SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2025
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 308 F
Pourvoi n° J 23-14.498
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 MARS 2025
La société Compagnie générale d'environnement de [Localité 19], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], a formé le pourvoi n° J 23-14.498 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2023 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [R] [Y] [U], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [B] [W], domicilié [Adresse 2],
3°/ à M. [GI] [V], domicilié [Adresse 11],
4°/ à M. [O] [K], domicilié [Adresse 16],
5°/ à M. [HO] [G], domicilié [Adresse 17],
6°/ à Mme [F] [A], domiciliée [Adresse 20],
7°/ à M. [P] [N], domicilié [Adresse 9],
8°/ à M. [I] [H], domicilié [Adresse 8],
9°/ à M. [E] [M], domicilié [Adresse 12],
10°/ à M. [X] [C], domicilié [Adresse 10],
11°/ à M. [J] [L], domicilié [Adresse 4],
12°/ à M. [SY] [KX], domicilié [Adresse 15],
13°/ à M. [D] [YT], domicilié [Adresse 1],
14°/ à M. [S] [T], domicilié [Adresse 14],
15°/ au syndicat Union locale CGT agglomération [Localité 19], dont le siège est [Adresse 18],
16°/ à la Fédération nationale des syndicats de transport CGT, dont le siège est [Adresse 6],
17°/ à la société Paprec France, société par actions simplifiée,
18°/ à la société Paprec énergies opérations, société par actions simplifiée, anciennement dénommée Inova opérations,
toutes deux ayant leur siège au [Adresse 13],
19°/ à la société Cydec, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Compagnie générale d'environnement de [Localité 19], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat des sociétés Paprec France, Paprec énergies opérations, et Cydec, après débats en l'audience publique du 25 février 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Compagnie générale d'environnement de [Localité 19] (CGECP) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [A] et M. [H].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 mars 2023) et les productions, le 19 novembre 2021, le syndicat d'agglomération nouvelle de [Localité 19], auquel s'est substituée la communauté d'agglomération de [Localité 19], a attribué à la société Paprec France et à la société Inova opérations, devenue la société Paprec énergies opérations, à compter du 1er février 2022, le marché de la collecte des déchets des ménages et des déchets assimilés, détenu par la société CGECP, sur lequel étaient affectés MM. [Y] [U], [W], [L], [V], [T], [K], [G], [N], [H], [M], [C], [KX], [YT] et Mme [A], salariés protégés.
3. La société Paprec France a ensuite créé la société Cydec, chargée de l'exploitation de cette concession.
4. Par lettre du 6 décembre 2021, la société Paprec France a sollicité la liste du personnel à transférer en s'appuyant sur les dispositions de l'avenant n° 67 de la convention collective nationale des activités du déchet.
5. Par lettre du 20 décembre 2021, la société CGECP a indiqué à la société Paprec France que les conditions de l'article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies et que le transfert des contrats de travail des salariés protégés s'effectuerait sans autorisation de l'inspection du travail.
6. La société sortante a saisi la formation de référés de la juridiction prud'homale pour voir constater l'existence de ce transfert depuis le 1er février 2022, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail.
7. L'union locale CGT agglomération de [Localité 19] et la Fédération nationale des syndicats de transports CGT sont intervenues volontairement aux côtés de MM. [L] et [W].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
8. La société sortante fait grief à l'arrêt de dire qu'elle restait l'employeur, à compter du 1er février 2022, des douze salariés défendeurs au pourvoi, dans l'attente des décisions qui seront rendues par les juges du fond sur le transfert des contrats de travail, de la condamner à poursuivre leurs contrats de travail à compter du 1er février 2022 et de les rétablir dans leurs droits, de la condamner à payer à MM. [L] et [W] des sommes à titre provisionnel à titre de rappels de salaires du 1er février au 11 avril 2022 et de congés payés afférents, de rappels de salaires du 12 avril au 31 décembre 2022 et de congés payés afférents et de provision sur les dommages-intérêts, de lui ordonner de remettre à MM. [L] et [W] les bulletins de salaire depuis le 1er février 2022 jusqu'au 31 décembre 2022 et ce, sous astreinte, de la condamner à payer à l'Union locale CGT agglomération de [Localité 19] une certaine somme à titre de provision sur les dommages-intérêts, de la condamner à payer à la Fédération nationale des syndicats de transports CGT une certaine somme à titre de provision sur les dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; que la reprise effective d'une partie seulement des salariés pour exercer l'activité reprise ne peut donc suffire à exclure le transfert d'une entité économique autonome au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail ; que pour dire que "face à la contestation sérieuse soulevée par la société entrante sur la qualification du transfert" (légal ou conventionnel), elle ne disposait pas "d'éléments suffisamment probants de nature à établir, avec l'évidence nécessaire en référé, que les conditions légales du transfert [étaient] remplies", la cour d'appel a retenu que le personnel d'exploitation et d'autres cadres n'avaient pas été "transférés alors même qu'ils étaient affectés au marché de concession de service public" et que "ce personnel peut être considéré comme indispensable pour l'activité particulière du traitement des déchets ménagers et déchets assimilés soumis à une réglementation stricte" ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant qu'elle n'a pas constaté que le secteur d'activité du déchet aurait constitué un secteur dans lequel l'activité repose essentiellement sur la main-d'uvre, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;
2°/ que, pour dire qu'elle ne disposait pas d'éléments suffisamment probants de nature à établir, avec l'évidence nécessaire en référé, que les conditions légales du transfert étaient remplies, la cour d'appel, cependant qu'elle constatait que les installations avaient été transférées et la reprise des biens listés par lots, a relevé que les documents relatifs aux douanes, aux fiches "entreprise", à la médecine du travail n'avaient pas été transférés, tout comme l'ensemble des dossiers physiques du personnel repris, les outils nécessaires au suivi des interventions de maintenance du site, l'historique de ces interventions, les données de maintenance, les certifications ISO (4 au total) et que certaines mentions concernant les dossiers du personnel transféré manquaient, notamment celles relatives aux formations suivies ; qu'en se déterminant de la sorte, en se bornant à lister les éléments qui n'avaient pas été repris par la société Cydec à l'occasion de la passation de marché consistant dans l'exploitation de la communauté d'agglomération de [Localité 19], sans aucunement établir en quoi ils étaient susceptibles d'être significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1224-1 du code du travail :
9. Selon ce texte, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, les contrats de travail sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
10. Si la perte d'un marché n'entraîne pas, en elle-même, l'application de ce texte, il en va autrement lorsque l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s'accompagne du transfert d'une entité économique autonome.
11. Pour dire que la société sortante était restée l'employeur provisoire des salariés protégés, l'arrêt constate, d'abord, que la société entrante ne conteste pas l'existence d'un transfert de l'activité de traitement des déchets des ménages et des déchets assimilés de l'agglomération de [Localité 19].
12. Il retient, ensuite, que le transfert des installations a bien eu lieu selon procès-verbal du 1er février 2022, que les biens listés par lots ont fait l'objet de reprise par le nouveau concessionnaire, mais que le personnel d'exploitation et autres cadres - 9 personnes - n'a pas été transféré. Il ajoute que ce personnel peut être considéré comme indispensable pour l'activité particulière du traitement des déchets ménagers et déchets assimilés soumis à une réglementation stricte.
13. Il relève, encore, qu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier du 2 février 2022 que les documents relatifs aux douanes, aux fiches « entreprise », à la médecine du travail ont disparu des classeurs, de même que l'ensemble des dossiers physiques du personnel repris, les outils nécessaires au suivi des interventions de maintenance du site et l'historique de ces interventions. Il constate qu'est également reproduit dans le procès-verbal un échange de mails aux termes duquel il est établi que les données de maintenance sont hébergées par un éditeur à qui Véolia a fait interdiction de transférer à la société Paprec France les données. Il ajoute que les certifications ISO (4 au total) n'ont pas été transmises par la société CGECP, même si la société Paprec reconnaissait être à même de les obtenir en 18 mois en repartant sur un cycle initial, et que les données concernant les dossiers du personnel transféré ont été transmises sur une clé USB le 20 décembre 2021 mais que certaines mentions, telles que les formations, sont manquantes.
14. Il en déduit que, face à la contestation sérieuse soulevée par la société entrante sur la qualification du transfert, il ne dispose pas d'éléments suffisamment probants de nature à établir, avec l'évidence nécessaire en référé, que les conditions légales du transfert sont remplies. Il retient qu'il appartiendra au juge du fond de déterminer si l'ensemble de ces éléments, dans le cadre d'une perte de marché, établit l'existence d'une entité économique autonome transférée au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail ou s'il s'agit d'un transfert d'activité ne comprenant pas certains éléments corporels et incorporels significatifs, de sorte qu'il s'agit d'un transfert conventionnel pour lequel les dispositions de l'avenant n° 67 s'appliquent.
15. En statuant ainsi, alors que les éléments visés par la deuxième branche étaient inopérants pour apprécier l'existence d'une entité économique autonome et que la circonstance que les neuf salariés encadrant l'activité n'avaient pas été repris par le nouvel exploitant ne suffisait pas à exclure l'existence d'un transfert d'une entité économique maintenant son identité, au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail, et qu'il résultait de ses constatations que la société entrante avait repris le marché de gestion des déchets des ménages et déchets assimilés de l'agglomération de [Localité 19] confié à la société sortante et poursuivi, dans les mêmes locaux et avec les mêmes équipements, la même activité à laquelle étaient affectés 98 salariés, en sorte qu'il y avait transfert d'éléments corporels et incorporels significatifs nécessaires à l'exploitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne les sociétés Cydec, Paprec France et Paprec énergies opérations aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Cydec, Paprec France et Paprec énergies opérations et les condamne à payer à la société Compagnie générale d'environnement de [Localité 19] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.