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13/03/2025 | FRANCE | N°23-20.289

France | France, Cour de cassation, Deuxième chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na, 13 mars 2025, 23-20.289


CIV. 2

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 mars 2025




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 318 F-B

Pourvoi n° D 23-20.289




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2025

La société La Solitude, société à responsabilité limit

ée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 23-20.289 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2023 par la cour d'appel de Pau (2e chambre - section 1), dans le litige l'opp...

CIV. 2

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 mars 2025




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 318 F-B

Pourvoi n° D 23-20.289




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2025

La société La Solitude, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 23-20.289 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2023 par la cour d'appel de Pau (2e chambre - section 1), dans le litige l'opposant à la société Axeria IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société La Solitude, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Axeria IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 27 juin 2023), la société La Solitude, exploitante d'un établissement hôtelier à [Localité 3] (65), a souscrit auprès de la société Axeria IARD (l'assureur) un contrat d'assurance « multirisque des professionnels de l'hôtellerie » nommé « pupilles & papilles ».

2. Un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a notamment édicté, pour les établissements relevant de certaines catégories, l'interdiction d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, et a habilité le représentant de l'Etat à interdire ou à restreindre, par des mesures réglementaires ou individuelles, les activités qui n'étaient pas interdites en vertu de ce texte lorsque les circonstances locales l'exigeaient.

3. Par un arrêté du 4 avril 2020, le préfet des Hautes-Pyrénées a interdit la location, à titre touristique, des chambres d'hôtels ainsi que des meublés de tourisme ou de tout autre logement destiné à la location saisonnière situés sur le territoire de certaines communes, dont [Localité 3], jusqu'au 15 avril 2020, cette interdiction étant ensuite prorogée.

4. Après avoir effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée des pertes d'exploitation subies en raison de la crise sanitaire, l'assurée l'a assigné devant un tribunal de commerce.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'assurée fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement qui avait dit qu'elle bénéficiait de la garantie « pertes d'exploitation » prévue dans le contrat conclu avec l'assureur et dit que les conditions nécessaires à la mise en œuvre de la garantie étaient remplies, et en conséquence de rejeter l'intégralité de ses demandes, alors « qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le contrat d'assurance est un tout formé des conditions générales et des conditions particulières ; qu'en l'espèce, les conditions générales du contrat d'assurance « pupilles & papilles » stipulent (p. 3) : « quels sont les documents qui composent votre contrat ?
- les présentes Conditions Générales, qui définissent la nature et l'étendue des garanties que nous vous proposons, y compris l'assistance et précisent nos droits et obligations réciproques,
- les Conditions Particulières :
$gt; elles adaptent le contrat à votre situation personnelle en fonction des renseignements fournis au moment de la souscription ou des modifications apportées en cours de contrat,
$gt; elles indiquent les garanties que vous avez choisies ainsi que leurs montants et franchises »; que ces conditions générales listent en outre (p. 4) des garanties « en inclusion », par opposition aux « garanties en option », les premières comprenant notamment la garantie perte d'exploitation en cas de fermeture sur décision administrative de l'établissement pour maladies ou infections contagieuses (p. 35) ; qu'en considérant qu'il « résulte de l'ensemble de ces clauses claires, dénuées d'équivoque, rédigées de façon apparente et aisément intelligibles, que les conditions générales renferment les garanties proposées par l'assureur et que les conditions particulières renferment les garanties choisies par le souscripteur », pour exclure purement et simplement du champ contractuel les garanties en inclusion listées dans les conditions générales au profit des seules garanties visées dans les conditions particulières, et dire que les sociétés exposantes n'avaient pas souscrit la garantie susvisée parce qu'elle n'avait pas été choisie dans les conditions particulières du contrat, la cour d'appel a dénaturé les conditions générales du contrat d'assurance et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes, l'arrêt retient qu'aux termes, clairs et dénués d'équivoque, des conditions générales du contrat, celles-ci définissent la nature et l'étendue des garanties que propose l'assureur, tandis que les conditions particulières indiquent les garanties choisies par l'assuré. Il en déduit que si les conditions générales proposent des « garanties en inclusion », dont la perte d'exploitation, et des « garanties en option », le souscripteur reste libre de ne pas souscrire l'une des garanties incluses dans le contrat.

7. Relevant que les conditions générales proposent une garantie des pertes d'exploitation en trois volets, il énonce que seule a été souscrite la garantie des pertes d'exploitation consécutives aux dommages matériels subis par les biens assurés résultant d'événements limitativement énumérés dans la « garantie de base » et aux dommages matériels garantis par le volet « dommages électriques », mais que la garantie des pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative, qui n'est pas reprise dans les conditions particulières, n'a pas été souscrite par l'assurée.

8. En statuant ainsi, alors que la garantie des pertes d'exploitation, en ce compris la perte de marge brute due à la fermeture de l'établissement sur décision administrative, fait partie des garanties « en inclusion » et non des garanties optionnelles devant être spécifiquement souscrites par l'assuré, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat et violé le principe susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. L'assurée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, la clause relative à la garantie perte d'exploitation stipule qu'est garantie « la perte d'exploitation due à la fermeture de l'établissement sur décision administrative dans les seuls cas suivants : assassinat ou suicide dans l'établissement ; maladies, infections contagieuses ; intoxications alimentaires ; présence d'animaux ou insectes nuisibles ; insuffisance sanitaire » ; qu'en jugeant qu'il « résulte de ces termes clairs et univoques que la garantie perte d'exploitation litigieuse a pour objet d'assurer le risque de fermeture administrative en cas de survenance de certains événements propres aux aléas inhérents à l'activité de l'établissement assuré, en l'espèce, un hôtel-restaurant » et qu'« en cas de maladies et infections contagieuses, le risque est réalisé lorsque la fermeture administrative est motivée par la survenance de maladies ou infections contagieuses en relation avec l'activité de l'établissement assuré », la cour d'appel a ajouté à cette clause claire et univoque une condition qu'elle ne prévoit pas, dénaturant ainsi le contrat par adjonction en violation du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Pour débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes, l'arrêt relève que celle-ci se prévaut de la clause stipulant qu'est garantie « la perte d'exploitation due à la fermeture de l'établissement sur décision administrative dans les seuls cas suivants : assassinat ou suicide dans l'établissement ; maladies, infections contagieuses ; intoxications alimentaires ; présence d'animaux ou insectes nuisibles ; insuffisance sanitaire ».

11. Il retient que cette garantie a pour objet d'assurer le risque de fermeture administrative en cas de survenance de certains événements propres aux aléas inhérents à l'activité de l'établissement assuré, en l'espèce, un hôtel-restaurant, de sorte que la clause postule l'existence d'un lien de causalité entre l'activité assurée et la survenance de l'événement en considération duquel l'établissement a fait l'objet de la fermeture administrative.

12. Il ajoute qu'en cas de maladies et infections contagieuses, le risque est réalisé lorsque la fermeture administrative est motivée par la survenance de maladies ou infections contagieuses en relation avec l'activité de l'établissement assuré. Il en déduit que les mesures administratives nationales ou préfectorales de lutte destinées à limiter la propagation du virus Covid-19, qui n'ont pas été édictées en raison d'un lien entre l'activité des établissements visés et ce virus, ne peuvent être regardées comme la réalisation du risque de fermeture administrative garanti par le contrat.

13. En statuant ainsi, alors que les conditions générales ne conditionnent pas la garantie des pertes d'exploitation à l'existence d'un lien de causalité entre l'activité assurée et la survenance de la maladie ou de l'infection contagieuse motivant la fermeture administrative de l'établissement, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat et violé le principe susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

14. L'assurée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer que la garantie perte d'exploitation pour fermeture sur décision administrative du contrat « pupilles & papilles » ne soit mobilisable qu'en cas de fermeture sur décision administrative motivée par un risque inhérent à l'activité de l'établissement assuré, l'arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées n° 65-2020-04-04-001 du 4 avril 2020 portant interdiction aux hébergements à vocation touristique de recevoir du public a été pris au motif que, même si la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 n'a pas prescrit la fermeture des établissements hôteliers, le représentant de l'État dans le département pouvait interdire certaines activités qui ne l'avaient pas été par le législateur, et « qu'eu égard aux circonstances qui viennent d'être rappelées (tenant à la nécessité de limiter les déplacements de personnes dans des lieux touristiques) mais également au risque de contagion présenté par la concentration de personnes, en un même lieu disposant de parties communes, il y a lieu d'interdire aux hôtels, situés sur le territoire des communes citées en annexe, de louer leurs chambres à des fins touristiques, jusqu'au 15 avril 2020 » ; qu'en retenant que cet arrêté avait été pris pour « lutter contre les déplacements de la population vers les lieux touristiques au cours des vacances de Pâques et les concentrations de personnes en un même lieu disposant de parties communes, et non en raison d'un lien entre l'activité des hôtels et le virus covid19 », pour en déduire qu'il ne constituait pas une mesure de fermeture sur décision administrative motivée par un risque inhérent à l'activité des établissements hôteliers assurés, la cour d'appel a violé l'arrêté susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées n° 65-2020-04-04-001 du 4 avril 2020 portant interdiction aux hébergements à vocation touristique de recevoir du public :

15. Selon ce texte, la location, à titre touristique, des chambres d'hôtels situés sur le territoire de plusieurs communes, dont [Localité 3], a été interdite jusqu'au 15 avril 2020 afin de prévenir la propagation du virus covid-19.

16. Pour débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes, l'arrêt retient que cet arrêté ne peut être regardé comme la réalisation du risque de fermeture administrative garanti, dès lors que cette mesure a été prise pour lutter contre les déplacements de la population vers les lieux touristiques au cours des vacances de Pâques et les concentrations de personnes en un même lieu disposant de parties communes, et non en raison d'un lien entre l'activité des hôtels et le virus covid-19.

17. En statuant ainsi, alors que l'interdiction de la location à titre touristique des chambres d'hôtels a été décidée par le préfet en raison du risque particulier de propagation du virus que présentait cette catégorie d'établissements, de sorte qu'elle constituait une fermeture de l'établissement assuré sur décision administrative en cas de maladies ou d'infections contagieuses au sens du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Axeria IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axeria IARD et la condamne à payer à la société La Solitude la somme de 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-20.289
Date de la décision : 13/03/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau 21


Publications
Proposition de citation : Cass. Deuxième chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na, 13 mar. 2025, pourvoi n°23-20.289, Bull. civ.Publié au
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.20.289
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