SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 377 F-D
Pourvoi n° X 24-11.662
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
M. [C] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 24-11.662 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2023 par la cour d'appel de Caen (1re chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Electricité de France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Socotec Power Services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [J], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Socotec Power Services, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Electricité de France, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 décembre 2023), M. [J] a été engagé à compter du 29 mai 2009 par la société Socotec Power Services.
2. Licencié pour faute le 30 août 2018, il a saisi la juridiction prud'homale notamment pour contester la rupture de son contrat.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à 23 000 euros la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'article 24.b de la Charte sociale européenne dispose qu'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ; que cette disposition qui crée des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la charte, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire, est d'effet direct en droit interne ; que l'absence d'un tel effet ne saurait être déduite de la circonstance que la disposition désigne les Etats parties comme sujets de l'obligation qu'elle définit ; qu'en refusant de juger que cette stipulation pouvait être invoquée utilement par un salarié pour écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail en présence d'une atteinte manifeste au droit à une indemnité adéquate en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 24.b de la Charte sociale européenne ;
2°/ que l'article 24.b de la Charte sociale européenne, doté d'un effet direct entre particuliers, dispose qu'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ; que comme en a décidé le comité européen des droits sociaux dans sa décision du 23 mars 2022, les plafonds prévus par l'article L. 1235-3 du code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l'employeur ; qu'en outre le juge ne dispose que d'une marge de manoeuvre étroite dans l'examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés ; que pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l'affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé ; qu'en outre, les dérogations aux plafonds du barème sont limitées à certains cas ; qu'à la lumière de ces éléments, le droit à une indemnité adéquate au sens de l'article 24.b de la Charte sociale européenne n'est pas garanti par l'article L. 1235-3 dudit code ; qu'en refusant de déclarer cette disposition nationale incompatible avec l'article 24.b de la Charte sociale européenne, la cour d'appel a violé ledit article 24.b de la Charte sociale européenne ;
3°/ que l'article 24.b de la Charte sociale européenne dispose qu'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ; que cette disposition dotée d'un effet direct entre les particuliers peut être invoquée utilement par un salarié pour écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail, au regard de sa situation concrète et particulière, en cas d'atteinte manifeste à son droit à une indemnisation adéquate du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi ; qu'en s'abstenant de constater que la situation concrète du salarié, âgé de 55 ans au moment du licenciement et ayant totalisé neuf ans d'ancienneté, indûment licencié pour inexécution d'une clause de mobilité entachée de nullité et pour avoir annulé en toute légitimité une visio-conférence avec un client, nécessitait, pour que soit réparée l'intégralité de son préjudice, d'écarter le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, lequel faisait obstacle au versement d'une indemnité au-delà du plafond de 27 728,73 euros (9 mois de salaire), la cour d'appel a violé l'article 24.b de la Charte sociale européenne ;
4°/ qu'aux termes de l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ; que cette disposition, qui crée des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire, est d'effet direct en droit interne ; qu'il en résulte que cette disposition dotée d'un effet direct entre les particuliers peut être invoquée utilement par un salarié pour écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail, au regard de sa situation concrète et particulière, en cas d'atteinte manifeste à son droit à une indemnisation adéquate du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi ; qu'en s'abstenant de constater que la situation concrète du salarié, âgé de 55 ans au moment du licenciement et ayant totalisé neuf ans d'ancienneté, indûment licencié pour inexécution d'une clause de mobilité entachée de nullité et pour avoir annulé en toute légitimité une visio-conférence avec un client, nécessitait, pour que soit réparée l'intégralité de son préjudice, d'écarter le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, lequel faisait obstacle au versement d'une indemnité au-delà du plafond de 27 728,73 euros (9 mois de salaire), la cour d'appel a violé l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. »
Réponse de la Cour
5. D'abord, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.
6. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
7. Ensuite, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
8. L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, permettant d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
9. Le moyen, qui soutient le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.