, nonobstant toute convention conclue[s] par les parties, la salariée ne bénéficiait pas de jour d'indisponibilité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article L. 212-4-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005, de l'article L. 3123-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, et des articles 1134, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil qu'en cas d'avenant ou de nouveau contrat à temps partiel modulé conforme aux exigences légales et conventionnelles, il appartient au salarié qui demande, en raison de ses conditions d'exécution, la requalification de ce contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, de démontrer qu'il devait travailler selon des horaires dont il n'avait pas eu préalablement connaissance, de sorte qu'il était placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il se trouvait dans l'obligation de se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
7. Ayant relevé qu'à compter du 1er janvier 2021, les parties avaient conclu un avenant au contrat de travail à temps partiel modulé, diminuant la durée de travail hebdomadaire et prévoyant une plage d'indisponibilité le samedi, en application des dispositions de l'article 26 de l'accord de branche, et constaté que la salariée ne soutenait pas qu'à compter de cette date, l'employeur n'aurait pas respecté la plage d'indisponibilité ainsi définie dans le contrat de travail, la cour d'appel, abstraction faite de motifs surabondants critiqués par le moyen pris en sa troisième branche, a pu, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, écarter la requalification du contrat en un contrat à temps complet postérieurement au 1er janvier 2021.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
9. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 212-4-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005, et les articles 21, 26 et 5 de l'accord de branche du 30 mars 2006 relatif aux temps modulés dans la branche de l'aide à domicile :
10. Selon le premier de ces textes, une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail. Le contrat de travail mentionne la qualification du salarié, les éléments de sa rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle de référence.
11. Selon le deuxième, le contrat de travail à temps partiel modulé comporte les mentions relatives à la contrepartie des articles 24 et 26 de l'accord.
12. Aux termes du troisième, en contrepartie à la mise en place du temps partiel modulé, pourra être indiqué au contrat de travail du salarié le principe d'une plage de non-disponibilité du salarié, dans la limite d'une journée ouvrable par semaine. Si l'employeur demande au salarié de venir travailler pendant cette plage de non-disponibilité, le salarié est en droit de refuser l'intervention sans que lui soit opposable le nombre de refus indiqués à l'article 5 du présent accord.
13. Selon le quatrième, les horaires de travail sont précisés aux salariés par écrit lors de la notification du planning d'intervention pour le personnel d'intervention. La notification du planning a lieu selon une périodicité mensuelle, par remise en main propre au salarié ou par courrier. Les plannings sont notifiés au salarié au moins sept jours avant le premier jour de leur exécution. Afin de mieux répondre aux besoins des usagers, de faire face à la fluctuation des demandes inhérentes à l'activité, et d'assurer une continuité de service, les changements des horaires de travail peuvent être modifiés dans un délai inférieur à sept jours et dans la limite de quatre jours, sauf les cas d'urgence. En contrepartie d'un délai de prévenance inférieur à sept jours, le salarié a la possibilité de refuser quatre fois, par année de référence, la modification de ses horaires sans que ce refus ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement.
14. Pour requalifier le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet et condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt relève qu'il résulte des dispositions de l'accord de branche que le contrat de travail à temps partiel modulé doit prévoir « une plage de non-disponibilité du salarié, dans la limite d'une journée ouvrable par semaine ». Il ajoute qu'il ne peut être retenu, malgré l'emploi du verbe « pouvoir » conjugué au futur, à l'article 26, que la détermination d'une plage d'indisponibilité dans le contrat de travail serait non pas une obligation mais une faculté laissée à l'employeur, une telle interprétation revenant à vider de sa substance le principe d'une contrepartie au travail à temps partiel modulé.
15. L'arrêt retient que lorsque le contrat de travail ne prévoit pas de plage d'indisponibilité, il est présumé être à temps complet et que, dans ce cas, il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a prévu une plage d'indisponibilité dans les plannings mensuels et que cette plage était fixe d'un mois sur l'autre, sauf à justifier, en cas de modification de cette plage, de l'accord du salarié pour chacune de ces modifications. Il conclut qu'en l'absence de plage d'indisponibilité prévue dans le contrat de travail ou désignée comme telle dans les plannings remis au salarié, le salarié se tient en permanence
à la disposition de l'employeur et que le contrat de travail doit être requalifié à temps plein.
16. Il constate que l'avenant du 5 mai 2014, ayant modifié le contrat de travail initial en contrat de travail à temps partiel modulé, n'a déterminé aucune plage d'indisponibilité, contrairement à ce qu'exigeait l'article 21 de l'accord de branche de l'aide à domicile relatif aux temps modulés du 30 mars 2006 et que par ailleurs, aucun des plannings versés aux débats ne mentionne une plage d'indisponibilité.
17. Il ajoute que l'employeur ne peut valablement soutenir que la salariée aurait, dans les faits, bénéficié de plages d'indisponibilité et qu'il est sans incidence que la salariée ait refusé à plusieurs reprises depuis 2016 de signer les avenants qui lui ont été proposés pour augmenter sa durée de travail, la requalification à temps plein d'un contrat de travail à temps partiel n'étant que la conséquence de la disponibilité permanente dans laquelle le salarié est placé vis-à-vis de son employeur.
18. En statuant ainsi, alors qu'elle n'avait pas constaté que le contrat de travail n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 212-4-6 du code du travail et que le défaut de mention dans le contrat de travail des plages d'indisponibilité de la salariée, prévues par l'accord de branche, ne permettait pas de présumer que le contrat était à temps complet, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
20. Elle n'emporte pas, en revanche, cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession justifié par le défaut de respect par l'employeur des dispositions conventionnelles relatives à l'indemnisation du temps inter-vacations retenu par des motifs non critiqués.
21. Elle n'emporte pas non plus cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° U 24-12.648 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet pour la période du 1er février 2018 au 1er janvier 2021 et en ce qu'il condamne la société Mutualité française Sud-Rhône-Alpes à payer à Mme [F] les sommes de 9 873,50 euros brut à titre de rappel de salaire au titre de la requalification du contrat de travail pour la période du 1er février 2018 au 1er janvier 2021, de 987,35 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents et de 4 000 euros net à titre de dommages- intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt rendu le 16 janvier 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.