CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 janvier 2025
Annulation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 90 F-D
Pourvoi n° A 23-11.822
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 23-11.822 contre l'arrêt n° RG : 20/02338 rendu le 14 décembre 2022 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société [2], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pédron, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, de Me Haas, avocat de la société [2], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Pédron, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 14 décembre 2022), la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la caisse) ayant, après avis favorable d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et par décision du 3 novembre 2015, pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par l'un de ses salariés (la victime), la société [2] (l'employeur) a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt d'accueillir le recours de l'employeur, alors :
« 1°/ que le secret médical couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ; que le secret ne peut être révélé que si la loi l'impose ou l'autorise ; que faute de dérogation légale, l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles, qui relate les conclusions d'un examen médical, est couvert par le secret médical, de sorte qu'il ne saurait figurer dans le dossier constitué par les services administratifs de la caisse, transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et dont l'employeur peut demander la communication ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 461-1, D. 461-29 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable, ensemble les articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique et l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;
2°/ que l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles ne figure pas parmi les pièces que doit comprendre le dossier constitué par la caisse en application de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et dont l'employeur peut demander la communication ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 461-1, D. 461-29 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1110-4 du code de la santé publique, L. 315-1, V, et L. 461-1, R. 441-13, D. 461-29, D. 461-30 du code de la sécurité sociale, le quatrième dans sa rédaction issue du décret n° 85-1353 du 17 décembre 1985, le cinquième dans sa rédaction issue du décret n° 97-950 du 15 octobre 1997, le sixième dans sa rédaction issue du décret n° 2010-344 du 31 mars 2010, applicables au litige, et le tableau n° 42 des maladies professionnelles :
4. Pour l'application des trois premiers et du dernier de ces textes, il est désormais jugé que l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles constitue un élément du diagnostic couvert par le secret médical, de sorte qu'il n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale (2e Civ., 13 juin 2024, n° 22-15.721, publié, n° 22-16.265, n° 22-19.381 et n° 22-22.786, publié).
5. Il en résulte que, pour les mêmes motifs, l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale à l'attention du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, consultable par l'employeur préalablement à la transmission du dossier à ce comité.
6. Pour déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, l'arrêt retient que la caisse devait permettre à l'employeur de venir consulter les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief, dont fait partie l'audiogramme, qui échappe au secret médical en ce qu'il est nécessaire à la preuve de la réunion des conditions du tableau n° 42, et constate que cette pièce ne figurait pas parmi les pièces consultées par la société.
7. Si cette solution est conforme à la jurisprudence résultant d'arrêts antérieurs (notamment Soc.,19 octobre 1995, pourvoi n° 93-12.329 ; 2e Civ., 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-18.901), le revirement de jurisprudence, opéré par les arrêts du 13 juin 2024 précités, conduit à l'annulation de l'arrêt.
8. En conséquence, il y a lieu à annulation de l'arrêt attaqué.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société [2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [2] et la condamne à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq.