CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 15 mai 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 462 F-B
Pourvoi n° Y 23-12.372
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 MAI 2025
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 23-12.372 contre l'arrêt n° RG : 21/01751 rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à la société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société [3] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Ile-de-France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 décembre 2022), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2015 à 2017, l'URSSAF d'Ile-de-France (l'URSSAF) a adressé à la société [3] (la société cotisante), une lettre d'observations portant sur plusieurs chefs de redressement, suivie, le 12 novembre 2019, d'une mise en demeure.
2. La société cotisante a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident formé par la société cotisante
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal formé par l'URSSAF, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'URSSAF fait grief à l'arrêt d'annuler le chef de redressement relatif à la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires, alors « qu'il ne peut être reproché aux inspecteurs du recouvrement, à qui l'employeur n'a pas fourni lors du contrôle les éléments nécessaires au calcul du redressement conformément aux règles prévues par le code de la sécurité sociale, d'avoir calculé le redressement en se fondant sur les seuls éléments fournis par l'employeur et en appliquant dès lors un mode dérogatoire de calcul ; qu'il résulte de l'arrêt que les inspecteurs du recouvrement ont constaté que la société cotisante n'avait pas pris en compte dans la rémunération brute servant au calcul de la réduction générale des cotisations les sommes d'argent, telles que les indemnités de fin de mission et les indemnités compensatrice de congés-payés, affectées par le personnel intérimaire à son compte épargne temps de sorte qu'ils avaient procédé à une régularisation de ce chef ; que comme le soulignait l'URSSAF dans ses conclusions, pour procéder à cette régularisation, ils avaient rattaché les sommes afférentes soit au contrat de mission correspondant lorsque la référence était mentionnée par l'employeur - conformément aux dispositions de l'article D. 241-7, III, du code de la sécurité sociale prévoyant que le coefficient de la réduction générale des cotisations est déterminé pour chaque mission - soit au dernier contrat de mission précédant leur versement en l'absence d'une telle mention - conformément aux dispositions dérogatoires prévues par une lettre ministérielle du 14 novembre 2012 ; qu'en annulant ce chef de redressement au prétexte que la réduction générale des cotisations n'avait pas été calculée par l'URSSAF selon les règles prévues par le code de la sécurité sociale mais en se fondant sur une lettre ministérielle du 14 novembre 2012 dépourvue de valeur normative, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les inspecteurs de l'URSSAF n'avaient pas été dans l'impossibilité de rattacher les sommes litigieuses à chaque contrat de mission, conformément aux dispositions légales, en raison de la carence de l'employeur qui ne leur avait pas communiqué les éléments permettant de le faire, de sorte que leurs calculs avaient été opérés sur la base des seuls documents produits par l'employeur lui-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 241-13, D. 241-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société cotisante conteste la recevabilité du moyen en raison de sa nouveauté dès lors que l'URSSAF n'avait pas soutenu devant la cour d'appel qu'elle avait refusé de transmettre aux inspecteurs du recouvrement des pièces qui lui avaient été demandées.
6. Cependant, il résulte des conclusions de l'URSSAF que celle-ci se prévalait de l'absence de communication par la société cotisante des éléments permettant de rattacher les sommes litigieuses au contrat de mission correspondant.
7. Le moyen, qui était dans le débat, n'est donc pas nouveau et est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil et les articles L. 241-13, III, et D. 241-7 du code de la sécurité sociale, ces deux derniers dans leurs rédactions applicables à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses :
8. En application du premier de ces textes, il appartient au cotisant qui sollicite le bénéfice d'une exonération ou d'une réduction de cotisations de rapporter la preuve qu'il remplit les conditions pour en bénéficier.
9. Il résulte du deuxième que le coefficient de réduction prévu par ce texte est fonction du rapport entre la rémunération annuelle du salarié, telle que définie à l'article L. 242-1 du même code, et le salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail.
10. Selon le dernier, pour les salariés en contrat de travail temporaire mis à disposition au cours d'une année auprès de plusieurs entreprises utilisatrices, ce coefficient est déterminé pour chaque mission.
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que les sommes issues de l'utilisation des droits affectés à son compte épargne-temps par un salarié en contrat de travail temporaire doivent entrer dans le calcul de la rémunération annuelle à prendre en compte pour le calcul du coefficient de réduction prévu par l'article L. 241-13, III, susvisé et qu'il appartient au cotisant de rapporter la preuve des éléments propres à la détermination de ce coefficient pour chaque mission.
12. Pour annuler le redressement relatif à la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires, l'arrêt constate que ce chef de redressement résulte de la réintégration de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de fin de mission et de primes conventionnelles affectées à un compte épargne-temps dans le calcul de la rémunération annuelle des salariés en contrat de travail temporaire. Il relève que toutes les sommes issues de l'utilisation, par les salariés, des droits affectés sur leur compte épargne-temps, n'ont pas été rattachées au contrat de mission correspondant mais, pour certaines d'entre elles, au dernier contrat de mission précédant leur versement. Il retient que l'organisme de recouvrement fonde le mode de calcul du redressement sur la lettre ministérielle du 14 novembre 2012, laquelle est dépourvue de valeur normative. Il en déduit que la réduction générale des cotisations n'a pas été calculée par l'organisme de recouvrement selon les règles d'ordre public du code de la sécurité sociale et que le caractère erroné des bases du redressement en affecte le bien-fondé.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la société cotisante, qui contestait l'évaluation effectuée par l'inspecteur du recouvrement sur la base des informations obtenues lors du contrôle, produisait des éléments propres à justifier du rattachement à chaque mission correspondante des sommes issues de l'utilisation, par les salariés, des droits affectés sur leur compte épargne-temps, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule le chef de redressement n° 6 relatif à la réduction générale des cotisations, dit que la société [3] est redevable à l'égard de l'URSSAF d'Ile-de-France des cotisations et contributions sociales faisant l'objet du redressement notifié le 11 décembre 2018, après déduction des sommes afférentes au chef de redressement n° 6, la condamne au paiement du montant en résultant, outre les majorations de retard, et renvoie les parties au calcul des sommes restant dues par la société [3] au titre des cotisations et contributions sociales pour les années 2016 et 2017 et des majorations de retard, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société [3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à l'URSSAF d'Ile-de-France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le quinze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.