CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 263 F-D
Pourvoi n° B 22-19.731
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
La société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société [6], a formé le pourvoi n° B 22-19.731 contre l'arrêt n° RG : 19/03246 rendu le 2 juin 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 2 juin 2022), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2010 et 2011 de ses établissements, notamment, de [Localité 4] et [Localité 5], suivi d'une lettre d'observations du 8 octobre 2012, l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF) a notifié à la société [6], aux droits de laquelle vient la société [3] (la société cotisante), deux mises en demeure du 12 décembre 2012.
2. La société cotisante a formé un recours à l'encontre de ces mises en demeure devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société cotisante fait grief à l'arrêt de valider le chef de redressement relatif à un avantage en nature véhicules et de valider la mise en demeure sur ce point, alors « qu'il résulte de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations sociales, que revêtent le caractère d'avantages en nature devant être réintégrés dans l'assiette des cotisations sociales, les avantages constitués par l'économie de frais de transport réalisée par les salariés bénéficiaires de la mise à disposition d'un véhicule dont l'entreprise assume entièrement la charge ; que la cour d'appel a relevé que des salariés de la société cotisante bénéficient de la mise à disposition à titre permanent d'un véhicule automobile de tourisme fourni par l'association des utilisateurs de véhicules dont ils sont adhérents, qu'ils peuvent utiliser à titre professionnel et privé, sans limitation de kilométrage ou de dépenses, moyennant le paiement d'une redevance annuelle variant de 810 euros à 1 656 euros en 2010 et 2011, que la société cotisante soutient qu'elle se limite à régler les factures correspondant à la seule utilisation professionnelle des véhicules à l'exclusion de l'usage personnel des véhicules, que toutefois cette affirmation ne se vérifie pas en l'état des pièces versées produites, la société ne s'expliquant pas sur le contrôle concret qu'elle est censée opérer de ce que les montants versés à l'association des utilisateurs de véhicules couvrent exclusivement des kilomètres professionnels, qu'il résulte des relevés versés aux débats que la redevance acquittée par chaque salarié adhérent de l'Association des utilisateurs de véhicules est d'un montant sans commune mesure avec la réalité du coût moyen d'utilisation, d'entretien et de réparation d'un véhicule, ce dont il s'évince que les charges induites par l'utilisation privée du véhicule mis à disposition sont en réalité prises charge majoritairement au travers des remboursements de frais acquittés par l'employeur et qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les salariés concernés bénéficient d'un avantage en nature devant être réintégré dans l'assiette des cotisations ; qu'en statuant ainsi par des motifs dont il ressort que la société cotisante n'a pas mis à la disposition permanente de ses salariés un véhicule dont elle assumait entièrement la charge, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé, dans son principe et son montant l'existence de l'avantage en nature litigieux, a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article L. 242-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, que les avantages en nature attribués en contrepartie ou à l'occasion du travail sont compris dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale.
5. En application de l'article 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002 modifié, relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations sociales, lorsque l'employeur met à la disposition permanente du travailleur salarié ou assimilé un véhicule, l'avantage en nature constitué par l'utilisation privée du véhicule est évalué, sur option de l'employeur, sur la base des dépenses réellement engagées ou sur la base d'un forfait annuel en pourcentage du coût d'achat du véhicule ou du coût global annuel comprenant la location, l'entretien et l'assurance du véhicule en location ou en location avec option d'achat, toutes taxes comprises.
6. Il résulte de ces textes que la mise à la disposition permanente, par l'employeur, au profit de ses salariés, d'un véhicule pouvant être utilisé pour leurs déplacements privés, permettant ainsi aux bénéficiaires de faire l'économie de frais de transport qu'ils devraient normalement assumer, constitue, en principe, un avantage en nature.
7. La circonstance selon laquelle le véhicule est mis à la disposition permanente de salariés par l'intermédiaire d'un tiers ne saurait faire obstacle à la constatation de l'existence d'un avantage en nature, lorsque l'attribution de cet avantage résulte de l'appartenance des salariés à l'entreprise.
8. L'administration de la preuve de cet avantage en nature doit être gouvernée par les règles générales applicables en cette matière.
9. Ainsi, s'il incombe d'abord à l'URSSAF d'établir, notamment par le procès-verbal des agents de contrôle qui fait foi jusqu'à preuve contraire, la mise à disposition permanente, par l'employeur, d'un véhicule au profit de ses salariés, il appartient ensuite à l'employeur de démontrer que cette mise à disposition, fût-ce par l'intermédiaire d'un tiers, est exclusive de tout avantage en nature.
10. L'employeur doit, par conséquent, rapporter la preuve qu'il prend exclusivement en charge le coût afférent aux kilomètres parcourus par ses salariés dans le cadre de leurs déplacements professionnels, sans aucune participation au coût de l'usage personnel du véhicule par ces derniers.
11. Si, conformément à l'article 1358 du code civil, cette preuve peut être rapportée par tout moyen, elle ne peut cependant résulter des seules facturations établies par le tiers qui met les véhicules à disposition des salariés, lesquelles doivent être corroborées par d'autres éléments de preuve.
12. L'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que l'intervention d'un tiers dans la mise à disposition d'un véhicule au profit d'un salarié n'exclut pas par elle-même l'existence d'un avantage en nature. Il constate que les véhicules mis à disposition des salariés de la société par l'association des utilisateurs de véhicules, en raison de la relation de travail avec l'employeur, sont utilisés par les salariés tant pour leurs besoins professionnels que personnels. Il retient qu'il incombe à l'employeur de démontrer que les salariés ne bénéficient pas d'un avantage résultant d'une prise en charge de l'usage privé des véhicules par l'employeur. Après avoir relevé que l'employeur contribue au financement de l'association qui met les véhicules à disposition des salariés en réglant les factures que celle-ci a établies, l'arrêt retient que l'employeur n'établit pas que ces factures couvrent exclusivement les frais kilométriques supportés à titre professionnel par les salariés, et non des frais associés à une utilisation privée de ces véhicules.
13. De ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel, ayant estimé que les éléments de preuve apportés par la société cotisante étaient insuffisants à démontrer qu'elle prenait exclusivement en charge les déplacements professionnels effectués par ses salariés, a exactement déduit que l'URSSAF était fondée à procéder au redressement sur la base d'une évaluation forfaitaire de l'avantage procuré aux salariés, minorée du montant de la redevance réglée annuellement par ceux-ci.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. La société cotisante fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement d'une certaine somme correspondant au montant restant dû au titre des mises en demeure délivrées pour chacun de ses établissements, alors « qu'un paiement partiel libère le débiteur et éteint sa dette à l'égard du créancier à due concurrence ; qu'ayant relevé que le premier juge a déclaré acquises à l'URSSAF les sommes versées par la société cotisante de 9 637 euros au titre de la mise en demeure n° 0003401971 du 12 décembre 2012 concernant l'établissement de [Localité 5] et de 622 258 euros au titre de la mise en demeure n° 0003401961 du 12 décembre 2012 concernant l'établissement de [Localité 4], la cour d'appel a énoncé que les chefs de redressement annulés n° 11, 14 et 15 correspondaient aux sommes de 13 373 euros pour l'établissement de [Localité 5] et de 55 078 euros pour l'établissement de [Localité 4] qui devaient venir en déduction du montant des mises en demeure de 45 713 euros pour l'établissement de [Localité 5] et de 755 542 euros pour l'établissement de [Localité 4] pour un solde restant dû de 32 340 (45 713 – 13 373) euros pour l'établissement de [Localité 5] et de 700 464 euros (755 542 – 55 078) pour l'établissement de [Localité 4], qu'il convenait de débouter la société cotisante de sa demande de remboursement, à titre principal, de la somme de 656 887 euros et de la condamner à payer à l'URSSAF les sommes de 32 340 euros correspondant au montant restant dû au titre de la mise en demeure n° 0003401971 (établissement de [Localité 5]) et de 700 464 euros correspondant au solde restant dû au titre de la mise en demeure n° 0003401961 (établissement de [Localité 4]) ; qu'en omettant ainsi d'imputer, sur le solde restant dû des mises en demeure après déduction du montant des chefs de redressement annulés, le montant des paiements dont elle a constaté qu'ils étaient déjà intervenus au titre de ces mêmes mises en demeure n° 0003401971 et n° 0003401961 du 12 décembre 2012, tout en déboutant la société cotisante de sa demande de remboursement de ces sommes, la cour d'appel a prononcé une condamnation excédant le montant de la dette non éteinte par le paiement partiel intervenu, libératoire à due concurrence, et a violé les articles 1234 et 1235 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, alors en vigueur :
16. Il résulte de ce texte que le paiement partiel effectué par le cotisant en règlement des cotisations ou contributions sociales et des majorations qui lui sont réclamées aux termes de la mise en demeure éteint, à due concurrence, sa dette envers l'organisme de recouvrement.
17. Pour condamner la société cotisante au paiement des sommes réclamées dans les mises en demeure litigieuses, déduction faite du montant des chefs de redressement annulés, l'arrêt retient qu'il convient de la débouter de sa demande en remboursement des sommes versées à l'URSSAF à la suite de la lettre d'observations, avant la délivrance de ces mises en demeure.
18. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que la société cotisante avait effectué des versements partiels au profit de l'organisme de recouvrement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [3] à payer à l'URSSAF d'Aquitaine les sommes de 700 464 euros, au titre du solde restant dû en principal et majorations de retard au titre de la mise en demeure n° 0003401961 relative à l'établissement de [Localité 4], et de 32 340 euros au titre du solde restant dû en principal et majorations de retard au titre de la mise en demeure n° 0003401971 relative à l'établissement de [Localité 5], l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq.