SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 29 avril 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 405 F-D
Pourvoi n° Y 23-21.135
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 AVRIL 2025
La Société européenne du meuble, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 23-21.135 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [T] [L], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société européenne du meuble, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [L], après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 juillet 2023), M. [L] a été engagé en qualité de directeur commercial le 1er juillet 2019 par la Société européenne du meuble.
2. L'employeur a remis au salarié des documents de fin de contrat indiquant une rupture de la relation contractuelle au 17 janvier 2020.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de faire constater le caractère abusif de la rupture de son contrat, l'exécution déloyale du contrat par l'employeur ainsi que son manquement à l'obligation de sécurité.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ; que l'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, permettant d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte ; qu'en jugeant le contraire, pour écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail et accorder à M. [L] une indemnité équivalente à trois mois de salaires lorsqu'il ne pouvait prétendre, en application du barème, qu'à une indemnité plafonnée à un mois de salaire, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :
5. Aux termes de ce texte, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.
6. Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
7. L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, permettant d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
8. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne sont d'application directe dans le système juridique français s'agissant des modalités qu'elles prévoient pour réparer le licenciement injustifié d'un travailleur, qu'elles peuvent dès lors être invoquées dans un litige entre deux particuliers en ce qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir uniquement les relations entre les Etats parties mais concernent les rapports entre un employeur et un travailleur, et qu'elles garantissent un droit précis, clair et inconditionnel pour le travailleur, en cas de licenciement injustifié, d'obtenir le versement d'une indemnité adéquate ou d'une autre réparation appropriée.
9. L'arrêt ajoute que cet article ne prévoit aucune marge de manoeuvre aux Etats parties qui s'engagent à reconnaître les droits qui y sont énoncés, que la partie III de la Charte précise que les Etats parties sont tenus, au-delà de la déclaration d'objectifs à atteindre, de s'engager à être liés sur un nombre minimum d'articles, tout en pouvant faire des réserves, que les articles H (relations entre la Charte et le droit interne ou les accords internationaux de cette même Charte) et I (mise en oeuvre des engagements souscrits) permettent clairement d'en déduire qu'il ne s'agit pas uniquement d'objectifs à atteindre mais bien d'engagements contraignants pour les Etats parties s'agissant des articles pour lesquels ils se sont estimés liés, que l'Etat français n'a formulé aucune réserve, et notamment au titre de la partie III, article A, Engagements, à la Charte sociale européenne dont il a accepté l'application de l'ensemble des articles, et qu'aucun acte complémentaire des Etats n'est nécessaire pour que ces stipulations produisent des effets à l'égard des particuliers dès lors que l'Etat a instauré un organe pour connaître des litiges relatifs à un licenciement allégué comme injustifié, ce qui est le cas en vertu de l'article L. 1411-1 du code du travail confiant au conseil de prud'hommes, compétence pour régler les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du même code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
10. L'arrêt en conclut qu'eu égard à l'applicabilité directe de l'article 24 de la Charte sociale européenne et au fait que les barèmes d'indemnisation prévus par l'article L. 1235-3 du code du travail ne garantissent pas au salarié licencié de manière injustifiée, hors les cas de nullités, une indemnité adéquate, en l'espèce avec un plafond équivalent à un mois de salaire au maximum, il y a lieu d'écarter ceux-ci et d'apprécier souverainement les éléments de préjudice pour déterminer une indemnité adéquate réparant, en l'absence de réintégration, le préjudice subi à raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. Tel que suggéré par l'employeur, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. Au regard de l'ancienneté du salarié inférieure à un an, la Cour dispose des éléments suffisants pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle correspond à un mois de salaire.
15. La cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Société européenne du meuble à payer à M. [L] la somme de 12 000 euros brut à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 6 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la Société européenne du meuble à payer à M. [L] la somme de 4 000 euros brut à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.