SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 21 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 540 F-D
Pourvoi n° T 23-20.969
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 MAI 2025
M. [M] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-20.969 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2023 par la cour d'appel de Nîmes (5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant à la société Orapi hygiène, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [K], de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Orapi hygiène, après débats en l'audience publique du 9 avril 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 4 juillet 2023), M. [K] a été engagé en qualité de technicien SAV par la société Argos hygiène devenue Orapi hygiène (la société), à compter du 4 mai 1998, suivant contrat à durée indéterminée. Par avenant du 1er mai 2004, il a été promu technicien supérieur.
2. Par lettre du 18 janvier 2011, le médecin du travail a demandé à l'employeur une adaptation du poste de travail du salarié dans les termes suivants : « compte tenu de l'état de santé du salarié, il serait souhaitable de lui proposer un secteur géographique plus restreint (200 km/jour maximum) afin de limiter la conduite prolongée ».
3. Par décision du 15 avril 2011, le salarié a été reconnu comme travailleur handicapé avec un taux d'incapacité permanente partielle inférieur à 50 %.
4. Le 7 octobre 2013, le médecin du travail, au terme d'une visite périodique, a rendu l'avis suivant : « apte dans un poste aménagé avec un secteur géographique limitant les déplacements à 250 km/j et véhicule avec boîte automatique. Avec port de baskets de sécurité ».
5. Le salarié a été convoqué, le 31 mars 2015, à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a été licencié, par lettre du 22 avril 2015, pour insuffisance professionnelle, avec prise d'effet au 7 mai 2015.
6. Par requête du 7 juillet 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, qu'il soit dit qu'il a été victime de discrimination et pour obtenir la condamnation de la société au paiement de sommes indemnitaires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire sa requête irrecevable pour cause de prescription, alors « que selon l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit et cette disposition n'est pas applicable "aux actions exercées en application de l'article L. 1132-1 de ce code", selon lequel aucune personne ne peut être licenciée ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son handicap ; que dès lors, l'action tendant à voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d'une discrimination, nécessairement fondée sur l'article L. 1132-1, n'est pas soumise à la prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail, mais à la prescription quinquennale de l'article L. 1134-5 du code du travail ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, selon lesquelles le salarié "invoque une discrimination au soutien de ses prétentions", ce dont il résultait que s'appliquait la prescription quinquennale de l'article L. 1134-5 et non la prescription biennale de l'article L. 1471-1, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 1134-5 du code du travail, et par fausse application, l'article L. 1471-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-1, L. 1134-5 et L. 1471-1 du code du travail :
8. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Cette disposition n'est toutefois pas applicable aux actions exercées en application de l'article L. 1132-1 de ce code.
9. Il résulte des articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du même code que l'action tendant à ce que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse en raison d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination alléguée.
10. Pour déclarer le salarié irrecevable en son action, pour cause de prescription, l'arrêt retient que le salarié, qui invoque une discrimination au soutien de ses prétentions, ne demande pas réparation du préjudice résultant de la dite discrimination puisqu'il ne demande ni dommages-intérêts en raison de la discrimination qu'il invoque, ni la nullité de son licenciement en raison de cette discrimination. Il en déduit que l'action du salarié qui tend à voir qualifier son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse est soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail qui a débuté à la date de rupture du contrat de travail en raison du licenciement notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 22 avril 2015, avec prise d'effet au 31 mai 2015, et qui était acquise au 31 mai 2017, soit antérieurement à la date de sa saisine du conseil de prud'hommes le 7 juillet 2017.
11. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions devant le conseil de prud'hommes, le salarié faisait valoir qu'en raison d'une discrimination fondée sur son état de santé, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, de sorte que la recevabilité de l'action engagée devait être appréciée au regard des dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Orapi hygiène de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 4 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Orapi hygiène aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Orapi hygiène et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt et un mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.