CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 57 F-D
Pourvoi n° S 23-19.266
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2025
1°/ M. [M] [O],
2°/ Mme [L] [B],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° S 23-19.266 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2023 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [R] [U], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [E] [I], domicilié [Adresse 2],
3°/ à la société [R] [U] et [W] [H], huissiers de justice associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société [A] [V] et [X] [C], huissiers de justice associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à la chambre nationale de commissaires de justice, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [O] et de Mme [B], de la SCP Duhamel, avocat de MM. [U] et [I] et des sociétés [R] [U] et [W] [H], [A] [V] et [X] [C] et de la chambre nationale de commissaires de justice, et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 1er juin 2023), M. [O] et Mme [B], propriétaires indivis ou exclusif de parcelles faisant l'objet d'une opération d'expropriation au profit de la société d'économie mixte Territoire 62 (la société d'économie mixte), ont mandaté M. [I], huissier de justice, devenu commissaire de justice, associé au sein de la société civile professionnelle (SCP) [E] [I] et [A] [V] devenue SCP [A] [V] et [X] [C] pour procéder à la signification de deux jugements du 2 février 2015 fixant le montant des indemnités d'expropriation et condamnant la société d'économie mixte à les leur payer.
2. Ces significations ont été effectuées le 9 mars 2015, par actes de M. [U], huissier de justice, devenu commissaire de justice, associé au sein de la SCP [R] [U] et [W] [H], titulaire d'un office à la résidence de [Localité 6], au titre d'un acte détaché.
3. Par arrêts du 21 mars 2016, un premier appel formé par la société contre ces jugements a été déclaré caduc et un second, formé le 7 août 2015, a été déclaré irrecevable comme tardif. Ces arrêts ont été cassés au motif que les significations ne mentionnant pas la cour d'appel devant laquelle l'appel pouvait être porté et visant des dispositions inapplicables au litige, le délai de recours n'avait pas couru (2ème Civ., 16 mars 2017, pourvois n° 16-15.031 et 16-15.032).
4. Par deux arrêts du 6 novembre 2017, la cour d'appel de renvoi a notamment déclaré irrecevables les appels du 7 août 2015 mais recevable un troisième appel interjeté le 1er février 2017. Ces arrêts ont été cassés sauf sur ces dispositions relatives à la recevabilité des appels (3ème Civ., 23 mai 2019, n° 18-10.140 et 18-10.141).
5. Par arrêts du 16 novembre 2020, la cour d'appel de renvoi, retenant que les indemnités allouées par les jugements du 2 février 2015 correspondaient à des terrains bâtis alors qu'au moment de l'expropriation, ils n'étaient pas encore bâtis, a réduit le montant des sommes dues à M. [O] et Mme [B].
6. M. [O] et Mme [B] ont assigné, M. [U], la SCP [R] [U] et [W] [H], M. [E] [I] et la SCP [V] et [X] [C], ainsi que la chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), en responsabilité en l'absence d'efficacité des significations des jugements du 2 février 2015 et indemnisation du préjudice résultant de la réduction du montant des sommes initialement allouées par ces jugements et, à titre subsidiaire, de la perte de chance de conserver le bénéfice de ces décisions.
Examen des moyens
Sur le second moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. M. [O] et Mme [B] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que la victime d'un dommage ne se place pas dans une situation illicite, illégitime ou irrégulière en sollicitant l'exécution d'une décision de justice devenue irrévocable, serait-elle entachée d'une erreur de droit ; qu'en conséquence, une victime peut obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte des sommes allouées par une décision de justice qui, sans la faute de l'auteur du dommage, serait devenue irrévocable malgré l'erreur de droit qui l'entacherait ; qu'en l'espèce, M. [O] et Mme [B] réclamaient la réparation du préjudice subi du fait de la réformation en cause d'appel de deux jugements rendus le 2 février 2015 leur allouant certaines indemnités d'expropriation, ayant initialement fait l'objet de deux séries d'appels déclarés caducs ou irrecevables et n'ayant pu faire l'objet de deux nouveaux appels qu'en raison des fautes commises par les commissaires de justice lors de la signification desdits jugements ; que pourtant, pour rejeter les demandes indemnitaires de M. [O] et Mme [B], la cour d'appel a affirmé que « compte tenu de l'illégalité d'une indemnisation par le juge de l'expropriation reposant sur une méthode erronée, M. [O] et Mme [B] ne justifient (
) pas du caractère légitime du préjudice qu'ils invoquent à hauteur de la différence entre le montant fixé par la cour d'appel selon les règles de droit applicables et celui fixé » par les deux jugements rendus le 2 février 2015 ; qu'en statuant ainsi, tandis que les erreurs de droit affectant les deux jugements susvisés étaient dépourvues de toute incidence sur la légitimité du préjudice subi par M. [O] et Mme [B], qui n'auraient commis aucune faute en sollicitant l'exécution forcée des deux jugements s'ils étaient devenus irrévocables, auraient-ils été entachés d'une erreur de droit, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code, ensemble le principe de la réparation intégrale du dommage ;
2°/ que, subsidiairement, constitue un préjudice réparable la perte d'une chance qu'une décision de justice favorable devienne irrévocable, cette décision serait-elle affectée d'une erreur de droit ; qu'en ce sens, M. [O] et Mme [B] sollicitaient subsidiairement la réparation du préjudice correspondant à la perte d'une chance que les deux jugements rendus le 2 février 2015, leur allouant des indemnités bien supérieures aux montants retenus en cause d'appel, deviennent irrévocables, ce qui aurait été le cas si les commissaires de justice n'avaient pas commis de fautes lors de la signification des deux jugements ; que pourtant, pour rejeter ces demandes indemnitaires, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur les erreurs de droit prétendument contenues dans les deux jugements rendus le 2 février 2015, sans se prononcer sur la probabilité que, sans la faute des commissaires de justice, ces deux jugements soient devenus irrévocables ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel s'est donc fondée sur des motifs impropres à fonder sa décision, violant de ce fait l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code, ensemble le principe de la réparation intégrale du dommage. »
Réponse de la Cour
9. Dès lors que la cour d'appel a retenu que, si la faute des huissiers de justice avait privé d'efficacité les significations des jugements du 2 février 2015, ces jugements comportaient une erreur quant au mode de calcul des indemnités dues au titre des expropriations qui avait été rectifiée par les arrêts du 16 novembre 2020, elle en a exactement déduit, sans avoir à procéder à d'autres constatations, que M. [O] et Mme [B] ne justifiaient pas du caractère légitime du préjudice invoqué à hauteur de la différence entre l'indemnisation fixée par la cour d'appel selon les règles de droit applicables et celle déterminée par le tribunal en violation de ces règles.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [O] et Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [O] et Mme [B] et les condamne à payer à MM. [U] et [I], la société civile professionnelle [R] [U] et [W] [H], la société [A] [V] et [X] [C] et la chambre nationale des commissaires de justice, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq.