CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 février 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 97 F-D
Pourvoi n° K 23-12.705
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 FÉVRIER 2025
1°/ la société Sun West, société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), dont le siège est [Adresse 4],
2°/ M. [H] [R], domicilié [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 23-12.705 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (3ème chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société caisse de Crédit mutuel de Grandchamp, société coopérative de crédit, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de lasociété Sun West, et de M. [R], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société caisse de Crédit mutuel de Grandchamp, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 décembre 2022) le 27 février 2010, la société Sun West a conclu avec la société One Network Energies (le vendeur) un contrat portant sur l'achat d'une centrale photovoltaïque.
2.Par acte sous seing privé du même jour, la caisse de Crédit mutuel de [Localité 3] (la banque) a consenti à la société Sun West (l'emprunteur), un prêt professionnel scindé en deux crédits de 157 500 euros. Par acte séparé du même jour, M. [R], gérant de la société Sun West, s'est porté caution solidaire de ces deux prêts professionnels.
3. Par acte sous seing privé du 3 décembre 2010, la banque a accordé à l'emprunteur un nouveau prêt d'un montant de 14 000 euros, M. [R] (la caution) se portant caution dans le même acte.
4.L'emprunteur ayant cessé de faire face au remboursement de ses prêts, la banque, après déchéance du terme de chacun d'eux, a assigné l'emprunteur et la caution en paiement.
5. Parallèlement, par un jugement du 14 janvier 2022, le contrat d'achat de la centrale photovoltaïque a été résolu.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le même moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7.L'emprunteur et la caution font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il rejette toutes leurs demandes, fins et conclusions et en ce qu'il les condamne, respectivement en leur qualité de débitrice et de caution, à payer à la banque diverses sommes au titre des crédits, alors « que sont indivisibles, comme participant d'une opération unique, le contrat de prêt qui n'a été consenti qu'en considération de la prestation promise par un tiers à l'emprunteur qu'il est destiné à financer et qu'il mentionne spécifiquement, et le contrat conclu entre l'emprunteur et ce tiers ; qu'en l'espèce, les exposants avaient rappelé que le vendeur, fournisseur de la centrale photovoltaïque aux termes d'un contrat « clé en main », a négocié directement auprès de la banque les prêts que celle-ci a accordés à l'emprunteur pour « l'installation d'une centrale photovoltaïque », objet spécifiquement mentionné dans le contrat de crédit dont la conclusion constituait la condition suspensive du contrat de vente de la centrale tandis que l'utilisation des fonds prêtés ne pouvait servir qu'à l'installation de la centrale à peine de déchéance du terme ; qu'ils avaient également souligné qu'à titre de garantie de remboursement du prêt, la banque avait exigé que lui soit consentie une cession de créances Dailly sur les redevances dues par EDF au titre du contrat d'achat d'électricité que le vendeur devait obtenir dans le cadre de l'exécution du contrat d'installation de la centrale photovoltaïque ; qu'en écartant toute indivisibilité ou interdépendance de ces contrats, au motif erroné que l'article 1218 du code civil est entré en vigueur postérieurement à la signature des deux contrats litigieux et que l'interdépendance des contrats est une notion concrète en ce que l'un des contrats ne peut s'exécuter indépendamment de l'autre, sans rechercher s'il ne résultait pas des conditions de conclusion des contrats et des mentions qui y figuraient que les parties aux contrats de prêt et d'installation de la centrale photovoltaïque avaient entendu qu'ils soient indivisibles comme participant d'une opération unique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1218 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 :
8. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
9. Il en résulte que lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie, si l'autre partie en avait connaissance.
10. Pour dire que les contrats ne sont pas interdépendants, l'arrêt relève que l'interdépendance est une notion concrète qui suppose que l'un des contrats ne puisse s'exécuter indépendamment de l'autre. Il retient que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les fonds prêtés n'ont pas été versés directement par la banque au vendeur mais virés sur le compte de l'emprunteur, lequel payait lui-même les factures et aurait pu, si le vendeur avait interrompu les travaux, utiliser les fonds pour faire achever l'installation par une autre entreprise.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la commune intention des parties de rendre indivisibles les engagements résultant du contrat de vente et des contrats de crédit ne se déduisait pas du fait que le financement avait été négocié par le vendeur, que le contrat relatif à la centrale photovoltaïque était soumis à la condition suspensive de l'obtention d'un financement, que tous les contrats avaient été conclus le même jour et que les prêts étaient garantis par l'engagement de cession par l'emprunteur à la banque, sous forme de bordereaux Dailly, des créances résultant de la vente d'électricité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société caisse de Crédit mutuel de [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société caisse de Crédit mutuel de [Localité 3] et la condamne à payer à la société Sun West et à M. [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt-cinq.