SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 425 F-D
Pourvoi n° V 23-23.294
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
Mme [U] [V], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 23-23.294 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Aucoffre.com, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations écrites de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Aucoffre.com, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Brinet, conseiller, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 octobre 2023), Mme [V] a été engagée, en qualité de conseillère, le 2 juillet 2012 par la société Aucoffre.com, spécialisée dans la commercialisation d'or et de matériaux précieux.
2. Le 29 juillet 2016, la société a notifié à la salariée un avertissement.
3. Licenciée par lettre du 24 mars 2017, la salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation de cet avertissement ainsi que le paiement de diverses sommes au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'un rappel de commissions et de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour sanction injustifiée et exécution déloyale du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et partant de la débouter de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié ne constitue pas une faute ; qu'en l'espèce, les faits visés dans la lettre de licenciement, qui reprochaient à la salariée une insuffisance professionnelle consécutive à sa négligence fautive et son manque total d'investissement personnel pour accomplir son travail, présentaient un caractère disciplinaire ; qu'en se bornant dès lors à relever, pour juger que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, que l'insuffisance de résultats reprochée à la salariée était établie, sans caractériser l'abstention volontaire ou la mauvaise volonté délibérée de la salariée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1232 1 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que l'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié ne constitue pas une faute ; qu'en l'espèce, les faits visés dans la lettre de licenciement, qui reprochaient à la salariée une insuffisance professionnelle consécutive à sa négligence fautive et son manque total d'investissement personnel pour accomplir son travail, présentaient un caractère disciplinaire ; qu'en se bornant dès lors à relever, pour juger que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, que le manque d'autonomie de la salariée, à l'origine de sa baisse de résultats, était établi en l'espèce, sans caractériser l'abstention volontaire ou la mauvaise volonté délibérée de la salariée, alors que le manque d'autonomie n'est pas une faute, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail que l'employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu'ils procèdent de faits distincts.
7. La cour d'appel, après avoir constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée une insuffisance professionnelle, une négligence fautive et un manque total d'investissement, a retenu que l'insuffisance de résultats était caractérisée dans la mesure notamment où ils étaient inférieurs à ceux de ses deux autres collègues ayant une expérience comparable, malgré les mesures prises par l'employeur pour soutenir son activité et ses alertes répétées à la suite desquelles elle n'avait pas réagi.
8. Elle a ensuite relevé que le grief relatif au manque d'autonomie était également établi et se trouvait manifestement à l'origine de la baisse de résultats, alors que la salariée bénéficiait d'un statut de cadre et que son emploi impliquait une autonomie.
9. De ces constatations et énonciations, elle a pu déduire, sans être tenue d'examiner le grief de nature disciplinaire tenant à une attitude inacceptable avec un client, que le licenciement procédait d'une cause réelle et sérieuse.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'annulation de l'avertissement du 29 juillet 2016 et de condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice pour sanction injustifiée, alors « qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ; qu'en déboutant la salariée de sa demande d'annulation de l'avertissement du 29 juillet 2016, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée si les faits reprochés à la salariée, qui avaient la nature d'une insuffisance professionnelle, présentaient un caractère fautif, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 1333-1, alinéa 1er, du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1331-1 et L. 1332-2 du code du travail :
12. Il résulte de ces textes que l'avertissement délivré par écrit au salarié par l'employeur est une sanction.
13. L'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.
14. Pour rejeter la demande en annulation de l'avertissement, l'arrêt retient que le grief tiré d'une insuffisance de résultats est établi et que l'avertissement est justifié, étant observé que cette sanction s'accompagne d'un plan d'action personnalisé destiné à aider la salariée à améliorer sa performance.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'insuffisance de résultats reprochés à la salariée procédait d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que la mise en place d'un dispositif de surveillance illicite porte atteinte au droit au respect à la vie privée du salarié ; qu'en l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, la cour d'appel a relevé que la salariée ne justifiait pas du préjudice que lui aurait causé l'exploitation des systèmes de surveillance, ayant fait l'objet d'une régularisation, même tardive, de la part de l'employeur ; qu'en statuant ainsi, alors que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation, la cour d'appel a violé l'article 9 du code civil, ensemble les articles L. 1121-1 et L. 1222-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 9 du code civil :
17. Selon ce texte, chacun a droit au respect de sa vie privée ; les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée.
18. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts résultant de l'atteinte à son droit à l'image et à la vie privée, causée par l'utilisation de systèmes d'écoute téléphonique des salariés et de vidéosurveillance dont elle n'avait pas été informée, l'arrêt retient que la salariée ne rapporte pas la preuve de faits liés à l'exploitation de ces systèmes de surveillance ayant porté une atteinte à sa vie privée ou lui ayant causé un préjudice dans le cadre de son activité professionnelle et que ces dispositifs, prévus au règlement intérieur et déclarés, même tardivement, à la CNIL doivent donc être regardés comme régularisés de sorte que, en l'absence de préjudice subi par la salariée, la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail n'est pas justifiée.
19. En statuant ainsi, alors que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et déboute Mme [V] de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il rejette ses demandes relatives au manque de transparence dans le calcul des commissions, l'arrêt rendu le 12 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la société Aucoffre.com aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aucoffre.com et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.