COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 41 FS-B
Pourvois n°
E 23-15.828
F 23-15.829
H 23-15.830
J 23-15.832 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
I. La société Intermarché Casino achats, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7], a formé le pourvoi n° E 23-15.828, contre l'arrêt n° RG 21/13481 rendu le 15 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société Achats marchandises Casino, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée EMC Distribution,
3°/ à la société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Distribution Franprix, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à la société Distribution Leader Price, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2],
6°/ à la société Monoprix, société par actions simplifiée,
7°/ à la société Monoprix exploitation, société par actions simplifiée,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le défendeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
II. 1°/ la société Achats marchandises Casino, société par actions simplifiée,
2°/ la société Distribution Casino France, société par actions simplifiée,
3°/ la société Distribution Franprix, société par actions simplifiée,
4°/ la société Distribution Leader Price, société en nom collectif,
5°/ la société Monoprix, société par actions simplifiée,
6°/ la société Monoprix exploitation, société par actions simplifiée,
ont formé le pourvoi n° F 23-15.829 contre l'arrêt n° RG 21/13481 rendu le 15 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :
1°/ au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique,
2/ à la société Intermarché Casino achats, société à responsabilité limitée,
défendeurs à la cassation.
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le défendeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
III. la société Intermarché Casino achats, société à responsabilité limitée, a formé le pourvoi n° H 23-15.830, contre l'arrêt n° RG 21/13227 rendu le 15 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique,
2°/ à la société ITM alimentaire international, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le défendeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
IV. la société ITM alimentaire international, société par actions simplifiée unipersonnelle, a formé le pourvoi n°J 23-15.832 contre l'arrêt n° RG 21/13227 rendu le 15 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique,
2°/ à la société Intermarché Casino achats, société à responsabilité limitée,
défendeurs à la cassation.
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le défendeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat des sociétés Intermarché Casino achats, Achats marchandises Casino, ITM alimentaire international et Monoprix, de la SCP Foussard et Froger, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Michel-Amsellem, Sabotier, Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 23-15.828, 23-15.829, 23-15.830 et 23-15.832 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société Intermarché Casino achats (la société Inca) du désistement de son pourvoi n° 23-15.828 en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Monoprix exploitation, Distribution Casino France, Distribution Franprix et Distribution Leader Price.
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 15 mars 2023, RG n° 21/13481, et Paris, 15 mars 2023, RG n° 21/13227), filiales du groupe Casino, la société Achats marchandises Casino (la société AMC), anciennement dénommée EMC Distribution, est la centrale de référencement du groupe, la société Monoprix supervise la gestions des magasins à enseigne « Monoprix » et les sociétés Monoprix exploitation, Distribution Casino France, Distribution Franprix et Distribution Leade Price exploitent les magasins à enseigne, respectivement, « Monoprix », « Casino » ou « Géant Casino », « Franprix » et « Leader Price ».
4. La société ITM alimentaire international (la société ITM) regroupe des commerçants indépendants exerçant une activité principale de distribution à travers les magasins à enseigne « Intermarché ».
5. Le 11 novembre 2014, à la suite du rapprochement des groupes Casino et Intermarché visant à conserver un positionnement concurrentiel, les sociétés ECM Distribution et ITM ont créé la société Inca, ayant pour mission de négocier, à titre exclusif, pour ses sociétés mères les conditions d'achat des produits et la conclusion de la convention annuelle avec certains fournisseurs.
6. A la suite d'une enquête menée en 2016 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF), le ministre de l'économie, leur reprochant d'avoir, par cette opération, violé les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa version alors applicable, a assigné les sociétés Inca, ITM, EMC Distribution, Monoprix, Monoprix exploitation, Distribution Casino France, Distribution Franprix et Distribution Leader Price en cessation de leurs pratiques et en paiement d'une amende civile.
7. Soutenant que des pièces avaient été obtenues par un procédé déloyal, ces sociétés ont, par une procédure avant dire droit, demandé à ce qu'elles soient écartées et à ce que l'assignation et la procédure soient déclarées nulles.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens des pourvois principaux
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les premiers moyens des pourvois principaux, rédigés en termes équivalents
Enoncé du moyen
9. Les sociétés Inca, AMC et Monoprix font grief à l'arrêt n° 21/13481 et les sociétés Inca et ITM font grief à l'arrêt n° 21/13227 de confirmer le jugement avant dire droit du 18 novembre 2019 du tribunal de commerce de Paris, en l'intégralité de ses dispositions, alors :
« 1°/ que constitue un procédé déloyal le fait, pour des enquêteurs, d'imposer aux personnes interrogées un cadre contraint de réponse qui ne favorise pas des déclarations spontanées de leur part ni ne leur permet de rectifier l'analyse retenue par les enquêteurs ; qu'en retenant, pour débouter les sociétés Inca, AMC, Monoprix et ITM de leurs demandes tendant à voir écarter certaines pièces produites par le ministre chargé de l'économie comme ayant été obtenues de manière déloyale auprès des fournisseurs interrogés lors de l'enquête, que la demande d'informations complémentaires du 3 août 2016 ne recélait aucune déloyauté, après avoir pourtant constaté que les tableaux préremplis envoyés par les enquêteurs aux fournisseurs le 3 août 2016 n'étaient "pas de nature à favoriser une réponse spontanée de ces derniers", ce dont il s'évinçait que les enquêteurs avaient imposé aux fournisseurs un cadre contraint de réponses qui, leur demandant de confirmer l'analyse préétablie incriminant les sociétés visées et ne favorisant pas des déclarations spontanées de leur part, constituait un procédé déloyal d'obtention de preuves, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ainsi que du principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;
2°/ que constitue un procédé déloyal le fait, pour des enquêteurs, d'imposer aux personnes interrogées un cadre contraint de réponse qui ne favorise pas des déclarations spontanées de leur part ni ne leur permet de rectifier l'analyse retenue par les enquêteurs ; qu'en retenant, pour débouter les sociétés Inca, AMC, Monoprix et ITM de leurs demandes tendant à voir écarter certaines pièces produites par le ministre chargé de l'économie comme ayant été obtenues de manière déloyale auprès des fournisseurs interrogés lors de l'enquête, que les auditions de décembre 2016 étaient exclusives de déloyauté, après avoir pourtant constaté que, lors des auditions des fournisseurs en décembre 2016, les enquêteurs avaient soumis "une nouvelle fois leur analyse à leur confirmation", ce dont il s'évinçait que les enquêteurs avaient imposé aux fournisseurs un cadre contraint de réponses en leur demandant de confirmer l'analyse préétablie incriminant les sociétés visées, ce qui ne favorisait nullement des déclarations spontanées de leur part, de sorte qu'ils avaient ainsi obtenu de manière déloyale les preuves versées aux débats par le ministre chargé de l'économie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ainsi que du principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;
3°/ que constitue un procédé déloyal le fait, pour des enquêteurs, d'imposer aux personnes interrogées un cadre contraint de réponse qui ne favorise pas des déclarations spontanées de leur part ni ne leur permet de rectifier l'analyse retenue par les enquêteurs, sans que le caractère libre de certaines réponses apportées ne puisse exclure toute déloyauté ; qu'en retenant, pour débouter les sociétés Inca, AMC, Monoprix et ITM de leurs demandes tendant à voir écarter certaines pièces produites par le ministre chargé de l'économie comme ayant été obtenues de manière déloyale auprès des fournisseurs interrogés lors de l'enquête, que les fournisseurs interrogés avaient conservé leur "liberté de réponse en dépit du cadre contraint posé par l'administration" et que, lors des auditions de décembre 2016, ceux-ci avaient "à nouveau manifesté leur aptitude à répondre librement", cependant que le seul fait de soumettre des réponses prérédigées aux fournisseurs dans le cadre de l'enquête, comme de leur demander de confirmer les conclusions préétablies par les enquêteurs caractérisaient un procédé déloyal dans l'obtention de preuves, sans que le caractère libre de certaines réponses données par certains fournisseurs ne puisse exclure toute déloyauté, la cour d'appel a de nouveau violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ainsi que le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;
4°/ que le procédé déloyal par lequel un élément de preuve a été obtenu rend irrecevable sa production à titre de preuve ; qu'en retenant, pour débouter les sociétés Inca, AMC, Monoprix et ITM de leurs demandes tendant à voir écarter certaines pièces produites par le ministre chargé de l'économie comme ayant été obtenues de manière déloyale auprès des fournisseurs interrogés lors de l'enquête, que "les atteintes alléguées ne sont pas irrémédiables et n'affectent pas l'équité de la procédure dans son ensemble" et qu' "au regard de la nature des atteintes alléguées qui sont, à les supposer caractérisées, très éloignées des standards évoqués, l'irrecevabilité des pièces ne se justifie pas", cependant que les pièces contestées par la société Inca ayant été obtenues de manière déloyale, leur production à titre de preuve était irrecevable, la cour d'appel a violé le principe de loyauté dans l'administration de la preuve. »
Réponse de la Cour
10. Sur les demandes d'informations complémentaires du 3 août 2016, l'arrêt retient que les tableaux standardisés, adressés aux fournisseurs des sociétés poursuivies, n'avaient pas pour finalité de confirmer les conclusions provisoires des enquêteurs quant à l'existence des pratiques restrictives de concurrence, mais de les compléter. Il relève que ces tableaux ont été diversement renseignés, certains ayant fait l'objet d'une confirmation succincte par la reprise des éléments préremplis par l'administration, tandis que d'autres ont donné lieu à de nombreuses précisions et rectifications, et en déduit que leurs destinataires, qui, de par leur appartenance à des grands groupes multinationaux, étaient particulièrement avertis et aptes à mesurer les enjeux de la procédure, ont conservé toute leur liberté de réponse. L'arrêt ajoute que le procédé ainsi décrit était transparent et que les éléments recueillis n'étaient donc affectés d'aucune déloyauté.
11. Sur les auditions de décembre 2016, l'arrêt relève qu'alors que l'enquête était très avancée, les agents de la DGCCRF ont, une nouvelle fois, soumis leur analyse des pratiques en cause aux fournisseurs concernés. Il retient que ce procédé n'est pas en soi condamnable puisque les affirmations des enquêteurs s'appuyaient sur une lecture d'éléments objectifs, que les réponses des fournisseurs étaient clairement distinguées et que ces derniers avaient à nouveau manifesté leur aptitude à répondre librement, en contredisant, le cas échéant, leur interlocuteur ou en soulignant leur incapacité à commenter les indications ainsi soumises à leur appréciation. L'arrêt ajoute que le procédé était transparent et que les réponses ont été librement données. Il en déduit l'absence de toute déloyauté de ce mode d'obtention de preuve.
12. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d‘appel a pu retenir que les agents de la DGCCRF n'avait pas utilisé un procédé déloyal pour obtenir les pièces produites par le ministre chargé de l'économie.
13. Inopérant en sa quatrième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents, qui ne sont qu'éventuels, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Intermarché Casino achats, Achats marchandises Casino, anciennement EMC Distribution, Monoprix et ITM alimentaire international aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Intermarché Casino achats, Achats marchandises Casino, anciennement EMC Distribution, Monoprix, et ITM alimentaire international et condamne la société Intermarché Casino achats à payer au ministre chargé de l'économie la somme de 4 000 euros, condamne in solidum les sociétés Achats marchandises Casino et Monoprix à payer au ministre chargé de l'économie la somme de 4 000 euros et condamne la société ITM alimentaire international à payer au ministre chargé de l'économie la somme de 4 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt-cinq et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau, président, empêché, le conseiller rapporteur et le greffier de chambre conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.