N° H 24-86.467 FS-B
N° 00350
GM
12 FÉVRIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 FÉVRIER 2025
La société [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 561 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 29 août 2024, qui, dans l'information suivie des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment aggravé, a confirmé l'ordonnance de non-restitution de bien saisi rendue par le juge d'instruction.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [3], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, l'avocat du demandeur a eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza MM. Samuel, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, MM. Gillis, Michon, Mme Bloch, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance de saisie de bien meuble corporel dans un Etat membre de l'Union européenne du 18 octobre 2023, le juge d'instruction a ordonné la saisie à [Localité 1] (Italie) du navire [2], propriété de la société [3], sise aux Iles Caïmans.
3. La société [3] a sollicité du juge d'instruction la restitution du bien.
4. Par ordonnance du 31 mai 2024, le juge d'instruction a rejeté cette demande.
5. Le 11 juin 2024, la société [3] a relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par la chambre de l'instruction, laquelle était incompétente pour statuer sur l'appel formé par la société [3] d'une ordonnance de refus de restitution le 29 août 2024, alors « que les lois de compétence sont d'application immédiate, tant qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance ; qu'en se prononçant le 29 août 2024 sur l'appel interjeté par l'exposante contre l'ordonnance rejetant sa demande de restitution, lorsqu'en application de la loi 24 juin 2024, entrée en vigueur le 26 juin suivant, seul le premier président de la cour d'appel ou le conseiller désigné par lui était compétent pour statuer sur ce recours, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des articles 99 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi précitée et 112-2, 1° du Code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Le moyen pose la question de la détermination des modalités selon lesquelles la loi de compétence nouvelle s'applique aux instances en cours, en l'absence de dispositions législatives transitoires.
8. Aux termes de l'article 112-2, 1°, du code pénal, les lois de compétence et d'organisation judiciaire sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, tant qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance. Cette réserve ne trouve à s'appliquer que lorsque la loi nouvelle modifie la compétence de la juridiction statuant en première instance.
9. L'article 99, alinéa 5, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, en vigueur jusqu'au 26 juin 2024, attribuait compétence au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance du juge d'instruction rejetant une demande de restitution d'un bien saisi.
10. La loi n° 2024-582 du 24 juin 2024, entrée en vigueur le 26 juin suivant, a donné compétence pour statuer sur cet appel au premier président de la cour d'appel ou au conseiller désigné par lui en lieu et place du président de la chambre de l'instruction ou de la chambre de l'instruction.
11. L'application immédiate des lois de compétence aux instances en cours ne peut contrevenir à la prohibition édictée par l'article 112-4, alinéa 1er, du code pénal, aux termes duquel une telle application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne.
12. Il en résulte que, nonobstant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi transférant au premier président de la cour d'appel la compétence pour statuer sur ce recours, la chambre de l'instruction régulièrement saisie conserve sa compétence jusqu'au prononcé de la décision lorsque les débats devant elle ont été régulièrement tenus conformément à la loi ancienne avant l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles.
13. En l'espèce, les débats ont eu régulièrement lieu devant la chambre de l'instruction le 19 juin 2024, antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ce dont il résulte qu'en rendant sa décision le 24 août suivant, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de refus de restitution de bien saisi rendue par la juge d'instruction, alors « que la juridiction qui statue sur la demande de restitution est tenue de s'assurer que le requérant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires, et les mentions de l'arrêt doivent identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat du tiers propriétaire ; qu'en se prononçant sans que les mentions de l'arrêt ne permettent de s'assurer, ni directement ni par renvoi à un inventaire dressé par le procureur général, que la société requérante a pu avoir accès aux réquisitions aux fins de saisie et à l'ordonnance de saisie du yacht [2], la chambre de l'instruction n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision au regard des articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et 6 de ladite Convention. »
Réponse de la Cour
16. L'arrêt attaqué mentionne que conformément aux dispositions des articles 194, 197 et 803-1 du code de procédure pénale, le procureur général a déposé le dossier au greffe de la chambre de l'instruction le 11 juin 2024 pour être tenu à la disposition des avocats.
17. Il précise qu'une requête en communication de pièces en date du 20 février 2024 a été présentée par les avocats de la société [3] et qu'ont été communiqués les extraits des pièces faisant explicitement référence aux motifs décisoires des ordonnances querellées sur lesquels la chambre de l'instruction pourrait fonder sa décision, en l'occurrence les passages relatifs à la qualité de propriétaire économique réel de M. [D] [H], qu'il énumère.
18. Il fait état de l'argumentation développée par le mémoire déposé le 18 juin 2024 au soutien des intérêts de la société demanderesse contre les motifs de l'ordonnance de saisie.
19. Les juges énoncent qu'ils constatent que la société [3], tiers à la procédure, a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'elle conteste à la suite de sa requête en communication de pièces en date du 20 février 2024.
20. Ces mentions et énonciations, dont il résulte suffisamment que l'ensemble des pièces se rapportant à la saisie qu'elle conteste a été mis à la disposition de la société demanderesse, n'encourent pas les griefs visés au moyen.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de refus de restitution de bien saisi rendue par la juge d'instruction, alors :
« 1°/ que les délits de blanchiment et d'association de malfaiteurs n'engendrent aucun avantage économique et ne peuvent donc créer de « produit » ; qu'en retenant que « le yacht [2] est susceptible de faire l'objet d'une confiscation en tant que produit des infractions visées », la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21, alinéa 3, du code pénal, 99 et 591 du code de procédure pénale ;
2°/ que le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété par la saisie doit être contrôlé à l'égard du tiers propriétaire qui en sollicite la restitution ; qu'en se bornant à s'assurer de la proportionnalité de l'atteinte portée par la saisie aux droits de M. [H] [D], mis en cause dans le cadre de l'information, sans opérer ce contrôle à l'égard des droits de la société exposante, laquelle invoquait pourtant dans ses écritures le caractère disproportionné de l'atteinte à son droit de propriété, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21, alinéa 6, du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi du 24 juin 2024, 99, 591 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1er protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
23. Pour refuser de restituer le bien saisi, l'arrêt relève qu'il résulte de la procédure des indices tendant à démontrer que M. [D] [H] pourrait être impliqué dans un vaste schéma de blanchiment en bande organisée d'un crime ou d'un délit ayant notamment permis l'achat en France d'une propriété immobilière de 9 000 000 euros et l'acquisition d'un yacht d'une valeur estimée à 16 500 000 euros, sachant que pour l'application de l'article 324-1 du code pénal, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
24. Les juges observent que l'utilisation d'une société basée aux Iles Caïmans pour immatriculer le yacht [2] procède du caractère présumé occulte de l'opération de blanchiment et de la volonté de dissimuler le véritable propriétaire du navire.
25. Ils retiennent que conformément aux dispositions des articles 131-21, alinéas 3 et 6, et 324-7 et 324-12 du code pénal et de l'article 706-148 du code de procédure pénale, l'infraction de blanchiment en bande organisée est punie de la confiscation de la chose qui en est le produit et/ou de tout ou partie des biens du condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.
26. Ils concluent que le yacht [2] est susceptible de confiscation à ces deux titres.
27. En statuant ainsi, par des énonciations dont il ressort qu'en désignant le produit de l'infraction, les juges ont entendu viser son objet, soumis au même régime juridique, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
28. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
29. Le grief est inopérant, dès lors que l'arrêt retient, notamment, que le bien est confiscable au titre d'objet de l'infraction et que le maintien de la saisie de l'objet ou du produit de l'infraction n'est pas subordonné à la mise en oeuvre d'un contrôle de proportionnalité de l'atteinte portée par le maintien de la mesure au droit de propriété.
30. Ainsi, le moyen doit être écarté.
31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt-cinq.