CIV. 2 / EXPTS
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 février 2025
Annulation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 139 FS-B+R
Recours n° B 24-11.206
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025
M. [R] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le recours n° B 24-11.206 en annulation de la décision rendue le 10 novembre 2023 par l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Chambéry.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [L], et l'avis écrit de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, Mmes Cassignard, Chauve, Salomon, conseillers, MM. Ittah, Riuné, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Le demandeur invoque, à l'appui de son recours, sept griefs d'annulation.
Faits et procédure
1. M. [L] a sollicité son inscription sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Chambéry dans les rubriques « masseurs kinésithérapeutes » (F.8.6) ; « experts en matière de sécurité sociale - professionnels de santé non médecins » (F.9.2) et « experts en matière d'interprétation des actes et prestations - professionnels de santé non médecins » (F.10.2).
2. Par décision du 10 novembre 2023, contre laquelle M. [L] a formé un recours, l'assemblée générale des magistrats du siège de cette cour d'appel a rejeté sa demande au motif qu'il a été l'auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation.
Examen des griefs
Sur les deux premiers griefs
Exposé des griefs
3. M. [L] fait valoir :
1°/ que l'assemblée générale s'est tenue sous la présidence d'une présidente de chambre, qui a signé la décision attaquée, sans qu'il ressorte des pièces du dossier que cette dernière ait été régulièrement désignée pour suppléer la première présidente de la cour d'appel de Chambéry pour présider l'assemblée générale et signer la décision ; que, dans ces conditions, cette dernière a été prise en violation des articles L. 121-3, R. 121-3, R. 312-2 et R. 312-39 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 8, alinéa 3, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires ;
2°/ que la décision a été signée par une adjointe administrative, sans qu'il ressorte des pièces du dossier que cette dernière ait été désignée dans les conditions prévues à l'article R. 123-7 du code de l'organisation judiciaire pour exercer les fonctions dévolues au directeur de greffe ; que, dans ces conditions, la décision a été prise en violation des articles R. 312-38 et R. 123-7 du code de l'organisation judiciaire.
Réponse de la Cour
4. Si l'article R. 312-39 du code de l'organisation judiciaire énonce que le premier président de la cour d'appel préside l'assemblée générale des magistrats du siège, l'article R. 312-2 du même code dispose que le premier président, en cas d'absence ou d'empêchement, est suppléé dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées, par le président de chambre qu'il aura désigné.
5. Si les articles R. 123-13, R. 212-33 et R. 312-38 du code de l'organisation judiciaire énoncent qu'à la cour d'appel, le directeur de greffe assiste aux assemblées générales, l'article R. 123-7 du même code dispose que, pour l'exercice des attributions qui lui sont dévolues, le directeur de greffe de la juridiction peut donner délégation à un directeur des services de greffe judiciaire de la même juridiction et que, selon les besoins du service, il peut désigner sous sa responsabilité un ou plusieurs agents du greffe pour exercer partie des fonctions qui lui sont attribuées à l'article R. 123-5 du même code.
6. Dès lors que les mentions du procès-verbal de l'assemblée générale du 10 novembre 2023 font apparaître qu'elle s'est tenue sous la présidence d'une présidente de chambre, avec l'assistance d'une adjointe administrative, la première est présumée avoir été désignée par le premier président de la cour d'appel et la seconde est présumée avoir été désignée sous la responsabilité du directeur de greffe de la cour d'appel.
7. Les griefs ne peuvent, dès lors, être accueillis.
Sur le troisième grief
Exposé du grief
8. M. [L] fait valoir qu'il n'apparaît pas que chacune des juridictions appelée à participer, avec voix consultative, à l'examen de sa demande d'inscription, en l'occurrence les tribunaux judiciaires, les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes du ressort, ait été dûment représentée par l'un de ses membres, lors de l'assemblée générale des magistrats du siège qui s'est tenue le 10 novembre 2023 ; que, dans ces conditions, la décision a été prise en violation de l'article 8, alinéa 4, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 8, alinéa 4, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-1258 du 26 septembre 2022, les tribunaux judiciaires, les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes du ressort de la cour d'appel sont représentés à l'assemblée générale, même si celle-ci siège en commission restreinte ou en formation restreinte, par un de leurs membres qui participe avec voix consultative à l'examen des demandes. Toutefois, le premier président peut dispenser certaines juridictions de se faire représenter, pourvu qu'un membre au moins de chacune des catégories de juridiction siège à l'assemblée générale.
10. Le procès-verbal de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Chambéry du 10 novembre 2023 fait apparaître que chacune des catégories de juridiction appelée à participer, avec voix consultative, à l'examen de la demande formée par M. [L], a été représentée par un de ses membres.
11. Le grief, ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le quatrième grief
Exposé du grief
12. M. [L] fait valoir, dans une première branche, que les mentions du procès-verbal ne font pas apparaître si l'assemblée générale des magistrats du siège qui s'est tenue le 10 novembre 2023 s'est réunie en formation plénière, en formation restreinte ou en commission restreinte, de sorte qu'il n'est pas établi que les règles de composition aient été respectées ; que, dans ces conditions, la décision a été prise en violation de l'article 8 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.
13. Il soutient subsidiairement, dans une seconde branche, qu'il n'apparaît pas que la composition de l'assemblée générale des magistrats du siège, qui s'est réunie le 10 novembre 2023 en commission ou formation restreinte, ait été régulière ; que, dans ces conditions, la décision a été prise en violation de l'article 8, alinéas 2 et 3, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.
Réponse de la Cour
14. Selon l'article 8 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-1258 du 26 septembre 2022, l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel qui dresse la liste des experts peut se tenir en commission restreinte, telle que prévue au dernier alinéa de l'article R. 312-27 du code de l'organisation judiciaire, si la cour d'appel comporte plus de trois chambres ou en formation restreinte si elle comporte plus de cinq chambres.
15. Dès lors que les mentions du procès-verbal du 10 novembre 2023 font apparaître que l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Chambéry s'est réunie afin d'établir la liste des experts judiciaires pour l'année 2024, elle est présumée s'être tenue en formation plénière.
16. Le grief ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le cinquième grief
Exposé du grief
17. M. [L] fait valoir que le procès-verbal mentionne que, pour la tenue de l'assemblée générale, plusieurs magistrats ont reçu les pouvoirs de conseillers ou présidents de chambre, sans qu'aucune procuration écrite correspondante n'ait été annexée au procès-verbal de l'assemblée qui s'est tenue le 10 novembre 2023 ; que, dans ces conditions, cette dernière s'est tenue en violation de l'article R. 312-33 du code de l'organisation judiciaire.
Réponse de la Cour
18. Un vice de forme, qui affecte le procès-verbal d'une assemblée générale statuant en matière d'inscription sur la liste des experts judiciaires, n'est de nature à entraîner l'annulation de la décision de refus d'inscription ou de réinscription sur cette liste que si le requérant justifie que cette irrégularité de forme lui a causé un grief.
19. Selon l'article R. 312-33 du code de l'organisation judiciaire, les membres de l'assemblée générale qui remplissent les conditions pour voter par procuration et qui souhaitent utiliser cette procédure doivent en informer le président de l'assemblée générale avant la tenue de la réunion. Chaque mandataire ne peut disposer de plus de deux procurations. La procuration doit être donnée par écrit et est annexée au procès-verbal.
20. Le procès-verbal de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Chambéry du 10 novembre 2023, réunie afin d'établir la liste des experts judiciaires pour l'année 2024, mentionne que plusieurs magistrats du siège ont reçu des pouvoirs pour en représenter d'autres.
21. Il ressort des pièces de la procédure que les procurations écrites correspondantes ne sont pas annexées au procès-verbal.
22. Cependant, M. [L] n'allègue ni ne justifie que l'irrégularité tenant au défaut d'annexion des procurations écrites lui a causé un grief.
23. Le grief ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le sixième grief
Exposé du grief
24. M. [L] fait valoir que plusieurs membres de l'assemblée générale, ayant voix délibérative ou consultative, étaient présents en visioconférence alors qu'il n'apparaît pas que le règlement intérieur de l'assemblée plénière de la cour d'appel de Chambéry autorise ses membres à participer aux réunions d'assemblée générale à distance, par la voie de la visioconférence ; que, dans ces conditions, la décision a été prise en violation de l'article R. 312-28 du code de l'organisation judiciaire et du règlement intérieur.
Réponse de la Cour
25. M. [L] ne justifie pas de l'irrégularité alléguée.
26. Le grief, ne peut, dès lors, être accueilli.
Mais sur le septième grief, pris en sa première branche
Exposé du grief
27. M. [L] fait valoir qu'en se bornant à indiquer, pour rejeter sa demande, qu'il avait été l'auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation, sans préciser les faits dont il aurait été l'auteur, l'assemblée générale, qui ne l'a pas mis en mesure de connaître les raisons pour lesquelles sa demande a été rejetée, a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 2, § IV, de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971, et de l'article 2 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004.
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et l'article 2 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 :
28. Selon le premier de ces textes, la décision de refus d'inscription ou de réinscription sur la liste des experts judiciaires dressée par une cour d'appel est motivée.
29. Pour rejeter la demande de M. [L], l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel se borne à indiquer qu'il a été l'auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation.
30. En se déterminant ainsi, sans préciser les faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative dont M. [L] aurait été l'auteur, l'assemblée générale des magistrats du siège, qui n'a pas mis l'intéressé en mesure de connaître les raisons pour lesquelles sa demande a été rejetée, n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés.
31. La décision de cette assemblée générale doit, dès lors, être annulée en ce qui concerne M. [L].
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du recours, la Cour :
ANNULE la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel de Chambéry du 10 novembre 2023, en ce qu'elle a refusé l'inscription de M. [L] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la décision partiellement annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.