CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 300 F-B
Pourvoi n° S 22-13.098
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 MARS 2025
La société Bouygues bâtiment Ile-de-France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-13.098 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société d'armatures spéciales, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société BNP Paribas Factor, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Bouygues bâtiment Ile-de-France, de Me Bertrand, avocat de la Société d'armatures spéciales, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas Factor, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 octobre 2021) et les productions, la Société d'armatures spéciales (la société SAS) a fait pratiquer à l'encontre de la société Armat France (la société Armat) entre les mains de la société Bouygues bâtiment Ile-de-France (la société Bouygues) une saisie conservatoire de créances le 8 octobre 2015 puis des saisies-attribution les 15 octobre et 24 novembre 2015.
2. La société Armat avait précédemment souscrit auprès de la société BNP Paribas Factor (la BNP) un contrat d'affacturage.
3. La société SAS a assigné la BNP et la société Bouygues devant un juge de l'exécution pour dire que la somme de 84 864,45 euros déclarée disponible par le tiers saisi devait lui être attribuée faute de preuve par la BNP d'un paiement antérieur aux deux premières saisies, et voir condamner la société Bouygues à lui payer la somme supplémentaire de 432 583,57 euros au titre d'autres situations de travaux émises par la société Armat au regard des saisies-attribution intervenues les 15 octobre et 24 novembre 2015 pour manquement à ses obligations de renseignement de tiers saisi.
4. Par un jugement rendu le 9 mai 2017, confirmé par un arrêt d'appel du 15 novembre 2018, la société SAS a été déboutée de toutes ses demandes.
5. Par un arrêt rendu le 20 janvier 2021 (Com., 20 janvier 2021, pourvoi n° 19-10.493), la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions cette dernière décision.
6. Le 10 février 2021, la société SAS a saisi la cour d'appel de renvoi.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième, septième, huitième et neuvième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
8. La société Bouygues fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité de tiers saisi, à verser à la société SAS la somme de 263 655 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la faute commise dans l'exécution de son obligation de renseignement et de rejeter ses demandes, alors « qu'en retenant, pour dire que la saisie-attribution pratiquée le 15 octobre 2015 avait porté sur les sommes venant à échéance en exécution des quatre contrats de sous-traitance jusqu'à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits à concurrence de ce que le tiers saisi doit au débiteur, que les quatre contrats de sous traitance portaient sur des opérations dont les prix, fermes et non révisables, étaient convenus à l'avance, donnant lieu à une exécution échelonnée dans le temps ainsi qu'à l'établissement mensuel d'une situation des prestations réalisées et, après vérifications et corrections, à l'établissement de règlements, quand les situations de travaux émises par Armat postérieurement au 15 octobre 2015 marquaient la naissance de créances nées de prestations qui apparaissaient au fur et à mesure de leur accomplissement, et dont l'exigibilité et la mise en paiement dépendaient à chaque fois d'un nouvel accord entre l'entreprise générale et son sous-traitant sur l'avancement desdits travaux et sur leur valorisation, de sorte que la société Armat ne disposait pas sur la société Bouygues d'une créance née d'un contrat unique à exécution successive mais de créances distinctes nées d'accords indépendants des autres, la cour d'appel a violé l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution, les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu'ils seraient détenus par des tiers.
10. Ayant constaté que les sociétés Bouygues et Armat étaient liées, à la date de la mesure, par quatre contrats de sous-traitance portant sur des opérations dont les prix, fermes et non révisables, étaient convenus à l'avance, et retenu qu'il existait un principe unique de créance découlant du même contrat dont l'exigibilité est échelonnée dans le temps, peu important la variation du quantum des créances ou leur caractère provisoire, la cour d'appel, qui a fait ressortir que les créances tiraient leur source d'un contrat unique et indivisible les rendant certaines dès la formation du contrat et dont seule l'exécution s'inscrivait dans la durée, a fait une exacte application du texte susvisé.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
12. La société Bouygues fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'éventuelle faute du tiers saisi tenu de déclarer l'étendue de ses obligations doit être appréciée différemment selon qu'on lui notifie une saisie simple ou une saisie à exécution successive ; que Bouygues faisait valoir que la société SAS lui avait signifier une saisie-attribution d'une créance simple et non une saisie-attribution d'une créance à exécution successive, de sorte qu'il ne pouvait lui être reprochée de ne pas avoir fourni une réponse en adéquation avec la saisie-attribution d'une créance à exécution successive qui lui avait été délivrée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. Ayant rappelé qu'en application de l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution, une saisie-attribution peut porter sur une créance à exécution successive, et retenu que l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution opérée le 15 octobre 2015 avait porté sur les sommes venant à échéance en exécution de contrats de sous-traitance s'analysant en des contrats à exécution successive, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Bouygues était légalement tenue de déclarer spontanément à l'huissier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur jusqu'à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bouygues bâtiment Ile-de-France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bouygues bâtiment Ile-de-France et la condamne à payer à la Société d'armatures spéciales et à la société BNP Paribas Factor la somme de 3 000 euros chacune ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.