N° P 23-81.110 FS-B
N° 00807
AO3
4 SEPTEMBRE 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 SEPTEMBRE 2024
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 10e chambre, en date du 1er février 2023, qui a prononcé sur sa requête en incident contentieux d'exécution.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe et de Lamy, Mmes Jaillon et Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï et Bloch, conseillers référendaires, M. Crocq, avocat général, et Mme Oriol, greffier de chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [F] [J] du chef de refus d'obtempérer aggravé à trois mois d'emprisonnement avec sursis, la suspension de son permis de conduire et a ordonné la confiscation du véhicule Audi RS3 appartenant à la société [1] qu'il conduisait au moment des faits.
3. La société [1], dont les co-dirigeants sont MM. [V] et [F] [J], loue le véhicule litigieux à la société [2], gérée par M. [F] [J].
4. Par jugement du 11 mars 2022, le tribunal correctionnel a rejeté la requête par laquelle la société [1] a sollicité la mainlevée de la mesure de confiscation ordonnée, sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale.
5. La société [1] a relevé appel de la décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en relèvement formée par M. [V] [J], son représentant légal, et tendant à ce que soit prononcée la mainlevée de la mesure de confiscation du véhicule Audi RS3 immatriculée [Immatriculation 3] ordonnée par le jugement du tribunal correctionnel de Brest du 16 mars 2021, alors :
« 2°/ que la mauvaise foi d'une personne morale, tiers propriétaire d'un bien confisqué, ne saurait être exclusivement déduite de son seul lien avec la personne physique condamnée et n'est caractérisée que lorsqu'il est établi que son existence même a pour objet de faire écran entre l'auteur de l'infraction et son patrimoine ; qu'en l'espèce, en énonçant que l'auteur de l'infraction était non seulement gérant de la société bénéficiaire de la location mais également co-gérant de la société propriétaire du véhicule loué qu'il pouvait donc engager sans restriction de sorte que cette dernière société avait nécessairement connaissance des faits délictueux commis par un de ses gérants et ne pouvait donc être regardée comme de bonne foi, la cour d'appel a statué, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi de la personne morale propriétaire du bien confisqué, et partant, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 131-21 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 131-21 du code pénal :
8. La Cour de cassation juge que le tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure, qui prétend avoir des droits sur un bien dont la confiscation a été ordonnée sans qu'il ait été partie à la procédure, est recevable à soulever un incident contentieux d'exécution de cette peine devant la juridiction qui l'a prononcée afin de solliciter la restitution du bien lui appartenant, sans que puisse lui être opposée l'autorité de la chose jugée de la décision de confiscation (Crim., 4 novembre 2021, n° 21-80.487). Le tiers est admis dans le cadre de ce recours à critiquer la libre disposition du bien par le condamné et à faire valoir sa bonne foi.
9. La question posée par le moyen porte sur l'appréciation de la bonne foi de la personne morale propriétaire du bien confisqué lorsque, comme en l'espèce, il a servi à commettre l'infraction.
10. Pour y répondre, il convient de déterminer au préalable dans quelles conditions il peut être retenu que le condamné a la libre disposition du bien dont les juges ordonnent la confiscation.
11. Selon l'article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an et peut porter sur tout bien meuble ou immeuble appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.
12. C'est la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 qui a institué, à l'alinéa 2 de l'article précité, la possibilité de confisquer au condamné un bien dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, lorsque ledit bien a servi à commettre l'infraction ou était destiné à la commettre.
13. La Cour de cassation retenait sur ce fondement que la libre disposition s'entendait du libre usage du bien, la bonne foi de son propriétaire résidant dans l'ignorance par ce dernier des faits commis par le condamné (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12).
14. La possibilité de confisquer au condamné un bien dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, a été étendue par le législateur, par la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, aux confiscations de patrimoine prévues aux alinéas 5 et 6 de l'article précité, puis par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, à la confiscation en valeur de l'alinéa 9 du même article.
15. Il ressort des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 que cette extension poursuivait l'objectif de lutter contre le recours à des prête-noms ou à des structures sociales, pratique permettant au condamné de ne pas apparaître comme juridiquement propriétaire de biens dont il a la disposition et dont il est le propriétaire économique réel.
16. Interprétant à la lumière de ces travaux les dispositions des alinéas 5, 6 et 9 de l'article 131-21 du code pénal, la Cour de cassation a mis en oeuvre la notion de libre disposition comme propriété économique réelle du condamné sur un bien sous la fausse apparence de la propriété juridique d'un tiers (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979, publié au Bulletin ; Crim., 24 janvier 2024, n° 22-87.468).
17. Par un arrêt rendu le 28 juin 2023, la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette évolution sur la notion de bonne foi, en approuvant la cour d'appel qui, après avoir énoncé les motifs propres à établir que les biens dont elle envisageait la confiscation sur le fondement de l'article 131-21, alinéa 5, du code pénal étaient à la libre disposition du prévenu, pour établir que les tiers propriétaires desdits biens n'étaient pas de bonne foi, retient que ces derniers savaient que le prévenu était le propriétaire économique réel des biens confisqués (Crim., 28 juin 2023, pourvoi n° 22-85.091, publié au Bulletin).
18. Il convient d'infléchir la jurisprudence en retenant que le juge qui envisage de confisquer un bien sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 131-21 du code pénal doit établir que le condamné en a la propriété économique réelle et que le tiers n'est pas de bonne foi, ce qui est établi dès lors qu'il sait ne disposer que d'une propriété juridique apparente.
19. En effet, d'une part, cette position est conforme aux dispositions de l'article 6 de la directive européenne 2014/42/UE du Parlement et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne, qui prescrit aux Etats membres de permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d'un suspect ou d'une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l'acquisition était d'éviter la confiscation.
20. D'autre part, cette évolution permet de mettre fin à la coexistence, au sein même de l'article 131-21 du code pénal, de deux conceptions différentes de la libre disposition et de la bonne foi selon le fondement ou la modalité de la confiscation, là où le législateur n'a pas entendu introduire de distinction.
21. Enfin, le tiers, propriétaire économique réel d'un bien qu'il a mis à la disposition du condamné en connaissance de son utilisation aux fins de commission d'une infraction, est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée et la confiscation dudit bien prononcée dans son patrimoine au titre de la complicité.
22. En l'espèce, pour rejeter la requête en difficulté d'exécution formée, l'arrêt attaqué énonce que la société [1] ne conteste pas que M. [F] [J] avait la libre disposition du véhicule confisqué, dont il faisait un usage personnel lors de son interpellation.
23. Les juges retiennent que M. [F] [J] est non seulement gérant de la société [2], bénéficiaire de la location, mais également co-gérant, comme son frère M. [V] [J], de la société [1], qu'il peut donc engager sans restriction.
24. Ils concluent que la société [1] a nécessairement connaissance des faits de refus d'obtempérer commis par un de ses gérants et qu'elle ne peut donc être regardée comme de bonne foi.
25. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.
26. D'une part, elle n'a pas recherché si M. [F] [J] était le propriétaire économique réel du véhicule confisqué, seule circonstance de nature à caractériser la libre disposition au sens de l'article précité, et qui ne peut résulter du seul fait que le condamné use librement d'un véhicule loué par la société qu'il dirige.
27. D'autre part, n'ayant pas recherché si la société [1] avait connaissance de ce que M. [F] [J] était le propriétaire économique réel du véhicule, elle n'a pas établi que cette société n'était pas de bonne foi.
28. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 1er février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et et Mme Lavaud, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.