CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 266 F-B
Pourvoi n° R 23-15.838
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
1°/ M. [S] [T], domicilié [Adresse 9],
2°/ Mme [Z] [T], épouse [Y], domiciliée [Adresse 10],
3°/ Mme [G] [T], épouse [E], domiciliée [Adresse 4],
4°/ M. [C] [T], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 23-15.838 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [O] [T], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [J] [T], domiciliée [Adresse 7],
3°/ à Mme [V] [T], domiciliée [Adresse 1],
4°/ à Mme [M] [A], domiciliée [Adresse 5],
5°/ à M. [H] [A], domicilié [Adresse 8],
6°/ à M. [F] [A], domicilié [Adresse 6],
7°/ à M. [N] [A], domicilié [Adresse 11],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de MM. [S], [C] [T] et de Mmes [G] et [Z] [T], après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 3 novembre 2022), [K] [T] et [R] [W] sont respectivement décédés les 7 septembre 1989 et 23 avril 2014, en laissant pour leur succéder leurs sept enfants, MM. [S] et [C] [T] et Mmes [Z], [G], [J], [V] et [O] [T], ainsi que leurs quatre petits-enfants, MM. [H] et [N] [A], et Mme [M] et M. [F] [A], venant en représentation de leur mère, [X] [T], prédécédée.
2. Mmes [J], [V] et [O] [T] ont assigné MM. [S] et [C] [T] et Mmes [Z] et [G] [T] en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage des successions de leurs père et mère.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. MM. [S] et [C] [T], et Mmes [Z] et [G] [T] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande de condamnation de Mme [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation, alors « qu'en matière de liquidation et de partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif et à la fixation de leurs droits, les demandes formées pour la première fois en appel, qui se rattachent aux bases mêmes de la liquidation, tendent à faire écarter pour partie les prétentions adverses et sont, dès lors, recevables ; que, pour déclarer irrecevable la demande des consorts [T] tendant à la condamnation de Mme [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation, présentée pour la première fois à hauteur d'appel, la cour d'appel retient que les demandeurs ne peuvent soutenir qu'ils ignoraient en première instance la présence de cette dernière au domicile familial ; qu'en statuant ainsi, quand cette demande tendait à faire échec aux prétentions de Mme [J] [T] relatives au partage des successions de [R] [W] et d'[K] [T], de sorte qu'elles tendait aux mêmes fins que leurs demandes soumises aux premiers juges, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 564 du code de procédure civile :
4. Il résulte de ce texte que les parties peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses. En matière de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif, de telle sorte que toute demande doit être considérée comme une défense à la prétention adverse.
5. Pour déclarer irrecevable la demande de condamnation de Mme [J] [T] à régler à l'indivision une indemnité d'occupation de la maison familiale située à [Localité 12], l'arrêt relève qu'il résulte du jugement que MM. [S] et [C] [T] et Mmes [Z] et [G] [T] n'ignoraient pas que Mme [J] [T] résidait, avec sa soeur Mme [O] [T], au domicile de leur mère. Il en déduit que cette prétention, non présentée devant les premiers juges, constitue une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. MM. [S] et [C] [T], et Mmes [Z] et [G] [T] font grief à l'arrêt de décider que l'indivision successorale est débitrice, envers Mme [O] [T], d'une indemnité de 35 000 euros au titre de l'assistance et des soins donnés à sa mère, alors « que la créance d'aide et d'assistance apportée à un parent, immédiatement exigible, se prescrit à compter du jour où l'aide et l'assistance ont été apportées ; que, pour écarter la fin de non recevoir soulevée par les consorts [T], la cour d'appel retient que l'indemnisation de Mme [O] [T] au titre de l'aide et de l'assistance apportée à sa mère, à la supposer établie, est née à l'encontre de la succession de la mère, [R] [W], au décès de cette dernière, soit le 23 avril 2014, de sorte que la demande en paiement de celle-ci formée le 28 février 2019, soit dans le délai de prescription de cinq ans, est recevable ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'indemnité était exigible dès l'aide apportée chaque jour à [R] [W] de sorte que la prescription courait à compter de cette date, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil et les principes qui régissent l'enrichissement sans cause :
8. Il résulte de ce texte et de ces principes que l'aide et l'assistance apportées par un enfant à ses parents peuvent donner lieu au paiement d'une indemnité dans la mesure où, excédant les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif de ses parents, et que la créance en résultant, immédiatement exigible auprès de leurs bénéficiaires, se prescrit selon les règles du droit commun, soit cinq ans à compter de la date à laquelle celui qui la revendique a connu les faits lui permettant d'exercer son action.
9. Pour dire recevable la demande formée par Mme [O] [T] à l'encontre de l'indivision successorale au titre de l'aide et l'assistance apportées à [R] [W], l'arrêt retient que cette demande ne concerne pas la rémunération d'une obligation à exécution successive mais l'indemnisation de l'appauvrissement résultant de l'exécution d'une obligation naturelle excédant les exigences de la piété filiale et ayant procuré un profit au parent qui en a bénéficié. Il en déduit que la créance de Mme [O] [T] à ce titre, à la supposer établie, est née à l'encontre de la succession de [R] [W] au décès de cette dernière, soit le 23 avril 2014, de sorte que la demande en paiement, datée du 28 février 2019, a été formée dans le délai de prescription de cinq ans.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation des chefs de dispositif déclarant irrecevable la demande de condamnation de Mme [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation et disant que l'indivision successorale est débitrice, envers Mme [O] [T], d'une indemnité de 35 000 euros au titre de l'assistance et des soins donnés à sa mère n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt disant que chaque partie conservera la charge des dépens et autres frais par eux exposés et rejetant la demande formée par MM. [S] et [C] [T] et Mmes [G] et [Z] [T] en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de condamnation de Mme [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation et dit que l'indivision successorale est débitrice, envers Mme [O] [T], d'une indemnité de 35 000 euros au titre de l'assistance et des soins donnés à sa mère, l'arrêt rendu le 3 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne Mmes [O], [J], [V] [T], Mme [M] [A] et MM. [H], [F] et [N] [A] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mmes [O], [J], [V] [T], Mme [M] [A] et MM. [H], [F] et [N] [A] à payer à MM. [S] et [C] [T], et Mmes [Z] et [G] [T] la somme de globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Champalaune, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur et Mme Vignes, greffier de chambre.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre