N° D 25-80.005 FS-B
N° 00567
SL2
26 MARS 2025
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 MARS 2025
[M] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative de viol, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraires, vol et violences, aggravés, menaces, associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de [M] [F], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, Brugère, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Guerrini, Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Micolet, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. [M] [F], mineur né le [Date naissance 1] 2009, a été mis en examen par le juge d'instruction des chefs susvisés.
3. Par ordonnance du 22 novembre 2024, le juge des libertés et de la détention l'a placé en détention provisoire.
4. [M] [F] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire de [M] [F] pour violation du principe de publicité restreinte, dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire, alors :
« 1°/ que la publicité des audiences des juridictions statuant à l'égard des mineurs est restreinte ; que le débat contradictoire sur la détention provisoire d'un mis en examen mineur a lieu et le juge statue en audience de cabinet ; que le respect de ce principe doit procéder des mentions de l'ordonnance de placement en détention ; qu'en relevant, pour rejeter l'exception de nullité tiré de la violation du principe de publicité restreinte, que le débat s'est tenu en audience de cabinet, que le juge a statué en la même forme et que la présence de Mme [X] [U] motivée, au vu de la convention passée avec la juridiction et relative à la mise en uvre d'une période de mise en situation en milieu professionnel annexée aux réquisitions du parquet général, par la perspective d'une reconversion professionnelle dans la magistrature n'est pas de nature à remettre en cause le principe de la publicité restreinte, d'autant qu'aucune contestation n'a été soulevée par la défense (arrêt p. 16) cependant que ni les énonciations du procès-verbal de débat contradictoire ni celles de l'ordonnance de placement en détention provisoire ne permettaient pas en elles-mêmes de s'assurer que Mme [U] est l'une des personnes dont la présence à l'audience du juge des libertés et de la détention est légalement autorisée, ce qui fait nécessairement grief à l'exposant, mineur lors de cette audience intervenue faussement en audience de cabinet, la chambre de l'instruction a violé les articles 12-3 et L.513-2 du code de la justice pénale des mineurs et 145 du code de procédure pénale ;
2°/ que la publicité des audiences des juridictions statuant à l'égard des mineurs est restreinte ; que le débat contradictoire sur la détention provisoire d'un mis en examen mineur a lieu et le juge statue en audience de cabinet ; qu'en se bornant à retenir, après avoir rappelé que le principe de publicité restreinte est instauré pour protéger l'identité et la personnalité du mineur (arrêt p. 16), que la présence de Mme [U] n'apparait pas de nature à remettre en cause le principe de la publicité restreinte (arrêt p. 16) cependant que la convention relative à la mise en uvre d'une période de mise en situation en milieu professionnel produite en annexe du réquisitoire ne mentionne pas parmi les obligations des parties le respect du secret professionnel (mémoire complémentaire p. 3), la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 12-3 du code de la justice pénale des mineurs et 145 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 12-3 et L. 433-1 du code de la justice pénale des mineurs et 145 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ces textes que, lorsque la personne mise en examen est mineure au moment des faits, le débat devant le juge des libertés et de la détention en vue de son placement en détention provisoire se déroule et l'ordonnance est rendue en audience de cabinet.
8. Cette règle est instaurée pour protéger l'identité et la personnalité du mineur et sa violation, lorsque ce dernier n'a pas atteint sa majorité au jour du débat contradictoire, fait nécessairement grief à ses intérêts.
9. Pour écarter le moyen de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire tiré de la présence d'un tiers lors du débat contradictoire, l'arrêt attaqué énonce que le procès-verbal et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention mentionnent que le débat a eu lieu et que le juge a statué en audience de cabinet.
10. Les juges ajoutent que la présence, lors du débat contradictoire, d'une personne bénéficiant d'une convention de stage n'est pas de nature à remettre en cause la régularité de la décision, d'autant qu'aucune contestation n'a été soulevée par la défense sur ce point.
11. En statuant ainsi et dès lors que ce tiers ne faisait pas partie des personnes admises à assister au débat contradictoire, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
14. Il n'y a pas lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé.
15. [M] [F] doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.
16. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1er, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, auquel renvoie l'article L. 13-1 du code de la justice pénale des mineurs, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du code de procédure pénale.
17. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que [M] [F] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
18. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin :
- d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, en ce que tous les témoins n'ont pas été identifiés, alors que de multiples vidéos des faits ont circulé sur les réseaux sociaux ; que les faits sont, par ailleurs, intervenus dans un contexte de représailles dont le mobile reste incertain, à la suite de l'organisation d'un guet-apens ; qu'il apparaît ainsi impérieux, alors même que les moyens modernes permettent de préserver la confidentialité des communications, de prévenir toute action de la personne mise en examen, d'une part, sur la victime, qui a été gravement traumatisée et craint de nouvelles violences, d'autre part, sur les témoins pour altérer leurs dépositions et empêcher la récupération des vidéos existantes ;
- d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que la sincérité des interrogatoires à venir doit être garantie et qu'il convient d'éviter que les intéressés ne puissent frauduleusement définir une version commune de nature à compromettre l'identification d'autres auteurs ou complices, alors même que les faits ont été commis à l'occasion d'une action collective ;
- de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce que [M] [F] est pour l'heure déscolarisé et encourt une lourde peine dont la perspective éventuelle pourrait le déterminer à se soustraire aux actes de la procédure ;
- de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement, en ce que la facilité du passage à l'acte fait craindre une inclination à la violence, alors même que l'intéressé a reconnu qu'il pouvait s'emporter et se défouler, avec un couteau, sur des meubles, et que les rapports éducatifs décrivent une déscolarisation, une difficulté à gérer la colère et la nécessité d'un suivi thérapeutique ;
- de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé, en ce que les faits se caractérisent par une hyper-violence, la victime, qui en reste durablement traumatisée, ayant été enlevée et séquestrée, puis soumise à de multiples sévices physiques et moraux, tandis que les faits étaient filmés et partagés sur des réseaux sociaux.
19. Afin d'assurer ces objectifs, [M] [F] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
20. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
21. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2024 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que [M] [F] est détenu sans titre depuis le 22 novembre 2024 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de [M] [F] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de [M] [F] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département des Pyrénées-Orientales ;
- ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer à [Adresse 2], chez Mme [T] [P] épouse [W], qu'aux conditions suivantes : du lundi au vendredi, entre 7 heures et 19 heures ; les samedis, dimanches et jours fériés, entre 8 heures et 13 heures ;
- se présenter dans les deux jours ouvrables suivant sa remise en liberté et ensuite chaque jour de la semaine au commissariat de police de [Adresse 3] ;
- suivre une scolarité ou une formation ou exercer une activité professionnelle ou justifier de ses recherches à cette fin ;
- s'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes : [N] [BT], [KC] [A], [G] [C], [GL] [YE], [FJ] [Z], [Y] [WS], [K] [L] [I], [O] [R] et [B] [UN], MM. [V] [C], [D] [J], [H] [E] et [S] [YE] ;
- ne pas détenir ou porter une arme ;
DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information au tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.