CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 319 F-D
Pourvoi n° A 23-20.217
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 MAI 2025
La société Optima concept, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° A 23-20.217 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [V], domicilié société GPS Géomatique agricole, [Adresse 3],
2°/ à la société GPS Géomatique agricole, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Innov. GPS, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Peak System France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société Optima concept, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [V] et des sociétés GPS géomatique agricole et Innov GPS, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Peak System France, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 mai 2023, RG n° 15/06278), la société Optima concept conçoit et vend par l'intermédiaire de sociétés, telles que la société Kuhn blanchard, des matériaux électroniques à destination d'engins agricoles, sous forme de boîtiers reliés entre eux par un câblage de type CAN « controler area network », constitutif d'un protocole de communication électronique permettant de limiter les raccordements filaires et pouvant servir, notamment, à la commande d'un système de pulvérisation.
2. La société GPS Géomatique agricole (la société 2GA), gérée par M. [V], qui développe des logiciels liés à l'utilisation d'un système GPS par un engin agricole permettant l'automatisation de certaines tâches comme l'épandage et la société Innov GPS, gérée par M. [D], ont commercialisé des interfaces permettant de relier des systèmes de guidage à l'appareil de pulvérisation gouverné par le matériel électronique conçu par la société Optima concept. La société Peak System France a réalisé le boîtier de cette interface.
3. Les 16 et 17 octobre 2013, à l'issue de la réalisation sur requête de constats, la société Optima concept a assigné les sociétés Innov GPS et 2GA et M. [V] en contrefaçon de logiciel et atteinte à un système automatisé de traitement de données. Le 6 juin 2014, elle a assigné M. [D] en intervention forcée.
4. La société Peak System France est intervenue volontairement en cause d'appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses sixième et septième branches, et le second moyen, pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première à cinquième branches
Enoncé du moyen
6. La société Optima concept fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre de la contrefaçon, alors :
« 1°/ que, sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser la reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme ; que dans la mesure où le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage de logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu'avec l'autorisation de l'auteur ; que se rend coupable de contrefaçon de logiciel l'entreprise proposant une interface qui déclenche un logiciel et réalise ainsi des actes de reproduction provisoire de celui-ci ; que la circonstance que cette interface soit in fine utilisée par son acquéreur n'est pas, en soi, de nature à exclure la responsabilité de l'entreprise qui la propose, au titre de la contrefaçon de logiciel ; qu'en l'espèce, tout en ayant constaté que "l'interface litigieuse déclenche, par l'envoi des trames dans le bus CAN les modules logiciels du système de pulvérisation", la cour d'appel s'est focalisée sur le point de savoir si des actes de contrefaçon du logiciel de la société Optima concept pouvaient être reprochés aux agriculteurs utilisateurs finals de cette interface et a relevé que "l'agriculteur achetant et utilisant l'interface litigieuse reliant l'appareil de guidage a nécessairement connaissance du fait que l'interface déclenche le système de pulvérisation lorsque le système de pulvérisation fonctionne en mode automatique" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la responsabilité des personnes mises en cause au titre des actes de reproduction provisoire des logiciels de la société Optima concept causés par l'interface litigieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que se rend coupable de contrefaçon de logiciel l'entreprise proposant une interface qui déclenche un logiciel et réalise ainsi des actes de reproduction provisoire de celui-ci ; qu'en se focalisant sur la situation de l'agriculteur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les personnes mises en cause devant elle n'étaient pas responsables de contrefaçon de logiciel du fait des reproductions provisoires que leur interface provoquait à l'occasion du déclenchement, par l'envoi de trames dans le bus CAN, des modules logiciels de la société Optima concept, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ en toute hypothèse, que se rend coupable de contrefaçon de logiciel l'entreprise proposant une interface qui déclenche un logiciel et réalise ainsi des actes de reproduction provisoire de celui-ci ; que cette entreprise ne peut s'exonérer de sa responsabilité au titre de la contrefaçon de logiciel, au motif que l'acquéreur de l'interface litigieuse aurait eu connaissance du fait que cette dernière déclenchait le logiciel en cause ; qu'en relevant que "l'agriculteur achetant et utilisant l'interface litigieuse reliant l'appareil de guidage a nécessairement connaissance du fait que l'interface déclenche le système de pulvérisation lorsque le système de pulvérisation fonctionne en mode automatique", la cour d'appel a statué par un motif impropre à écarter l'imputabilité, aux personnes mises en cause, d'actes de contrefaçon de logiciel par reproduction provisoire, en violation des articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ en toute hypothèse, que selon l'article L. 122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle, les actes prévus aux 1° et 2° de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs ; que cette exception légale aux actes nécessitant l'accord de l'auteur est d'interprétation stricte ; qu'elle ne peut être invoquée que par l'utilisateur légitime des logiciels, et non par des tiers ; qu'en se fondant, pour écarter les demandes de la société Optima concept au titre de la contrefaçon de logiciel, sur l'exception prévue à l'article L. 122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle, cependant que celle-ci ne pouvait s'appliquer aux sociétés Innov GPS, 2GA, Peak System France et à M. [V], qui n'étaient pas des utilisateurs légitimes des logiciels de la société Optima concept, la cour d'appel a violé les articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ en toute hypothèse que selon l'article L. 122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle, les actes prévus aux 1° et 2° de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs ; que cette exception légale aux actes nécessitant l'accord de l'auteur est d'interprétation stricte ; qu'en se fondant, pour écarter les demandes de la société Optima concept au titre de la contrefaçon de logiciel, sur l'exception prévue à l'article L. 122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle, sans caractériser en quoi il serait nécessaire, pour l'utilisateur légitime des logiciels de la société Optima concept, d'utiliser l'interface incriminée pour permettre l'utilisation de ces logiciels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle, transposant l'article 4 de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser la reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme.
8. Selon l'article L. 122-6-1 1°, du même code, transposant l'article 5 de cette directive, les reproductions provisoires d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen ou sous toute forme ne sont pas soumises à l'autorisation de l'auteur lorsqu'elles sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel conformément à sa destination par la personne ayant le droit de l'utiliser.
9. La cour d'appel a retenu que, si les programmes d'ordinateur contenus dans les calculateurs du système conçu et réalisé par la société Optima concept étaient originaux et protégés au titre du droit d'auteur, ces programmes étaient intégrés dans des calculateurs qui communiquaient par le réseau bus CAN et équipaient des pulvérisateurs vendus à des agriculteurs par d'autres sociétés et que les interfaces commercialisées par les sociétés mises en cause déclenchaient, par l'envoi des trames dans le bus CAN, les modules logiciels du système de pulvérisation.
10. Elle a également retenu que les agriculteurs achetant le matériel acquéraient également les programmes d'ordinateur contenus dans les calculateurs et avaient le droit, en application de l'article L. 122-6-1 1° du code de la propriété intellectuelle, d'utiliser ces programmes, que la reproduction provisoire des programmes d'ordinateur était nécessaire à leur utilisation et avait lieu, que les programmes soient déclenchés par l'interface d'Optima concept ou par les interfaces litigieuses.
11. Elle a ajouté qu'il n'était justifié d'aucune stipulation contractuelle spécifique relative à l'utilisation des programmes d'ordinateur de la société Optima concept, que la destination de ces programmes étant le fonctionnement du système de pulvérisation, les agriculteurs, acquéreurs légitimes de ces programmes, pouvaient les utiliser à cette fin, sans autorisation de la société Optima concept, et avaient nécessairement connaissance du fait que ces interfaces déclenchaient le système de pulvérisation fonctionnant en mode automatique.
12. Ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise et constaté que les actes de reproduction étaient inhérents au fonctionnement des pulvérisateurs, elle a pu, sans être tenue à d'autres constatations quant à l'application de l'exception prévue à l'article L. 122-6-1, en déduire qu'il ne pouvait être imputé aux sociétés 2GA et Innov GPS et à leurs gérants d'actes de contrefaçon par utilisation des logiciels créés par la société Optima concept.
13. Inopérant en sa troisième branche qui critique un motif surabondant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches
Enoncé du moyen
14. La société Optima concept fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre de l'atteinte à un système automatisé de traitement de données, alors :
« 1°/ que la qualité de propriétaire du support matériel hébergeant un système automatisé de traitement de données ou d'utilisateur d'un tel système ne confère pas nécessairement la maîtrise de ce système, c'est-à-dire le droit et la possibilité effective d'accéder aux données informatiques et de modifier celles-ci ; qu'en retenant que "l'agriculteur, propriétaire du pulvérisateur et, en conséquence, du système de traitement de données et utilisateur de l'interface litigieuse, est maître du système de traitement automatisé de données", la cour d'appel a violé les articles 323-1, 323-3 et 323-3-1 du code pénal et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°/ que la qualité d'utilisateur d'un système automatisé de traitement de données n'implique pas, en soi, la maîtrise de l'accès aux données informatiques du système ; qu'en affirmant que l'agriculteur aurait "le droit d'accéder au système et de déterminer qui est en droit d'y accéder" et qu'il "accède notamment au système et y introduit des données lorsqu'il commande la pulvérisation par l'intermédiaire des interfaces conçues et réalisés par la société Optima concept ou par l'intermédiaire de l'interface litigieuse", sans assortir sa motivation de constatations de fait permettant de justifier en quoi l'agriculteur pourrait, au-delà de ses droits d'utilisation courant, accéder techniquement aux données du système et modifier celles-ci directement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 323-1, 323-3 et 323-3-1 du code pénal et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ qu'en retenant que l'agriculteur aurait "nécessairement connaissance du fait que l'interface déclenche le système de pulvérisation lorsque le système de pulvérisation fonctionne en mode automatique", la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier en quoi l'agriculteur aurait la qualité de maître du système conçu et réalisé par la société Optima concept, en violation des articles 323-1, 323-3 et 323-3-1 du code pénal et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ qu'affirmant que l'agriculteur aurait "nécessairement connaissance du fait que l'interface déclenche le système de pulvérisation lorsque le système de pulvérisation fonctionne en mode automatique", sans s'expliquer sur les dysfonctionnements causés par l'interface litigieuse, qui étaient invoqués par la société Optima concept, et sans rechercher s'ils étaient connus de l'agriculteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 323-1, 323-3 et 323-3-1 du code pénal et l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
15. Si les articles 323-1 et 323-3 du code pénal sanctionnent ceux qui, frauduleusement, accèdent à un système de traitement de données ou y introduisent des données, et l'article 323-3-1 ceux qui fournissent des équipements à cet effet, ces atteintes ne sauraient être reprochées à la personne qui, bénéficiant des droits d'accès et de modification des données, procède à des suppressions de données, sans les dissimuler à d'éventuels autres utilisateurs du système (Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n° 18-84.755, publié).
16. Après avoir admis que le système conçu et réalisé par la société Optima concept, équipant les pulvérisateurs qu'il était destiné à faire fonctionner, constituait un système de traitement automatisé de données et que l'envoi, par les interfaces branchées sur le bus CAN du système de pulvérisation, de données ayant pour effet de déclencher les logiciels des calculateurs du système afin de faire fonctionner la pulvérisation constituait l'accès, le maintien et l'introduction de données dans ce système de traitement automatisé de données, la cour d'appel a retenu que les agriculteurs en devenaient propriétaires, en avaient la maîtrise et disposaient du droit d'accéder à ce système et d'y introduire des données lorsqu'ils commandaient la pulvérisation par l'intermédiaire des interfaces, la société Optima concept ne justifiant d'aucun contrat la liant à la société Kuhn blanchard ou celle-ci aux acquéreurs des pulvérisateurs limitant leur droit de propriété sur ce système et que, lorsqu'ils utilisaient les interfaces litigieuses, ils avaient parfaitement connaissance du fait qu'elles déclenchent le système de pulvérisation.
17. Ayant ainsi suffisamment motivé sa décision, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d'appel a pu écarter l'existence d'une atteinte au système de traitement automatisé de données connu par la société Optima concept.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Optima concept aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Optima concept et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à la société GPS Géomatique agricole, à la société Innov GPS et à M. [V] ainsi que la somme de 3 000 euros à la société Peak System France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.