SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 304 F-B
Pourvoi n° E 23-23.625
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 MARS 2025
1°/ La société Automobiles JM, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ M. [E] [P], domicilié [Adresse 3], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Automobiles JM,
3°/ M. [X] [H], domicilié [Adresse 5], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Automobiles JM,
ont formé le pourvoi n° E 23-23.625 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2023 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [D] [J], domicilié [Adresse 4],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Automobiles JM et de MM. [P], [H], ès qualités, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [J], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Automobiles JM du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 26 septembre 2023), M. [J] a été engagé, en qualité de directeur général, le 13 novembre 2017 par la société Holding JVM puis son contrat de travail a été transféré à la société Automobiles JM.
3. Licencié pour faute grave le 28 février 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
4. Par jugement du 2 juillet 2024, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la société Automobiles JM. M. [P], désigné en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission d'assister le débiteur, et M. [H], désigné en qualité de mandataire judiciaire, sont intervenus volontairement à l'instance.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de rejet des pièces n° 53, 29 et 78 produites par le salarié, de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement et de le condamner à régler au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rappel des rémunérations de la période de mise à pied et de rappel de rémunération variable, outre les congés payés afférents, ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que l'ouverture et la divulgation, de mauvaise foi, d'une correspondance électronique par une personne qui n'en est ni l'auteur, ni le destinataire, constituent un procédé déloyal qui, sauf exercice des droits de la défense, rend irrecevable la preuve ainsi obtenue, sans qu'importent, ni la nature professionnelle de son contenu, ni que celui qui les produit ait pu accéder sans fraude aux messageries dont cette correspondance est issue ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'au soutien de son action en contestation de son licenciement, le salarié a produit en justice des ''[...] courriels émanant de M. [L], président de la société, adressés à Mme [I], responsable comptable et ressources humaines [...] courriels éma[nés] d'une boîte professionnelle, en l'occurrence [Courriel 8] et [...] adressés à une boîte professionnelle [Courriel 7] (avec copie à [Courriel 6] pour la pièce n° 78)'', c'est à dire une correspondance entre tiers ; que la production de cette correspondance à caractère privé, dont il n'était ni l'auteur, ni le destinataire, constituait une preuve déloyale ; qu'en déclarant cependant ces preuves recevables aux motifs inopérants ''que le contenu de ces échanges ne revêt en aucun cas le caractère d'une correspondance personnelle et privée et [qu'ils] sont exclusivement professionnels'' ou encore ''que la société Automobiles JM évoque sans le démontrer un piratage de sa boîte électronique alors que M. [J] indique pour sa part qu'il disposait d'un accès aux boîtes professionnelles de la société'', la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 9 du code de procédure civile ;
2°/ que constitue une correspondance privée celle qui, par son contenu, n'est pas destinée à être portée à la connaissance d'autres personnes que ses destinataires ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé ''qu'il résulte de l'échange électronique produit par le salarié, que le 24 janvier 2019, M. [L], président, a sollicité sa responsable ressources humaines, Mme [I], en ces termes : "Pourriez-vous m'adresser un modèle de lettre de promesse d'embauche semblable à celle que nous avions remise à [K] svp". L'intéressée lui ayant transmis le lendemain la lettre d'embauche adressée à M. [J] ([K]), le président l'a de nouveau sollicitée le jour même en ces termes : "Merci de bien vouloir établir l'équivalent de cette lettre, mise à jour, notamment la date d'embauche du 17/3/18" (en réalité 17/3/19). Mme [I] lui a répondu le 4 février 2019 : "[G], j'ai établi la lettre de promesse d'embauche. En revanche, je n'ai pas l'adresse postale de M. [U]. Je vous laisse le soin de lui demander ou je lui fais un mail ?'' ; qu'il résulte de ces énonciations que le contenu de ces messages était en rapport avec la personne du destinataire, puisqu'il s'agissait, pour M. [L], de confier à Mme [I] la tâche de rechercher et d'établir une promesse d'embauche ; que cet échange qui n'était pas destiné à être divulgué à d'autres que ses participants, constituait nonobstant son caractère professionnel, une correspondance privée ; qu'en retenant cependant à l'appui de sa décision ''que le contenu de ces échanges ne revêt en aucun cas le caractère d'une correspondance personnelle et privée et [qu'ils] sont exclusivement professionnels'', la cour d'appel a dénaturé les échanges de courriels des 24 janvier/4 février 2019, et méconnu ainsi l'interdiction faite au juge de dénaturer les écrits clairs et précis qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, après avoir rappelé que la société prétendait que les trois pièces litigieuses, qui consistaient en des courriels émanant du président de la société adressés à la responsable des ressources humaines, avaient été obtenues frauduleusement à défaut pour le salarié d'avoir un accès à une telle adresse électronique, a d'abord, constaté que ces courriels émanaient de la boîte professionnelle du président et étaient adressés à la boîte professionnelle de la responsable des ressources humaines et que le contenu de ces échanges, par lesquels le président chargeait la responsable des ressources humaines, d'établir une promesse d'embauche pour le recrutement d'un salarié, ne revêtait en aucun cas le caractère d'une correspondance personnelle et privée mais était exclusivement professionnel.
7. Elle a ensuite retenu que la société ne démontrait pas le piratage de sa messagerie professionnelle quand le salarié, directeur général de l'entreprise, indiquait qu'il disposait d'un accès aux boîtes professionnelles de la société, sans être utilement contredit.
8. De ces constatations et énonciations dont il ressortait, d'une part, que les pièces litigieuses n'avaient pas été obtenues de manière déloyale et, d'autre part, que leur production ne portait pas atteinte à l'intimité de la vie privée des correspondants, la cour d'appel a exactement déduit, sans les dénaturer, qu'elles étaient recevables.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement et de le condamner à régler au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rappel des rémunérations de la période de mise à pied et de rappel de rémunération variable, outre les congés payés afférents, ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que la rupture du contrat de travail, en l'absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d'un acte de l'employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que dès lors ne constituent pas un licenciement de fait les échanges entre l'employeur et une salariée de l'entreprise destinés à préparer le recrutement du remplaçant du salarié menacé de licenciement ; qu'en l'espèce, pour juger que M. [J] avait fait l'objet d'un licenciement verbal, la cour d'appel a déduit d'un échange de courriels entre le président de la SAS Automobiles JM et la responsable comptable, Mme [I], antérieur à l'introduction de la procédure de licenciement, ''la manifestation à ce moment précis d'une décision irrévocable de rompre la relation de travail avec l'appelant'', ajoutant qu'au ''surplus, contrairement à ce qu'allègue l'employeur il n'est pas nécessaire que la décision de rompre de façon irrévocable un contrat de travail soit notifiée au principal intéressé et il suffit que son existence soit démontrée, ce qui est assurément le cas en l'espèce, puisqu'au moins un des salariés de la société a été mis dans la confidence en sus du candidat recruté'' ; qu'elle en a déduit ''une volonté non équivoque de l'employeur, manifestée auprès d'une autre salariée de l'entreprise, de rompre le contrat à durée indéterminée de M. [J] dès le 24 janvier 2019, laquelle doit s'analyser en un licenciement verbal'' ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs, dont il ne résulte pas que la volonté de licencier de l'employeur avait été manifestée au salarié concerné, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-6 du code du travail, 1103 et 1104 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1232-6 du code du travail :
10. Il résulte de ce texte que la rupture du contrat de travail, en l'absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d'un acte de l'employeur par lequel il manifeste au salarié ou publiquement sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
11. Pour juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il est établi que le président de la société a formalisé une promesse d'embauche sur un poste de directeur général, poste unique au sein de la société occupé par le salarié, dès le 24 janvier 2019, soit avant même la convocation le 7 février 2019 de ce dernier à un entretien préalable et que ceci ne peut s'analyser autrement que par la manifestation, à ce moment précis, d'une décision irrévocable de rompre la relation de travail avec l'appelant.
12. Il ajoute qu'il n'est pas nécessaire que la décision de rompre de façon irrévocable un contrat de travail soit notifiée au principal intéressé et qu'il suffit que son existence soit démontrée, ce qui est assurément le cas en l'espèce, puisqu'au moins un des salariés de la société a été mis dans la confidence en sus du candidat recruté.
13. Il en déduit que l'employeur a ainsi manifesté, auprès d'une autre salariée de l'entreprise, sa volonté non équivoque de rompre le contrat de travail du salarié dès le 24 janvier 2019, laquelle doit s'analyser en un licenciement verbal.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'intention de l'employeur de recruter un nouveau directeur général, manifestée uniquement par un échange entre le président de la société et la responsable des ressources humaines afin d'établir une promesse d'embauche, n'avait pas été exprimée publiquement ni auprès du salarié, ce dont il résultait que l'employeur qui conservait la faculté de ne pas mettre en oeuvre la procédure de licenciement, n'avait pas manifesté de manière irrévocable la volonté de mettre fin au contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à payer au salarié des indemnités de rupture ainsi qu'un rappel de salaires au titre de la période de mise à pied n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur à payer au salarié des sommes, au titre de la rémunération variable outre les congés payés afférents, qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par le second moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Automobiles JM de sa demande de rejet des pièces n° 54, 29 et 78, de ses demandes de dommages-intérêts et la condamne à payer la somme de 24 611,11 euros au titre de la rémunération variable, outre celle de 2 461,11 euros au titre des congés payés afférents, et en ce qu'il rejette la demande en paiement de M. [J] d'une somme de 1 626,54 euros au titre d'un reliquat d'indemnité de congés payés, l'arrêt rendu le 26 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.