SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 315 F-D
Pourvoi n° G 23-15.141
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 MARS 2025
M. [K] [P], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 23-15.141 contre l'arrêt rendu le 27 février 2023 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société Union mutualiste retraite (UMR), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la mutuelle Union mutualiste de retraite, défenderesse à la cassation.
La société Union mutualiste retraite a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [P], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Union mutualiste retraite, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 février 2023), M. [P] a été engagé en qualité de conseiller mutualiste offre entreprise (CME), à compter du 1er octobre 2012 par la société Union mutualiste retraite (la société). Il a accepté d'occuper à compter du 1er juin 2014 les fonctions de chargé de mission de développement (CMD) qui relèvent de la même catégorie C1.
2. Convoqué le 24 avril 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il a saisi le 11 mai 2017 la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour le préjudice résultant de la rupture des relations contractuelles.
3. Licencié pour motif économique le 30 mai 2017, il a formé des demandes subsidiaires tendant à la contestation de ce licenciement et au paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche et sur le moyen du pourvoi incident
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à faire condamner la société à lui payer des rappels de salaires et congés payés afférents, de primes, d'indemnité de licenciement, à faire prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société et à faire condamner cette dernière à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts au titre du préjudice financier relatif au montant de la retraite, alors « qu'en vertu du principe d'égalité de traitement, les salariés effectuant un même travail doivent percevoir un traitement identique en termes de classification et de rémunération, à charge pour l'employeur d'établir l'existence d'une raison objective et pertinente justifiant une différence de traitement ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que dans le cadre d'une première réorganisation de l'UMR mise en oeuvre en 2014, cette dernière avait proposé à certains salariés par courriers du 23 avril 2014, dont M. [R] et M. [P], qui l'avaient acceptée, une modification de leur contrat de travail pour occuper un poste de chargé de mission et de développement (CMD), dont la cour d'appel a relevé qu'il relevait de la classification C1 et que, tandis que M. [P] s'était vu attribuer cette classification, M. [R] avait bénéficié de la classification C2 ; que pour juger ''légitime'' cette différence de traitement, la cour d'appel a relevé qu'elle procédait de la volonté de l'employeur de maintenir à M. [R] la classification C2 qui était la sienne dans son ancien poste ; qu'en statuant ainsi, lorsque l'UMR n'ayant aucune obligation de conserver à M. [R] sa classification antérieure dans le cadre d'une proposition de modification de son contrat de travail qui était soumise à son acceptation, l'octroi de cet avantage à ce salarié ne constituait pas une raison objective et pertinente justifiant que M. [P] soit traité différemment, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte du principe d'égalité de traitement qu'il peut y avoir des différences de traitement entre salariés d'une même entreprise exerçant un travail égal ou d'égale valeur si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit concrètement contrôler la réalité et la pertinence.
7. La cour d'appel a constaté que la réorganisation opérée dans l'entreprise en 2014 avait entraîné la refonte des postes, la disparition du poste de conseiller mutualiste offre entreprise (CME), classé C1, occupé par le salarié et la modification des trois postes de chargé régional de développement et partenariats (CRDP) classé C2, dont l'un était occupé par M. [R], auquel il se comparait, en postes de chargé de mission développement classé C1 ; que le salarié et M. [R] avaient tous deux accepté une modification de leur contrat de travail pour occuper les fonctions de chargé de mission développement, l'intéressé bénéficiant de la même classification C1 que précédemment et M. [R] se voyant attribuer la classification C2 correspondant à celle dont il bénéficiait antérieurement en qualité de CRDP.
8. De ces constatations, dont il ressortait que les deux salariés avaient des parcours différents au sein de l'entreprise, elle a pu déduire que la différence de niveau de classification et de rémunération accordée à M. [R] était légitimement motivée par l'objectif de compenser à son égard les conséquences de la réorganisation sur sa situation, compte tenu de la substitution d'un poste de CMD au poste de CRDP qu'il occupait précédemment.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à faire juger que son licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts au titre du préjudice financier relatif au montant de la retraite, alors :
« 1°/ que caractérise des difficultés économiques, une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ; que les difficultés économiques s'apprécient à la date du licenciement ; qu'il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période ; qu'il était constant en l'espèce que M. [P] avait été licencié le 30 mai 2017, soit au cours du deuxième trimestre de l'année 2017 et que l'UMR avait un effectif supérieur à 50 et inférieur à 300 salariés ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la lettre de licenciement ne faisait état que d'une diminution du chiffre d'affaires de l'UMR au cours des années 2015 et 2016 sans mentionner les chiffres relatifs au premier trimestre 2017 ; que la cour d'appel a encore constaté une augmentation du résultat net de l'UMR qui était passé de 23,5 millions d'euros en 2016 à 24 millions d'euros en 2017 ; qu'en retenant l'existence de difficultés économiques, sans cependant caractériser une baisse significative du chiffre d'affaires au cours de la période incluant les deux derniers trimestres de 2016 et le premier trimestre de l'année 2017 par rapport à la période incluant les deux derniers trimestres de 2015 et le premier trimestre de l'année 2016, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que des difficultés économiques sont caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à en justifier ; qu'en l'espèce, pour retenir que l'UMR était confrontée à des difficultés économiques lorsqu'elle avait procédé au licenciement de M. [P] en dépit d'un résultat net en 2017 de 24 millions d'euros en hausse par rapport à 2016, la cour d'appel s'est bornée à relever que le nombre d'adhésions et le montant des cotisations afférente au produit Corem étaient en baisse entre 2016 et 2017 tandis que le montant des prestations versées était en hausse ; qu'en statuant ainsi, sans nullement caractériser que l'UMR était confrontée à des difficultés économiques sérieuses à la date du licenciement de M. [P], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
11. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
12. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).
13. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
14. Pour dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate d'abord, que la lettre de licenciement fait état d'une diminution du chiffre d'affaires sur plus de trois trimestres consécutifs puisqu'elle vise les chiffres des années 2015 et 2016, ainsi qu'un autre indicateur relatif à la baisse de ses adhésions sur une période encore plus étendue. Il ajoute que la circonstance que la lettre de licenciement ne fasse pas état des chiffres relatifs au premier trimestre 2017 ne suffit pas à rendre insuffisante la motivation au regard des dispositions susvisées.
15. Il retient ensuite que la note interne comportant un « point sur l'activité au 30/09/2017 » et détaillant les chiffres comparés des années 2016 et 2017 concernant le chiffre d'affaires cumulé pour les adhésions COREM (en baisse), le nombre de souscriptions (en légère baisse), les montants de cotisations encaissées (en baisse de plus de 26 %) et le montant des liquidations de rentes de base (en hausse de près de 40 %).
16. Il en déduit que la société justifie suffisamment des difficultés économiques auxquelles elle était confrontée entre 2015 et 2017, en dépit d'une augmentation du résultat net entre 2016 et 2017 de 23,5 à 24 millions d'euros, dès lors que le résultat technique était en baisse de même que le montant des cotisations et les charges de prestations étant respectivement en baisse et en hausse, résultat conforté par l'analyse du bilan annuel de solvabilité, défavorable au moment où la réorganisation a été opérée et mise en oeuvre.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, d'une part, si la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, égalait trois trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail et, d'autre part, si l'évolution des autres indicateurs économiques retenus était significative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de ses demandes subsidiaires tendant à déclarer son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamner la société Union mutualiste retraite à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre du préjudice financier relatif au montant de la retraite, l'arrêt rendu le 27 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne la société Union mutualiste retraite aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Union mutualiste retraite et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.