CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 7 F-D
Pourvoi n° G 23-20.385
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2025
Mme [R] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 23-20.385 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2023 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Temsys Ald Automotiv, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, substituée par M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 27 juin 2023), le 29 novembre 2013, Mme [B] a acquis de la société Temsys un véhicule d'occasion de marque Opel, au prix de 3 750 euros. Le 9 juin 2016, le véhicule est tombé en panne.
2. Les 13 et 15 novembre 2017, après la réalisation d'une expertise, le 15 mai 2017, à la demande de son assureur de protection juridique, Mme [B] a assigné en référé les sociétés Opel France et Temsys aux fins d'expertise judiciaire. Le 20 décembre 2017, le juge des référés a accueilli sa demande et l'expert a déposé son rapport le 28 septembre 2020.
3. Le 8 juin 2021, Mme [B] a assigné les sociétés Opel France et Temsys sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil. Celles-ci ont opposé une fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [R] [B] fait grief à l'arrêt de la déclarer forclose à agir à l'encontre de la société Temsys, alors « que le délai prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil pour exercer l'action en garantie des vices cachés est un délai de prescription susceptible de suspension en application de l'article 2239 de ce code ; qu'en considérant au contraire, pour déclarer Mme [B] forclose à agir à l'encontre de la société Temsys sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, que le délai pour exercer l'action en garantie des vices cachés est un délai de forclusion insusceptible de suspension, en sorte que le délai n'a pas été suspendu par la mesure d'instruction ordonnée avant tout procès le 20 décembre 2017, la cour d'appel a violé les articles 1648 et 2239 du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 1648, alinéa premier, et 2239 du code civil :
5. Selon le premier de ces textes, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
6. Selon le second, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès ; le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
7. Le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa premier, du code civil est un délai de prescription qui peut être suspendu lorsque le juge a fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée (Ch. mixte 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15.809, publié).
8. Pour déclarer l'action irrecevable, l'arrêt retient que le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires est un délai de forclusion qui n'est pas susceptible de suspension, en application de l'article 2239 du code civil et que, si le point de départ du délai de deux ans doit être fixé à la date du dépôt, le 15 mai 2017, du rapport d'expertise de l'assureur, la demande au fond a été introduite le 8 juin 2021, plus de deux années après l'ordonnance de référé du 20 décembre 2017 ayant désigné l'expert.
9. En statuant ainsi, alors que le délai biennal de l'article 1648 est un délai de prescription et que la mesure d'expertise ordonnée en référé avait suspendu ce délai jusqu'au dépôt du rapport le 28 septembre 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation:
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sur la recevabilité de la demande.
12. L'action de Mme [B] est recevable pour avoir été formée dans le délai de prescription de l'article 1648, alinéa 1er, à l'issue de sa suspension durant les opérations d'expertise.
13. La cour d'appel de renvoi devra statuer sur le bien fondé de cette action.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de la recevabilité de l'action de Mme [B] ;
Déclare recevable cette action ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Temsys aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Temsys à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.