SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 324 F-B
Pourvoi n° R 23-16.068
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 MARS 2025
Mme [I] [Y], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-16.068 contre l'arrêt rendu le 16 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Systra, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [Y], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Systra, après débats en l'audience publique du 26 février 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, Mme Canas, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 février 2023), statuant en référé, et les productions, Mme [Y], a été engagée, en qualité de spécialiste GED, gestionnaire de projet, position 2.2, coefficient 130 de la classification de la convention collective des bureaux d'études, par la société Systra, le 1er décembre 2012.
2. Titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2015 et s'estimant victime d'une discrimination syndicale, la salariée a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par la société d'un certain nombre d'informations lui permettant de procéder à une comparaison de sa situation avec celle de dix de ses collègues de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de production de pièces en application de l'article 145 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ qu'il appartient au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ; que pour dire que le motif légitime n'est pas établi et rejeter en conséquence la demande de communication de pièces de la salariée, la cour d'appel a retenu que celle-ci a établi son « panel » après consultation du registre unique du personnel et exploitation des informations communiquées par l'employeur", qu'elle ne verse elle-même aux débats aucun élément et surtout ne s'explique nullement sur le choix des salariés dont elle sollicite la communication des données personnelles s'agissant des salaires et des évolutions de carrière", et qu'à l'opposé, la société, au moins pour l'un des salariés du panel établi par Mme [Y], justifie aux débats que celui-ci n'est pas dans une situation identique ou équivalente à la demanderesse" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si cette communication n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il appartient au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ; que pour dire que le motif légitime n'est pas établi et rejeter en conséquence la demande de communication de pièces de la salariée, la cour d'appel a retenu que celle-ci que celle-ci a établi son « panel » après consultation du registre unique du personnel et exploitation des informations communiquées par l'employeur", qu'elle ne verse elle-même aux débats aucun élément et surtout ne s'explique nullement sur le choix des salariés dont elle sollicite la communication des données personnelles s'agissant des salaires et des évolutions de carrière", et qu'à l'opposé, la société, au moins pour l'un des salariés du panel établi par Mme [Y], justifie aux débats que celui-ci n'est pas dans une situation identique ou équivalente à la demanderesse" ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, si les éléments dont elle demandait communication sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, quelles mesures étaient indispensables à l'exercice de son droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile et les articles 5 et 6 du règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données :
4. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
5. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant d'office le périmètre de la production de pièces sollicitée au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées.
6. Il lui appartient également, eu égard aux articles 5 et 6 du règlement (UE) susvisé, de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d'office, l'occultation, sur les documents à communiquer par l'employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ; pour ce faire, il lui incombe de s'assurer que les mentions, qu'il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination.
7. Il lui appartient enfin de faire injonction aux parties de n'utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination.
8. Pour rejeter la demande de production de pièces, l'arrêt retient que la salariée, qui a établi son panel après consultation du registre unique du personnel et exploitation des informations communiquées par l'employeur, soutient qu'il existe une disparité entre ses collègues du panel et sa propre évolution mais ne verse elle-même aux débats aucun élément et surtout ne s'explique nullement sur le choix des salariés dont elle sollicite la communication des données personnelles, s'agissant des salaires et des évolutions de carrière, alors que l'employeur justifie, au moins pour l'un des salariés du panel, que celui-ci n'est pas dans une situation identique ou équivalente à la salariée.
9. Il en déduit que, au regard des éléments dont elle a, ou peut avoir, communication, la salariée ne justifie pas de l'utilité et de l'intérêt de la mesure sollicitée au regard des salariés spécifiquement dénommés en l'espèce de sorte que le motif légitime n'est pas établi.
10. En statuant ainsi, sans rechercher, d'abord, si la communication des pièces demandées par la salariée n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, la salariée faisant valoir dans ses conclusions qu'elle se comparait avec des personnes entrées dans l'entreprise en situation de départ en tous points comparable à la sienne et que son panel était composé de tous les salariés présents aux effectifs, ou partis depuis moins de cinq ans, qui avaient été embauchés dans l'entreprise, à la même période, au même niveau de qualification et de classification de la convention collective, ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, quelles mesures étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant d'office le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande d'irrecevabilité de la société Systra, l'arrêt rendu le 16 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Systra aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Systra et la condamne à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.