CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 250 F-D
Pourvoi n° D 22-15.938
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
La caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-15.938 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Tahiti Beachcomber, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pédron, conseiller, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Tahiti Beachcomber, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Pédron, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 10 mars 2022), à la suite d'un contrôle, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française (la caisse) a émis, le 19 décembre 2019, une contrainte d'un certain montant à l'encontre de la société Tahiti Beachcomber (la société) au titre d'un redressement sur les cotisations sociales dues. Cette contrainte a été notifiée à la société, par lettre recommandée remise le 20 février 2020.
2. Par requête du 9 mars 2020, la société a saisi un tribunal du travail d'une opposition à contrainte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer l'opposition de la société recevable et d'invalider la contrainte litigieuse, alors « que l'exécution de la contrainte peut être interrompue, dans les conditions de l'article 6 du décret n° 57-246 du 24 février 1957, par opposition motivée formée par le débiteur dans les huit jours à compter de la signification ; que si la contrainte peut être signifiée au débiteur par voie extra-judiciaire, elle peut également être valablement notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, ces deux formalités étant équivalentes et faisant toutes deux courir le délai d'opposition ; qu'en retenant pourtant que, dans sa rédaction actuelle, la disposition précitée ne permet pas de retenir que la notification par lettre recommandée de la contrainte a fait valablement courir le délai d'opposition de huit jours et que c'est à bon droit que le tribunal a déclaré recevable l'opposition enregistrée au greffe, la cour d'appel a violé l'article 6 du décret n° 57-246 du 24 février 1957. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 6 du décret n° 57-246 du 24 février 1957, relatif au recouvrement des sommes dues par les employeurs aux caisses de compensation des prestations familiales installées dans les territoires d'outre-mer, tel qu'applicable en Polynésie française, dans sa rédaction issue de la délibération n° 89-65 AT du 26 juin 1989, la contrainte est signifiée au débiteur par voie extra-judiciaire. Elle peut valablement être notifiée par lettre recommandée avec avis de réception. Elle est exécutoire dans les mêmes conditions qu'un jugement. L'exécution de la contrainte peut être interrompue par opposition motivée formée par le débiteur par inscription au greffe du tribunal du travail ou par lettre recommandée au secrétariat dudit tribunal dans les huit jours à compter de la signification.
5. L'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que dans sa rédaction applicable au litige, l'article 6 précité ne permet pas de retenir que la notification de la contrainte, le 20 février 2020, a fait valablement courir le délai d'opposition de 8 jours.
6. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement retenu
que le délai d'opposition à contrainte n'ayant pas commencé à courir en l'absence de signification de l'acte à la société, l'opposition était recevable.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La caisse fait le même grief à l'arrêt, alors « que les pourboires centralisés par l'employeur puis reversés au personnel salarié constituent une rémunération soumise à cotisations sociales au sens de l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956, s'agissant de sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail ; qu'en retenant le contraire, après avoir constaté que l'article 19 de ce texte ne faisait pas expressément référence aux pourboires, la cour d'appel a violé l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT, du 28 septembre 1956, portant organisation et fonctionnement de la caisse de compensation des prestations familiales du territoire des établissements français de l'Océanie et l'article Lp, 3353-5 du code du travail de la Polynésie française :
9. Aux termes du premier de ces textes, les cotisations des employeurs et des travailleurs sont assises sur l'ensemble des rémunérations versées ou dues aux travailleurs dans la limite des plafonds réglementaires. Sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les primes, gratifications et tous autres avantages en nature ou en espèces.
10. Selon le second, la rémunération s'entend non seulement du salaire, des appointements ou commissions proprement dits, mais aussi de tous les accessoires, primes ou gratifications y compris l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés, à l'exclusion des indemnités ayant le caractère de remboursement de frais professionnels, des indemnités de licenciement et indemnités pour rupture abusive.
11. Pour invalider la contrainte, l'arrêt relève qu'il n'existe pas en Polynésie française de dispositions semblables à celles de l'article L. 242-1 du code de sécurité sociale, selon lequel toutes les sommes perçues directement de l'entreprise ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboires sont assujetties aux cotisations sociales. Il ajoute qu'en l'état du texte applicable, les pourboires, bien que centralisés par l'employeur, qui se bornent à les reverser, ne peuvent être considérés comme un élément de rémunération au sens de ce texte.
12. En statuant ainsi, alors que les pourboires versés au personnel salarié, constituent un élément de rémunération devant être intégré à l'assiette des cotisations sociales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel recevable et confirme le jugement en tant qu'il a dit l'opposition recevable, l'arrêt rendu le 10 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne la société Tahiti Beachcomber aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Tahiti Beachcomber et la condamne à payer à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq.