CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 215 F-D
Pourvois n°
P 21-25.396
G 23-12.887 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MARS 2025
I. La SCI Valloire immobilier, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-25.396 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Valactif, société par actions simplifiée, exerçant sous l'enseigne Clairfield international, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
II. La SCI Valloire immobilier a formé le pourvoi n° G 23-12.887 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Valactif, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par sa présidente, la société Equitys finance, ayant son siège [Adresse 2], défenderesse à la cassation
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi n° P 21-25.396, deux moyens de cassation, et, à l'appui de son pourvoi n° G 23-12.887, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de la SCI Valloire immobilier, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Valactif, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 21-25.396 et G 23-12.887 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 7 octobre 2021 et Grenoble, 27 septembre 2022), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre Est (la banque) a, par acte du 23 avril 2015, cédé à la société Valactif (la société) la créance qu'elle détenait sur la SCI Valloire immobilier (la SCI) au titre de deux prêts qu'elle lui avait consentis par des actes notariés des 25 avril 2005 et 22 avril 2006.
3. Le 8 janvier 2016, deux actes d'endossement de la copie exécutoire des actes notariés de prêt au profit de la société ont été reçus par notaire.
4. Le 4 avril 2017, la société a fait pratiquer entre les mains des locataires de la SCI des saisies-attributions à exécution successive, dont la SCI a sollicité la mainlevée devant un juge de l'exécution.
5. La SCI a formé appel du jugement l'ayant déboutée de toutes ses demandes.
6. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 4 avril 2019, cassé par un arrêt de la Cour de cassation (2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.999, publié).
7. Par déclaration du 2 février 2021, la SCI a saisi la cour d'appel de renvoi.
8. Le 15 février 2021, la société a fait délivrer à la SCI un commandement aux fins de saisie vente, qui a été contesté par cette dernière.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° P 21-25.396, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
9. La SCI fait grief à l'arrêt de dire que l'inopposabilité des endossements était sans effet sur la validité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 16 juillet 2016 et sur la validité des procès-verbaux de saisie attribution du 4 avril 2017 et, en conséquence, de la débouter de sa demande en nullité de ce commandement de payer et de ses demandes d'annulation et mainlevée de ces saisies attribution et de la débouter de sa demande en constatation de la prescription de la créance née du prêt du 25 avril 2005, alors :
« 1°/ que le transfert d'une créance ayant donné lieu à l'établissement d'une copie exécutoire à ordre ne peut être effectué selon les formalités de l'article 1690 du code civil ; qu'en relevant, pour rejeter les demandes de la SCI Valloire immobilier tendant à l'inopposabilité des cessions de créance et à la nullité des mesures d'exécution subséquentes, que rien ne s'oppose à ce qu'une créance constatée par acte notarié soit transmise selon les modalités de l'article 1690 du code civil, cependant que les créances cédées à la société Valactif avaient donné lieu à l'établissement de copies exécutoires à ordre et avaient été endossées, ce dont il découlait qu'elle ne pouvaient être cédées selon les formes du code civil et que leur opposabilité à la SCI Valloire immobilier relevait des seules dispositions de la loi du 15 juin 1976, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1690 du code civil et, par refus d'application, l'article 6 de la loi n° 76-519 du 15 juin 1976 ;
2°/ que le transfert d'une créance ayant donné lieu à l'établissement d'une copie exécutoire à ordre ne peut être effectué selon les formalités de l'article 1690 du code civil et n'est opposable au débiteur que dans le respect des formes prescrites par la loi du 15 juin 1976, quelle que soit la nature des poursuites engagées par le cessionnaire ; qu'en considérant que l'absence d'endossement opposable au débiteur interdisait seulement au cessionnaire de mettre en uvre des sûretés immobilières mais non de procéder au recouvrement de sa créance par la voie d'une exécution mobilière, cependant que le transfert de la créance ayant donné lieu à l'établissement d'une copie exécutoire à ordre dans les formes du code civil est interdit, quelle que soit la nature de poursuite engagée par le cessionnaire, la cour d'appel a violé les articles 3 et 6 de la loi n° 76-519 du 15 juin 1976. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6 de la loi n° 76-519 du 15 juin 1976 relative à certaines formes de transmission des créances :
10. Aux termes du quatrième alinéa de ce texte, le transfert ou le nantissement d'une créance ayant donné lieu à l'établissement d'une copie exécutoire à ordre ne peut être effectué selon les formalités de l'article 1690 du code civil.
11. Selon les sixième et dernier alinéa de ce texte, l'endossement de la copie exécutoire à ordre d'un acte authentique constatant une créance doit être notifié au débiteur par le notaire signataire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et l'absence de cette notification entraîne son inopposabilité à l'égard du débiteur.
12. Il résulte de l'ensemble de ces textes que la transmission des créances constatées dans des copies exécutoires à ordre n'est opposable au débiteur que dans le respect des formes prescrites par la loi du 15 juin 1976, quelle que soit la nature des poursuites engagées par le cessionnaire, mobilière ou immobilière.
13. Pour rejeter les demandes de nullité et de mainlevée des actes d'exécution, l'arrêt retient que l'inopposabilité de l'endossement au débiteur, qui n'est pas le seul mode de transmission d'un titre exécutoire, est sans effet sur la validité de la cession de la créance.
14. Il retient ensuite que la créance peut être transmise par la voie de droit commun de l'article 1690 du code de procédure civile, l'endossement, dans les formes de l'article 6 de la loi du 15 juin 1976, constituant la seule voie de transmission de la sûreté immobilière attachée à la créance.
15. Il en déduit que l'inopposabilité au débiteur ne prive le créancier que de la possibilité d'user des sûretés immobilières mais non du recouvrement de sa créance par les voies d'exécution mobilières s'il a régulièrement notifié au débiteur la cession de sa créance, qui est régulière.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen du pourvoi n° P 21-25.396, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
17. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à voir déclarer prescrite la créance au titre du prêt souscrit le 22 avril 2006, alors « que le juge, tenu, en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur un moyen relevé d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, pour la déclarer irrecevable, la nouveauté en appel de la demande tendant à voir déclarer prescrite la créance née du prêt du 22 avril 2006, sans avoir, au préalable, invité à présenter leurs observations sur cette fin de non-recevoir, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
18. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
19. Pour déclarer irrecevable la demande de la SCI tendant à voir prononcer la prescription des créances comme dirigée à l'encontre de la société, l'arrêt retient qu'elle est irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel.
20. En statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur l'irrecevabilité qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
21. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 7 octobre 2021 entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt du 27 septembre 2022, qui en est la suite.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° P 21-25.396 et sur les griefs du pourvoi n° G 23-12.887, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevables les conclusions de la SCI Valloire immobilier notifiées le 7 septembre 2021, débouté la SCI Valloire immobilier de sa demande d'annulation des actes d'endossement des prêts qui lui ont été consentis les 25 avril 2005 et 22 avril 2006 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre Est, passés le 8 janvier 2016 au profit de la société Valactif, réformé le jugement prononcé le 6 septembre 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Valence en ce qu'il a implicitement retenu que les actes d'endossement étaient opposables à la SCI Valloire immobilier au jour des saisies-attribution du 4 avril 2017, et statuant à nouveau, dit que ces actes d'endossements étaient inopposables à la SCI Valloire immobilier jusqu'à leur notification par M. [V] le 29 octobre 2020, l'arrêt rendu le 7 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt rendu le 27 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Valactif aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Valactif et la condamne à payer à la SCI Valloire immobilier la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé et de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-cinq.