SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 52 F-D
Pourvoi n° K 23-12.245
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société Banque Edel, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 23-12.245 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2023 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [D], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque Edel, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 20 janvier 2023), M. [D] a été engagé en qualité de responsable du pilotage du développement stratégique le 20 mai 2015 par la société Banque Edel (la société). Mis à la disposition de la société Morning, il occupait en dernier lieu les fonctions de Chief Strategy Officer.
2. Convoqué le 19 avril 2019 à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à son licenciement, le salarié a été licencié pour faute grave le 10 mai 2019.
3. Il a saisi la juridiction prud'homale en contestation de son licenciement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et de la condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que d'ordonner le remboursement des indemnités Pôle emploi dans la limite de deux mois, alors :
« 1°/ que les juges sont tenus de se prononcer sur les griefs invoqués à l'appui de la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait d'une manière générale au salarié d'avoir manifestement manqué à son obligation de loyauté en ''profitant de [s]es missions au sein du groupe Edel pour agir dans l'intérêt de la société Agora au détriment du groupe Edel tout en tentant de dissimuler [ses] agissements'', et en particulier d'avoir ''concédé des avantages anormaux à [la] société Agora [en] valid[ant] une prestation de relation publique aux Etats-Unis par la société Cho You dont le dirigeant écrit avoir comme interlocuteur aux Etats-Unis Monsieur (
) [Y] qui est le dirigeant de la société Agora'', précisant que ''ces honoraires de 20 034 euros HT ont été pris en charge par le groupe EDEL sans refacturation au réel bénéficiaire de la prestation, la société Agora'' ; qu'ainsi, il était reproché au salarié d'avoir fait prendre en charge par la société Edel une prestation dont avait bénéficié la société Agora ; que, dans le cadre du procès prud'homal, l'exposante avait précisé que le salarié était, de même que son supérieur hiérarchique et complice, Monsieur [V], actionnaire de la société FDL détenant elle-même la société Agora, ce qui n'était pas contesté, produit la facture litigieuse émise par la société Cho You, sa validation par le salarié, ainsi que le courriel du responsable de la société Cho You, du 29 mars 2019, en réponse à une demande de précisions de la société Edel, dont il résultait que la prestation facturée l'avait été au bénéfice de la société Agora ; que, pour écarter ce grief, la cour d'appel a retenu qu'il ''apparaît que la facture a été émise le 17 décembre 2018 ; elle a été adressée au salarié [qui] l'a lui-même transmise le même jour à son supérieur hiérarchique, Monsieur [V] indiquant la signer sous son accord ; l'employeur se place certes sur le terrain d'une complicité entre M. [V] et M. [D] mais il n'en demeure pas moins que M. [V] demeurait le supérieur de M. [D] ; surtout, même en considérant une complicité entre les deux salariés et une connaissance de l'employeur reportée au 29 mars 2019, le grief qui est formulé est celui de ne pas avoir refacturé la prestation à Agora ; or, l'employeur n'explicite pas en quoi une telle refacturation relevait des fonctions de M. [D]'' ; qu'en statuant ainsi, quand il n'était pas reproché au salarié d'avoir manqué à une quelconque obligation en matière de refacturation, mais d'avoir fait preuve d'un comportement déloyal, favorisant indûment une société tierce en faisant prendre en charge par son employeur une prestation dont cette société était seule bénéficiaire, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé les articles L. 1232-6, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble ses articles L. 1235-1 et L. 1235-3 ;
2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les pièces du dossier ; qu'en retenant qu'il était reproché au salarié un défaut de refacturation à la société Agora, quand, aux termes de la lettre de licenciement, le grief consistait dans le comportement déloyal du salarié ayant concédé à cette société des avantages anormaux en faisant prendre en charge par son employeur des prestations dont était bénéficiaire cette seule société, le défaut de refacturation ne contribuant qu'à confirmer la prise en charge effective de la prestation par l'exposante, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement, en méconnaissance du principe sus-énoncé ;
5°/ qu'est suffisamment précis le grief reprochant à un salarié d'avoir profité de ses fonctions pour favoriser une société tierce au détriment des intérêts de son employeur ; que les juges doivent examiner tous les éléments invoqués à l'appui du licenciement, peu important qu'ils aient été découverts postérieurement à ce dernier, dès lors qu'ils permettent d'établir les faits reprochés ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir profité de ses missions au sein du groupe Edel pour agir dans l'intérêt de la société Agora au détriment du groupe Edel, ce qui constituait un acte de déloyauté manifeste ; que, dans le cadre du procès prud'homal, elle avait fait valoir des faits découverts postérieurement à la rupture du contrat révélant la déloyauté ainsi reprochée ; qu'ainsi, elle avait justifié de l'implication directe du salarié dans une autre société de droit américain étroitement liée au ''projet'' Agora, puisque la dite société avait pour objet de financer les déplacements du salarié et de M. [V] dans le cadre de leur activité au profit de la société Agora ; que cette société (Cephein Consulting) avait facturé, le 30 décembre 2018, la somme de 125 000 USD à la Banque Edel sans avoir accompli la moindre prestation pour celle-ci ; qu'elle versait aux débats la facture en attestant, diverses pièces obtenues dans le cadre d'une mesure d'instruction in futurum révélant l'implication du salarié dans cette société, et la décision de la cour d'appel de Toulouse rendue sur ladite mesure, jugeant que de très nombreuses pièces confirmaient que la création de la société Agora devait permettre la distribution aux Etats-Unis de technologies développées par la société Morning, faisant craindre une atteinte aux intérêts de celle-ci ; que, pour refuser d'examiner ces éléments, la cour d'appel a retenu que le paragraphe de la lettre de licenciement invoquant la déloyauté du salarié était trop général pour le permettre, que les reproches concerneraient principalement Monsieur [V] et enfin qu'elle était tenue par les termes de la lettre de licenciement ; qu'en statuant ainsi, quand le grief reprochant au salarié d'avoir profité de ses fonctions pour favoriser la société Agora au détriment des intérêts du groupe Edel, suffisamment précis, imposait l'examen des éléments découverts après la rupture du contrat de Monsieur [D] et contribuant à démontrer les faits reprochés, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble ses articles L. 1235-1 et L. 1235-3 du même code. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a estimé que le grief d'octroi à la société Agora d'un avantage indu par l'absence de refacturation à cette société de la prestation dont elle avait profité, prise en charge par la Banque Edel, ne pouvait être imputé au salarié qui avait transmis cette facture de prestation litigieuse à son supérieur hiérarchique lequel avait indiqué la signer sous son accord.
7. Elle a ensuite retenu que l'employeur développait une argumentation relative à l'attitude de l'intéressé et à une dissimulation relevant de la déloyauté mais que le paragraphe de la lettre faisant référence à une action dans l'intérêt de la société Agora était particulièrement général dès lors qu'il ne pouvait plus être étayé par les griefs analysés ci-dessus et qu'il ne pouvait d'autant moins être retenu qu'il reposait pour l'essentiel sur des éléments que l'employeur reprochait au supérieur hiérarchique du salarié ou sur des faits non inclus dans la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige.
8. De ces constatations et énonciations, elle a déduit, sans dénaturation de la lettre de licenciement, que l'employeur ne rapportait pas la preuve qui lui incombait au titre de la faute grave puisqu'il existait à tout le moins un doute profitant au salarié de sorte que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banque Edel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque Edel et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq.