CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 2 avril 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 228 F-D
Pourvois n°
B 22-23.618
Q 22-24.596 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 AVRIL 2025
1°/ M. [RA] [PW] [N], domicilié [Adresse 3],
2°/ M. [JS] [DH], domicilié [Adresse 14],
3°/ M. [PF] [DH], domicilié [Adresse 7],
4°/ M. [I] [UA],
5°/ M. [TS] [UA],
tous deux domiciliés [Adresse 24],
6°/ M. [UI] [TN], domicilié [Adresse 15],
7°/ M. [JN] [O], domicilié [Adresse 16],
8°/ M. [RA] [XA], domicilié [Adresse 20],
9°/ M. [DN] [Y] [MN], domicilié [Adresse 19],
10°/ M. [CZ] [C] [DB], domicilié [Adresse 22],
11°/ M. [MF] [F], domicilié [Adresse 13],
12°/ M. [PN] [L] [T], domicilié [Adresse 8],
13°/ M. [UE] [GJ], domicilié [Adresse 18],
14°/ Mme [JJ] [GS] [R], domiciliée [Adresse 33],
15°/ Mme [WN] [K], domiciliée [Adresse 27],
16°/ Mme [Z] [X], domiciliée [Adresse 34],
17°/ M. [JF] [A], domicilié [Adresse 17],
18°/ M. [D] [GF], domicilié [Adresse 23] (Australie),
19°/ M. [PJ] [PS], domicilié [Adresse 25],
20°/ M. [CT] [DJ], domicilié [Adresse 9] (Singapour),
21°/ M. [GN] [M], domicilié [Adresse 10],
22°/ M. [H] [WS], domicilié [Adresse 2],
23°/ M. [MW] [CX] [G], domicilié [Adresse 31],
24°/ M. [S] [M], domicilié [Adresse 5],
25°/ M. [W] [B], domicilié [Adresse 29] (Philippines),
26°/ M. [MS] [WS], domicilié [Adresse 35],
27°/ Mme [WW] [WS], domiciliée [Adresse 12],
28°/ M. [V] [JB], domicilié [Adresse 32],
29°/ la société Château Soyer, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 21], représentée par Mme [MJ] [ZW],
30°/ la société O & S Conseil, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], représentée par son gérant M. [JF] [A],
31°/ M. [FX] [P], domicilié [Adresse 26],
32°/ Mme [TW] [ZN], domiciliée [Adresse 11],
33°/ Mme [U] [XE] [E], domiciliée [Adresse 6],
tous trois pris en qualité d'ayants droit de [CV] [P], née [GB], décédée,
ont formé le pourvoi n° B 22-23.618 contre un arrêt rendu le 23 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige les opposant à la société The Hong Kong and Shangaï Banking Corporation Limited, dont le siège est [Adresse 1] (Chine),
défenderesse à la cassation.
II - Mme [TF] [GS] [R], épouse [J], domiciliée [Adresse 28], a formé le pourvoi n° Q 22-24.596 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à la société The Hong Kong and Shangaï Banking Corporation Limited,
défenderesse à la cassation.
Les demandeurs au pourvoi n° B 22-23.618 invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° Q 22-24.596 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les dossier ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de MM. [PW] [N], [JS] et [PF] [DH], [I] et [TS] [UA], [TN], [O], [XA], [Y] [MN], [C] [DB], [F], [L] [T], [GJ], [A], [GF], [PS], [DJ], [GN] et [S] [M], [H] et [MS] [WS], [CX] [G], [B], [JB] et [P], de Mmes [JJ] et [TF] [GS] [R], [K], [X], [WS], [ZN] et [XE] [E], des sociétés Château Soyer et O & S Conseil, de de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société The Hong Kong and Shangaï Banking Corporation Limited, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° B 22-23.618 et Q 22-24.596 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 juin 2022), la société NFT Investment Limited (ci-après la « société NFT »), constituée le 6 septembre 2011 à [Localité 30] par M. [DL] et inscrite au registre du commerce et des sociétés de cette ville, a ouvert, en octobre 2011, un compte bancaire auprès de la société de droit hongkongais HSBC The Hong Kong and Shangai Banking Corporation Limited (ci-après « la banque HSBC »).
3. A la suite de la proposition par la société NFT d'un produit d'investissement de gestion collective, Mme [GS] [R], M. [RA] [PW] [N], MM. [JS], [PF] [DH], MM. [I], [TS] [UA], MM. [UI] [TN], [JN] [O], MM. [RA] [XA], [DN] [Y] [MN], MM. [CZ] [C] [DB], MM. [MF] [F], [PN] [L] [T], MM. [UE] [GJ], Mmes [WN] [K], [Z] [X], MM. [JF] [A], [D] [GF], MM. [PJ] [PS], [CT] [DJ], [GN] [M], MM. [H] [WS], [MW] [CX] [G], MM. [S] [M], [W] [B], [MS] [WS], Mme [WW] [WS], M. [V] [JB], la SCI Château Soyer, la société O & S Conseil, et en qualité d'ayant droit de [CV] [P] [GB], M. [FX] [P], Mme [TW] [ZN], et Mme [U] [XE] [E], (ci-après les investisseurs) ont souscrit à ce produit en consentant des prêts à la société NFT, chacun des prêteurs s'étant engagé à effectuer le transfert de fonds correspondant au montant de l'emprunt sur le compte bancaire précité. Selon son article 7, il était stipulé que le droit applicable à cette convention de prêt était celui de la « Common law anglaise et des règles d'équité de la Grande-Bretagne appliquée à Hong Kong ».
4. Soutenant avoir été victimes d'agissements frauduleux commis par M. [DL] ayant engendré la perte quasi-totale des fonds investis, rendus possibles, selon eux, par la négligence de la banque HSBC par le biais de laquelle M. [DL] aurait réalisé des détournements, les investisseurs ont assigné la banque HSBC devant une juridiction française en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen des pourvois, rédigés en termes identiques, réunis
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen des pourvois, rédigés en termes identiques, pris en leur première branche, réunis
Enoncé du moyen
6. Les investisseurs font grief à l'arrêt de dire la loi hongkongaise applicable, et de rejeter l'intégralité de leurs demandes dirigées contre la banque HSBC, alors « que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ; qu'en l'espèce, les investisseurs, personnes physiques et morales françaises, faisaient valoir qu'ils avaient été victimes d'une vaste escroquerie de la part de M. [DL], ressortissant français agissant sous couvert de la société NFT Investment ayant ouvert un compte auprès de la société HSBC Hong Kong and Shanghai Banking Corporation Limited (HSBC Hong Kong), ayant consisté en un détournement de fonds commis en France, par le biais de la souscription de prêts signés en France, soumis au droit français et rédigés en euros, les sommes litigieuses ayant été payées depuis les comptes des victimes ouverts en France ; qu'ils soutenaient que la banque, qui avait eu communication du document de présentation de la société NFT Investment et qui avait conclu avec cette société une convention d'ouverture de compte mentionnant que cette société exerçait une activité de trading en France, où elle avait son siège social, qu'elle démarchait des clients français et disposait de trois employés en France, avait fautivement prêté son concours à une opération d'investissement qui s'est déroulée en France, au titre de laquelle elle était désignée comme "Partenaire de référence" de la société NFT Investment ; que pour dire la loi hongkongaise applicable, la cour d'appel a retenu que le lieu de survenance du dommage était celui où était matériellement tenu le compte par lequel les fonds détournés avaient transité, et considéré que le compte bancaire de la société NFT Investment avait été ouvert à Hong Kong, puis a estimé que l'événement causal immédiat s'était produit à Hong Kong dans la mesure où étaient invoqués des manquements de la société HSBC Hong Kong à ses obligations professionnelles à l'occasion de l'ouverture ou de la tenue de ce compte ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir que le lieu de survenance du dommage était exclusivement localisé à Hong Kong, les exposants ayant fait valoir que la banque HSBC Hong Kong avait engagé sa responsabilité délictuelle à son égard pour avoir fautivement prêté son concours à une opération d'investissement dont les éléments constitutifs étaient pour l'essentiel localisés en France, et concernait des Français, la cour d'appel a violé l'article 4 § 1 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, ensemble l'article 3 du code civil et l'article 1382 (désormais 1240) du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) :
7. Il résulte de ce texte que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est, sauf dispositions contraires du règlement, celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
8. Pour dire que la loi hongkongaise était applicable et rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre la banque HSBC, l'arrêt retient que s'agissant d'une action en responsabilité délictuelle intentée à l'encontre d'une banque hongkongaise dont il est soutenu que par manque de vigilance elle aurait rendu possible une escroquerie commise par divers animateurs de la société NFT, le lieu de survenance du dommage est le lieu où était matériellement tenu le compte par lequel ont transité les fonds détournés, à savoir à [Localité 30].
9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la localisation du préjudice purement financier, distinct du lieu du fait générateur du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juin 2022 entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société The Hong Kong and Shanghai Banking Corportation Limited aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société The Hong Kong and Shanghai Banking Corportation Limited et la condamne à payer à Mme [GS] [R], la somme de 1 500 euros et à MM. [RA] [PW] [N], [JS] [DH], [PF] [DH], MM. [UA] [I], [TS] [UA], [UI] [TN], MM. [JN] [O], [RA] [XA], [DN] [Y] [MN], [CZ] [C] [DB], MM. [MF] [F], [PN] [L] [T], [UE] [GJ], Mmes [WN] [K], [Z] [X], MM. [JF] [A], [D] [GF], [PJ] [PS], MM. [CT] [DJ], [GN] [M], [H] [WS], MM. [MW] [CX] [G], [S] [M], [W] [B], [MS] [WS], Mme [WW] [WS], M. [V] [JB], la SCI Château Soyer, la société O & S Conseil, et en qualité d'ayant droit de [CV] [P] [GB], M. [FX] [P], Mme [TW] [ZN], et Mme [U] [XE] [E], la somme globale de 5 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le deux avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.