CIV. 1
CC
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 259 F-D
Pourvoi n° P 23-10.983
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
1°/ M. [R] [O], domicilié [Localité 6], [Localité 9],
2°/ M. [V]-[N] [O], domicilié [Adresse 2], [Localité 14],
ont formé le pourvoi n° P 23-10.983 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2022 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [N]-[A] [I] [O], domiciliée [Adresse 17], [Localité 16],
2°/ à Mme [T] [I], épouse [M], domiciliée [Adresse 5], [Localité 15],
3°/ à M. [U] [O], domicilié [Adresse 3], [Localité 8],
4°/ à M. [B] [O], domicilié [Adresse 13], [Localité 10], précédemment [Adresse 7] [Localité 12],
5°/ à Mme [G] [C], domiciliée [Adresse 4], [Localité 11],
6°/ à M. [K] [O], domicilié [Adresse 1], [Localité 9],
défendeurs à la cassation.
Mme [I] [O], et de Mme [T] [I] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Mme [I] [O], et de Mme [T] [I] invoquent, à l'appui de leur recour, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de MM. [R] et [V]-[N] [O], de la SARL Gury & Maitre, avocat de Mme [I] [O], et de Mme [T] [I], après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens,10 novembre 2022), [N] [E] est décédée le 3 avril 2013, en laissant pour lui succéder ses trois enfants, MM. [V]-[N] et [R] [O] et Mme [N]-[A] [I]-[O].
2. Des difficultés étant survenues lors du règlement de la succession, Mme [I]-[O] a assigné ses frères en partage.
3. Ceux-ci ont appelé en intervention forcée certains petits-enfants de la défunte, Mmes [T] [I] et [G] [C] et MM. [U], [B] et [K] [O].
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. MM. [V]-[N] et [R] [O] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à voir écarter l'application des testaments des 27 juillet 1992 et 12 décembre 1994 et en contestation des dettes y étant évoquées, alors « que dans le dispositif de leurs dernières conclusions de première instance, MM. [R] et [V]-[N] [O] avaient demandé au tribunal de débouter Mme [N]-[A] [I] de l'intégralité de ses demandes", lesquelles tendaient notamment à ce que le tribunal di(s)e que les testaments des 27 juillet 1992 et 12 décembre [1994] devront être appliqués en leur forme et teneur comme étant relatifs aux dettes de MM. [R] et [V] [N] [O] envers feue Madame [N] [E] veuve [O]" ; qu'en retenant néanmoins, pour déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes de MM. [O] tendant à ce que les testaments soient écartés et à la remise en cause des dettes reprises sur ces testaments, qu'ils n'avaient formé en première instance aucune demande tendant à la remise en cause de l'application des testaments en question, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l' article 4 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
6. Pour déclarer irrecevables les demandes de MM. [V]-[N] et [R] [O] tendant à voir écarter l'application des testaments des 27 juillet 1992 et 12 décembre 1994 et en contestation des dettes y étant évoquées, l'arrêt retient qu'en première instance, ceux-ci n'ont formé aucune demande tendant à la remise en cause de l'application des testaments litigieux et que ces demandes, formées pour la première fois en appel, ne peuvent être considérées comme le prolongement ou l'accessoire de celle formée en première instance par Mmes [I]-[O] et [I] tendant à cette application.
7. En statuant ainsi, alors qu'au dispositif de leurs conclusions de première instance, MM. [V]-[N] et [R] [O] avaient sollicité le rejet de l'intégralité des demandes de Mme [I]-[O], la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. MM. [V]-[N] et [R] [O] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande tendant au rapport des donations de biens immobiliers, alors « qu'en matière de liquidation et partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse ; qu'en retenant néanmoins, pour statuer comme elle l'a fait, que la demande de MM. [O] tendant au rapport des donations était incontestablement nouvelle pour n'avoir pas été soumise au premier juge, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 564 du code de procédure civile :
9. Il résulte de ce texte que les parties peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses. En matière de partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse.
10. Pour déclarer irrecevable, comme étant nouvelle, la demande en rapport de donations de biens immobiliers formée par MM. [V]-[N] et [R] [O], l'arrêt retient que ceux-ci n'ont saisi le premier juge d'aucune demande à ce titre.
11. En statuant ainsi, alors que leur demande constituait une défense aux prétentions adverses, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. Mmes [I]-[O] et [I] font grief à l'arrêt de dire que les sommes investies par [N] [E] dans quatre contrats d'assurance sur la vie souscrits, pour les trois premiers, auprès du Crédit agricole et, pour le quatrième, auprès du Gan devront être intégrées dans sa succession, alors « que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le souscripteur d'une assurance-vie à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, un tel caractère s'appréciant au regard de l'âge, de l'utilité de l'opération, ainsi que des situations patrimoniales et familiales du souscripteur au jour de leur versement et non au regard de l'actif successoral ; qu'au cas présent, pour ordonner le rapport à la succession des primes d'un montant de 223 124,21 euros versées par [N] [E] au titre des contrats Crédit agricole et Gan, la cour d'appel a comparé leur montant à la valeur de l'actif successoral et non au regard de la situation patrimoniale de [N] [E] à chaque versement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-13 du code des assurances :
13. Selon ce texte, les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession ou soumises à réduction que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur. Un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci.
14. Pour dire que les sommes investies par [N] [E] dans quatre contrats d'assurance sur la vie souscrits, pour les trois premiers, auprès du Crédit agricole et, pour le quatrième, auprès du Gan devront être intégrées dans sa succession, l'arrêt retient que celles-ci, qui se sont élevées à 223 124,21 euros cependant que l'actif successoral est évalué à 694 397,62 euros, sont excessives eu égard à l'absence d'aléa et à l'inutilité pour le souscripteur de ces contrats, qui ne visaient qu'à avantager Mme [I]-[O] et ses enfants, au détriment de MM. [V]-[N] et [R] [O].
15. En se déterminant ainsi, sans avoir égard à la situation patrimoniale de la souscriptrice au moment du versement des primes litigieuses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
16. Mmes [I]-[O] et [I] font grief à l'arrêt de dire que les sommes investies par [N] [E], au-delà de son soixante-dixième anniversaire, dans les contrats d'assurance sur la vie Confluence et Caisse d'Epargne, devront être intégrées dans sa succession, alors « que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le souscripteur d'une assurance-vie à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, un tel caractère s'appréciant au regard de l'âge, de l'utilité de l'opération, ainsi que des situations patrimoniales et familiales du souscripteur au jour de leur versement ; qu'au cas présent, pour ordonner le rapport à la succession des primes versées par Mme [E], veuve [O] au titre des contrats Confluences et Caisse d'épargne, la cour d'appel a estimé que ces primes s'élevaient à environ 74 484 € alors qu'à la même époque elle avait par ailleurs versé environ 223 124,21 € au titre des contrats d'assurances vie Crédit Agricole et Gan ; qu'en statuant de la sorte sans examiner le caractère manifestement exagéré de ces primes au regard de la situation de fortune de Mme [E] veuve [O] au jour de chacun des versement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-13 du code des assurances :
17. Pour dire que les sommes investies par [N] [E], au-delà de son soixante-dixième anniversaire, dans le contrat d'assurance sur la vie Confluence et sur deux contrats d'assurance sur la vie souscrits auprès de la Caisse d'Epargne devront être réintégrées dans sa succession, l'arrêt retient que celles-ci, qui se sont élevées à 74 484 euros alors qu'à la même époque la défunte avait par ailleurs versé 223 124,21 euros au titre de ses quatre autres contrats d'assurance sur la vie, sont incontestablement exagérées eu égard à leur inutilité pour la souscriptrice qui n'a manifestement cherché qu'à avantager Mme [I]-[O] et ses enfants, au détriment de MM. [V]-[N] et [R] [O].
18. En se déterminant ainsi, sans avoir égard à l'ensemble de la situation patrimoniale de la souscriptrice au moment du versement des primes litigieuses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes de MM. [V]-[N] et [R] [O] tendant à voir écarter l'application des testaments des 27 juillet 1992 et 12 décembre 1994 et en contestation des dettes y étant évoquées entraîne la cassation du chef de dispositif disant que les testaments du 27 juillet 1992 et 12 décembre 2014 (sic) recevront application avec actualisation des dettes avant et après le décès de [N] [E] qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de MM. [R] et [V]-[N] [O] tendant à écarter l'application des testaments, en contestation des dettes évoquées sur ces testaments et au rapport des donations reçues de biens immobiliers et dit que les testaments des 27 juillet 1992 et 12 décembre 2014 (sic) recevront application avec actualisation des dettes avant et après le décès de [N] [E] veuve [O] et que les sommes investies par [N] [E] dans les contrats d'assurance sur la vie Predige n° 05202134731, Carissime n° 72520213009 et Predige n° 86772520213004 souscrits auprès du Crédit Agricole et GAN n° 29/380770 et, au-delà de son soixante-dixième anniversaire, dans les contrats d'assurance sur la vie Confluence n° 72520213005, Caisse d'Epargne n° 518190330 et Caisse d'Epargne n° 405365478 devront être intégrées dans la succession de [N] [E], l'arrêt rendu le 10 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Champalaune, président, Mme Dard, conseiller rapporteur et Mme Vignes, greffier de chambre.