SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 29 avril 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 416 F-D
Pourvoi n° P 23-20.344
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 AVRIL 2025
La société Gestion interactive des bagages en correspondance (GIBAG SGH), société par actions simplifiée à associé unique, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-20.344 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2022, rectifié par arrêt du 8 septembre 2022, par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [W], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société GH Team Ramp Services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société [H] MJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de M. [C] [H], en qualité de mandataire ad litem de la société GH Team Ramp Services,
4°/ à l'association Unédic-délégation AGS IDF EST, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
M. [W] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Laplume, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Gestion interactive des bagages en correspondance, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [W], après débats en l'audience publique du 19 mars 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Laplume, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2022, rectifié par arrêt du 8 septembre 2022), M. [W] a été engagé le 21 juillet 2003 en qualité d'agent de trafic par la société Trac - Piste.
2. Le 10 octobre 2011, il a été victime d'un accident du travail et placé en arrêt de travail.
3. Le contrat de travail a été transféré le 5 juin 2012 à la société Swissport, devenue la société GH Team Ramp Services, qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 10 mai 2017, puis le 1er décembre 2016 à la société Gestion interactive des bagages en correspondance SGH.
4. La relation de travail est régie par la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959.
5. Le 31 mars 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de condamnation in solidum des deux employeurs successifs au paiement de rappels de prime d'ancienneté et sur gratification annuelle.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi incident du salarié
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de fixer au passif de l'ancien employeur sa créance à hauteur des sommes à titre de rappels sur gratifications annuelles sur les périodes du 31 mars au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016 et de le débouter de ses autres demandes au titre de la gratification annuelle, alors « que l'article 36 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 10 janvier 1964 autorise les entreprises à déterminer les modalités particulières de versement de la gratification annuelle instituée par le texte, sous réserve de la nécessaire prise en compte des périodes d'absence indemnisées que la présente convention collective met à la charge de l'employeur ; que le texte ne prévoit donc pas, par lui-même, que le versement de la gratification annuelle est subordonné à la condition de présence effective du salarié, l'employeur étant seulement admis à rapporter la preuve de la mise en place régulière d'une telle condition au titre de la détermination, dans l'entreprise, des modalités de versement de la gratification annuelle ; qu'en faisant seulement partiellement droit à la demande de M. [W], pour les seules périodes d'absence pour cause de maladie d'origine professionnelle et à l'exclusion des périodes d'absence pour cause de maladie simple, sans constater l'existence d'une condition régulièrement mise en place dans l'entreprise excluant le versement de ladite gratification au titre des périodes d'absence pour maladie simple, la cour d'appel a violé le texte conventionnel précité. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 36 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959, il est institué une gratification annuelle (prime de fin d'année) dont les modalités sont déterminées au sein de chaque entreprise.
Elle est, au minimum, égale à 100 % du salaire forfaitaire mensuel de l'intéressé.
Pour le calcul de cette prime, sont prises en compte les périodes d'absence indemnisées que la présente convention collective met à la charge de l'employeur.
8. La cour d'appel, qui a constaté que le salarié n'était plus éligible au maintien de salaire tel que conventionnellement prévu, en a exactement déduit qu'au titre des périodes d'absence qu'elle a écartées, il ne pouvait prétendre au paiement de la gratification annuelle.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié des sommes à titre de rappels de prime d'ancienneté sur les périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016 et à titre de gratifications annuelles au titre des mêmes périodes et au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de dire que ces sommes sont dues in solidum par la liquidation judiciaire de la société GH Team Ramp Services et par lui et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors « que lorsque la poursuite d'un contrat de travail résulte de l'application de dispositions conventionnelles qui ne prévoient pas que le nouveau prestataire est tenu des obligations qui incombaient à l'ancien au moment du transfert du contrat de travail, une cour d'appel ne peut pas faire peser sur une entreprise entrante une obligation de payer certaines sommes incombant à l'entreprise sortante ; qu'il ne résulte des dispositions de l'annexe VI de la convention collective du transport aérien-Personnel au sol aucune obligation faite au nouvel employeur d'assumer l'ensemble des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification ; qu'en jugeant que la société GIBAG était tenue envers le salarié aux obligations qui incombaient à son ancien employeur, la société GH Team Ramp Services, et que sa demande de mise hors de cause pour les sommes réclamées par M. [W] avant le jour du transfert de son contrat de travail doit être rejetée puis en condamnant solidairement la société GIBAG et la société GH Team Ramp Services en liquidation judiciaire pour l'ensemble des créances dues, y compris pour la période antérieure au changement d'employeur, la cour d'appel a violé par fausse application les dispositions de l'annexe VI de la convention collective du transport aérien-Personnel au sol. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2.1 et 4 de l'annexe VI relative au transfert de personnel entre entreprises d'assistance en escale à la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959 :
11. Aux termes du premier de ces textes, lorsque la prestation d'assistance en escale, reprise par l'entreprise entrante, correspond au périmètre de l'activité effectuée par l'entreprise sortante (périmètre identique) et que la prestation est effectuée par des personnels uniquement dédiés à cette prestation, sans pour autant que les conditions de l'article L. 1224-1 du code du travail soient remplies, les contrats de travail de ces personnels sont transférables sous réserve que les salariés soient affectés à la réalisation de la prestation, depuis au moins 4 mois, ou présents sur un poste nécessaire à la réalisation de la prestation existant depuis au moins 4 mois, au moment où débutent les opérations de transfert. Ces salariés doivent également remplir, au jour du transfert, les conditions requises pour exercer leur emploi (habilitations, formations réglementaires...). Il appartient à l'entreprise sortante de vérifier que ces conditions sont remplies.
12. Selon le second, lorsque le salarié accepte son transfert, l'entreprise sortante établit un solde de tout compte et un certificat de travail en précisant les droits acquis au titre du DIF.
La gratification annuelle est versée au salarié par l'entreprise sortante prorata temporis dans le cadre de son solde de tout compte.
Les congés payés acquis et non pris au jour du transfert sont en principe transférés chez l'entreprise entrante.
A défaut d'accord entre les deux entreprises, une indemnité compensatrice de congés payés est versée au salarié avec son solde de tout compte. Dans ce cas, le salarié a droit à un congé sans solde équivalant aux droits acquis à la date du transfert et pris conformément aux dispositions légales régissant les conditions de départ en congé payé.
13. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des sommes à titre de rappels de prime d'ancienneté et sur gratifications annuelles et dire que ces sommes sont dues in solidum par la liquidation judiciaire de l'ancien employeur et par l'employeur, l'arrêt retient que, conformément aux dispositions de l'annexe VI de la convention collective du transport aérien-personnel au sol applicable en l'espèce, en cas de transfert de marché, le repreneur s'engage à reprendre ce personnel dans les mêmes conditions que celles résultant d'une application légale des transferts des contrats de travail et que le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations qui incombaient à son ancien employeur.
14. En statuant ainsi, alors que les dispositions conventionnelles ne prévoient pas que le nouveau prestataire est tenu des obligations qui incombaient à l'ancien au moment du transfert du contrat de travail, la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence d'une convention entre les deux entreprises mettant à la charge de l'entreprise entrante les sommes dues au salarié par l'entreprise sortante, a violé les textes susvisés.
Et sur le premier moyen du pourvoi incident, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de fixer au passif de l'ancien employeur la créance du salarié à hauteur d'une certaine somme à titre de rappels de prime d'ancienneté sur les périodes du 31 mars au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016 et de débouter le salarié de ses autres demandes au titre de la prime d'ancienneté
Enoncé du moyen
15. Le salarié fait ce grief à l'arrêt, alors « que la prime d'ancienneté prévue par l'article 9 de l'annexe II de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 10 janvier 1964 n'est pas supprimée en cas d'absence du salarié ; qu'en jugeant que M. [W] pouvait prétendre au paiement de cette prime, uniquement au titre de ses périodes d'absence pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle mais non au titre de ses périodes d'absence pour cause de maladie simple, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article 35 de la convention collective précitée. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 9 de l'annexe II de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959 :
16. Aux termes de ce texte, il est attribué aux agents d'encadrement et techniciens une prime d'ancienneté en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise telle qu'elle est définie à l'article 35 de la convention collective nationale.
A l'issue de chaque année d'ancienneté, le montant de cette prime ne peut être inférieur au produit du nombre d'années d'ancienneté par 1 % des appointements minimaux correspondant au coefficient hiérarchique de l'intéressé dans l'entreprise, l'application de cette règle étant limitée aux 15 premières années d'ancienneté.
17. Aux termes de l'article 35 de la convention collective nationale, pour l'application des dispositions de la présente convention et de ses annexes, on entend par présence continue le temps écoulé depuis la date de départ du contrat de travail en cours, sans que soient exclues les périodes pendant lesquelles le contrat a été suspendu.
Néanmoins, les périodes de suspension du contrat de travail prévues aux articles L. 1225-54 et L. 1225-65 du code du travail (congé parental d'éducation et congé de présence parental), les congés spéciaux prévus par la convention collective nationale du transport aérien-personnel au sol aux articles 28 b, 3, et 30, ainsi que les périodes d'absence pour maladie pour la durée d'indemnisation prévue à l'article 26 de la convention collective nationale du transport aérien-personnel au sol seront prises en compte intégralement pour le calcul de l'ancienneté.
Pour la détermination de l'ancienneté, il est tenu compte non seulement de la présence continue au titre du contrat en cours mais également, le cas échéant, de la durée des contrats antérieurs, à l'exclusion toutefois de ceux qui auraient été rompus pour faute grave ou dont la résiliation aurait été le fait du salarié intéressé.
18. Pour faire droit à la demande en paiement de la prime d'ancienneté pour les seules périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016, l'arrêt retient que dès lors que les arrêts de travail pour maladie ne sont pas assimilés à des périodes de travail effectif et qu'au-delà des périodes de maintien de salaire conventionnellement prévues (lequel n'était plus applicable sur la période sur laquelle des rappels au titre de la prime d'ancienneté sont sollicités), aucune disposition conventionnelle ne précise qu'elles ouvrent droit au versement de la prime d'ancienneté, il y a lieu de dire qu'elles n'ouvrent pas droit au paiement de la prime d'ancienneté.
19. En statuant ainsi, alors que les dispositions conventionnelles ne subordonnent pas le versement de la prime d'ancienneté à l'accomplissement d'un travail effectif, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation du chef de dispositif fixant au passif de l'ancien employeur une somme à titre de rappels de prime d'ancienneté sur les périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016 n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt fixant à son passif la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Gestion interactive des bagages en correspondance SGH à verser à M. [W] les sommes de 7 117,02 euros à titre de rappels de prime d'ancienneté sur les périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016, 4 046,31 euros à titre de rappel sur gratifications annuelles sur les périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016, 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il limite la fixation au passif de la société GH Team Ramp Services des créances de M. [W] à la somme de 7 117,02 euros à titre de rappels de prime d'ancienneté sur les périodes du 31 mars 2014 au 30 juin 2014 et du 1er mai 2015 au 30 novembre 2016, dit que ces sommes sont dues in solidum par la liquidation judiciaire de la société GH Team Ramp Services et par la société Gestion interactive des bagages en correspondance, déboute M. [W] de sa demande au titre de la prime d'ancienneté de décembre 2016 à août 2021 et condamne la société Gestion interactive des bagages en correspondance SGH aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 19 mai 2022 et rectifié le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt rectifié et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié par la cour d'appel de Paris et partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.