SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 79 F-B
Pourvoi n° W 23-20.466
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société Alten, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 23-20.466 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2023 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. [N] [E], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Alten, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Canas, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 juillet 2023), M. [E] a été engagé par la société Alten en qualité de technicien, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 14 juin 2004. Il est classé en position 3.3 coefficient 500.
2. Le salarié a exercé différents mandats de représentant du personnel qui représentaient, à la fin de l'année 2019, 41 % de son temps de travail, puis, à compter de l'année 2020, un total de vingt-quatre heures par mois, compte tenu de la réduction du nombre de ses mandats.
3. Le salarié est toujours en poste au sein de la société Alten.
4. Le 9 juillet 2019, il a saisi la juridiction prud'homale pour demander la fixation de son salaire de référence, pour les années 2018, 2019 et 2020, en application du mécanisme de garantie d'évolution salariale prévu par l'article L. 2141-5-1 du code du travail ainsi qu'un rappel de salaires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salaire de base du salarié au 1er janvier 2020 doit être fixé à la somme mensuelle de 2 914,22 euros bruts et de le condamner à verser au salarié divers rappels de salaire et de congés payés afférents au titre des années 2018, 2019, 2020 et de janvier 2021 à mars 2023, alors « qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération au moins aussi favorables, les représentants élus du personnel et représentants syndicaux dont le nombre d'heures de délégation sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise ; que ces dispositions ont pour objet d'assurer aux représentants du personnel une évolution salariale, et non une évolution professionnelle, pendant la durée de leur mandat ; qu'en conséquence, la moyenne des augmentations individuelles doit tenir compte uniquement des augmentations de salaire à qualification identique, et non des augmentations de salaire consécutives à une promotion professionnelle ; qu'en affirmant cependant, pour retenir que le salarié était fondé à réclamer chaque année une augmentation de salaire égale au taux moyen d'augmentation des salaires communiqué aux organisations syndicales lors des négociations annuelles obligatoires, que ''c'est à juste titre que M. [E] soutient que les augmentations accordées aux salariés de l'entreprise en raison d'une promotion doivent être comprises dans l'évaluation des augmentations générales et dans la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise'', ''dès lors que l'article L. 2141-5-1 fait référence à l'évolution de la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 lequel entend la rémunération d'un salarié en raison de son emploi'', la cour d'appel a violé l'article L. 2141-5-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 2141-5-1 du code du travail, en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération des salariés mentionnés aux 1° à 7° de l'article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 au moins aussi favorables que celles mentionnées au présent article, ces salariés, lorsque le nombre d'heures de délégation dont ils disposent sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement, bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise.
7. La Cour de cassation juge qu'il résulte de l'article L. 2141-5-1 du code du travail, de l'étude d'impact relative à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ayant créé ce texte, ainsi que des travaux parlementaires, que les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable, au sens de ce texte, sont ceux qui relèvent du même coefficient dans la classification applicable à l'entreprise pour le même type d'emploi, engagés à une date voisine ou dans la même période (Soc., 20 décembre 2023, pourvoi n° 22-11.676, publié).
8. Il résulte du même texte qu'en l'absence de tout salarié relevant de la même catégorie professionnelle au sens des dispositions susvisées, l'évolution de la rémunération du salarié doit être déterminée par référence aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, y compris lorsque certaines augmentations individuelles résultent d'une promotion entraînant un changement de catégorie professionnelle.
9. Ayant constaté que le nombre d'heures de délégation dont le salarié disposait entre 2017 et 2020 était supérieur à 30 % de la durée de travail prévue au contrat de travail et que le salarié était le seul dans l'entreprise à être classé au coefficient 500 de la position 3.3 du type d'emploi « ingénieur assimilé cadre », la cour d'appel en a exactement déduit que l'évolution de la rémunération du salarié devait être déterminée par référence aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, y compris lorsque certaines augmentations individuelles résultaient d'une promotion entraînant un changement de catégorie professionnelle.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
11. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération au moins aussi favorables, les représentants élus du personnel et représentants syndicaux dont le nombre d'heures de délégation sur l'année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail bénéficient d'une évolution de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise ; qu'il en résulte qu'en l'absence de salariés relevant de la même catégorie avec une ancienneté comparable, le représentant du personnel peut prétendre, d'une part, aux augmentations générales de salaire accordées par l'employeur et, d'autre part, à la moyenne des augmentations individuelles accordées aux autres salariés ; qu'en retenant, en l'espèce, que le taux d'augmentation générale de salaire figurant sur les documents communiqués lors de la négociation annuelle obligatoire pouvait être pris en compte, peu important qu'il ne distingue pas entre les augmentations générales et les augmentations individuelles, cependant que le législateur a précisément exclu de faire masse des augmentations générales et des augmentations individuelles pour déterminer un taux moyen d'augmentation, la cour d'appel a violé l'article L. 2141-5-1 du code du travail ;
3°/ que selon l'article L. 2141-5-1 du code du travail, la garantie d'évolution salariale s'applique sur l'ensemble de la durée du mandat, de sorte qu'il convient de comparer, sur cette période ou au cours de chacune des années de cette période, les évolutions de salaire dont le représentant du personnel a bénéficié et celles dont les autres salariés, présents sur la même période ou pendant l'année considérée, ont également bénéficié ; qu'en retenant encore, pour admettre que le salarié pouvait se référer, pour calculer l'évolution de salaire à laquelle il avait droit chaque année, au taux d'augmentation figurant dans les documents de négociation annuelle obligatoire, peu important que ces documents prennent en compte les salariés présents au 31 décembre de l'année N-1 et également présents au moins un jour sur l'année N, mais non ceux arrivés en cours d'année N, au motif tout aussi inopérant qu'erroné que ''cela ne constitue pas une incompatibilité avec l'article L. 2141-5-1 du code du travail'', la cour d'appel a encore violé le texte précité. »
Réponse de la Cour
12. L'arrêt relève d'abord que, si les documents des négociations annuelles obligatoires ne distinguent pas les augmentations générales et les augmentations individuelles, ils offrent une base de référence objective qui, pour l'ensemble du personnel, permet de déterminer une augmentation générale pour une année et que les documents des négociations annuelles obligatoires présentent un degré de pertinence objectif.
13. L'arrêt retient ensuite que le pourcentage d'augmentation déterminé dans les documents des négociations annuelles obligatoires ne porte que sur les salariés présents au 31 décembre d'une année donnée pour peu qu'ils aient été présents au moins un jour durant cette année, que la période d'un an visée par les documents de la négociation annuelle obligatoire correspond à une période au cours de laquelle le salarié disposait d'heures de délégation dépassant 30 % de sa durée de travail et que le panel de comparaison des salariés présents au 31 décembre de l'année précédant l'année de référence n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail.
14. La cour d'appel a pu en déduire que le montant de l'évolution de la rémunération du salarié devait être calculé en soustrayant les salaires perçus par le salarié du salaire de base majoré du pourcentage moyen des augmentations moyennes telles que déterminées par référence aux documents des négociations annuelles obligatoires.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Alten aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alten et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq.