Demande d'avis
n°K 23-15.971
Juridiction : la cour d'appel de Caen
CF
Avis du 30 avril 2025
n° 252 FS-D
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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COUR DE CASSATION
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Première chambre civile
La Cour de cassation, troisième chambre civile, saisie du pourvoi n° K 23-15.971 formé par M. et Mme [O], domiciliés tous deux [Adresse 1], contre l'arrêt rendu le 16 février 2023 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale et baux ruraux), dans le litige les opposant à M. et Mme [P], domiciliés tous deux [Adresse 2], et Mme [R], domiciliée [Adresse 3], a sollicité le 14 novembre 2024, l'avis de la première chambre civile, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat M. et Mme [O], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [R], et la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [P], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025, où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Bosse-Platière, conseiller à la 3e chambre civile qui a assisté au délibéré, M. Duval, Mmes Azar, Lion, Daniel, Marilly, Vanoni-Thiery, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, Mme Layemar, greffier de chambre ;
La première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a émis le présent avis.
Énoncé de la demande d'avis
1. Par décision du 14 novembre 2024, la troisième chambre civile a transmis à la première chambre civile, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile, une demande d'avis portant sur les questions suivantes :
« 1. Les dispositions des articles 1425 et 1427 du code civil, qui régissent les actes de disposition sur les biens communs des époux mariés sous le régime de la communauté légale et prévoient notamment la nullité d'un bail, consenti par un seul époux, d'un fonds rural dépendant de la communauté, sauf ratification par l'autre époux, excluent-elles l'application des règles de la gestion d'affaires ?
2. En cas de réponse négative à la première question, dans les rapports entre époux, le recours aux règles de la gestion d'affaires prévu à l'alinéa 2 de l'article 219 du code civil est-il subordonné au fait que l'autre époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté ? »
Examen de la demande d'avis
Sur la première question
3. Aux termes de l'article 219, alinéa 2, du code civil, à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d'habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l'autre ont effet, à l'égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d'affaires.
4. Selon l'article 226 du même code, ces dispositions sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux.
5. En application de l'article 1425 du code civil, les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, donner à bail un fonds rural dépendant de la communauté.
6. Aux termes de l'article 1427 du même code, si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation. L'action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.
7. Il résulte de la combinaison des trois premiers de ces textes que si un époux est dépourvu du pouvoir de consentir seul au bail d'un fonds rural commun, un tel acte fait par un époux en représentation de l'autre suivant les règles de la gestion d'affaires n'encourt pas la sanction prévue par le quatrième.
8. Il y a donc lieu de répondre par la négative à la première question.
Sur la seconde question
9. L'article 219 du code civil dispose :
« Si l'un des époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté, l'autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d'une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l'exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l'étendue de cette représentation étant fixées par le juge.
A défaut de pouvoir légal, de mandat ou d'habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l'autre ont effet, à l'égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d'affaires. »
10. Les dispositions de chacun des alinéas de cet article, qui ont pour objet commun d'énoncer les modalités d'une représentation d'un époux par son conjoint à l'initiative de ce dernier, énoncent des conditions de mise en oeuvre qui leur sont propres.
11. Dès lors, le recours aux règles de la gestion d'affaires prévu à l'alinéa 2 de l'article 219 du code civil n'est pas subordonné à la condition que l'autre époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté.
12. Il y a donc également lieu de répondre par la négative à la seconde question.
PAR CES MOTIFS, la première chambre civile :
EST D'AVIS QUE :
- les dispositions des articles 1425 et 1427 du code civil, en ce qu'elles prévoient la nullité du bail d'un fonds rural dépendant de la communauté consenti par un seul époux à défaut de ratification par l'autre époux, n'excluent pas l'application à ce bail des règles de la gestion d'affaires ;
- le recours aux règles de la gestion d'affaires prévu à l'alinéa 2 de l'article 219 du code civil n'est pas subordonné à la condition que l'autre époux se trouve hors d'état de manifester sa volonté ;
Ordonne la transmission du dossier et de l'avis à la troisième chambre civile.
Ainsi fait et émis par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille vingt-cinq et signé par Mme Champalaune, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vignes, greffier de chambre ;