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11/07/2024 | FRANCE | N°24-10.394

France | France, Cour de cassation, Deuxième chambre civile - formation de section, 11 juillet 2024, 24-10.394


CIV. 2

COUR DE CASSATION



LM


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 11 juillet 2024




NON-LIEU À RENVOI


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 858 FS-D

Pourvoi n° U 24-10.394




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR D

E CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

Par mémoire spécial présenté le 6 mai 2024, la société Commercial Bank Guinéa Ecuatorial (CBGE), société anonyme, dont le siège est [Adres...

CIV. 2

COUR DE CASSATION



LM


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 11 juillet 2024




NON-LIEU À RENVOI


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 858 FS-D

Pourvoi n° U 24-10.394




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

Par mémoire spécial présenté le 6 mai 2024, la société Commercial Bank Guinéa Ecuatorial (CBGE), société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Guinée équatoriale), a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° U 24-10.394 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans une instance l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, dont le siège est [Adresse 1].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Commercial Bank Guinéa Ecuatorial (CBGE), et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Grandemange, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Aux termes d'une sentence arbitrale du 24 mai 2009, la Cour commune de justice et d'arbitrage d'Abidjan a condamné la République de Guinée équatoriale à payer une certaine somme à la société Commercial Bank Guinéa Ecuatorial (la société CBGE).

2. Par ordonnance du 15 juillet 2009 confirmée par un arrêt d'une cour d'appel du 18 novembre 2010, cette sentence a été revêtue de l'exequatur.

3. Par requête du 14 avril 2023, la société CBGE a sollicité du juge de l'exécution d'un tribunal judiciaire l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur le prix de cession d'un bien immobilier, confisqué par un arrêt définitif du 10 février 2020 rendu contre M. [L] [N] [S] condamné pour blanchiment, et vendu à l'initiative de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC).

4. Par ordonnance du 21 avril 2023, dont la société CBGE a relevé appel, ce juge de l'exécution a rejeté la requête.

5. Par un arrêt du 2 novembre 2023, la cour d'appel de Paris a confirmé cette ordonnance.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

6. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre cet arrêt, la société CBGE a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°/ l'article 2 XI de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, en ce qu'il prévoit le versement au budget de l'Etat du produit de la vente d'un bien mal acquis (BMA) confisqué, est-il conforme à l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, alors qu'il méconnaît les engagements internationaux de la France, soit l'article 55 de la Convention des Nations Unies du 31 octobre 2003 contre la corruption, dite convention de Mérida, ratifiée par la France ?

2°/ l'article 2 XI de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les égalités mondiales, est-il conforme au principe d'égalité protégé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme, alors qu'il interdit à une catégorie de justiciables (les victimes de BMA) de poursuivre le recouvrement de leurs créances sur le produit de la vente de ces BMA, en suite de leur confiscation pénale ?

3°/ l'article 2 XI de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ne porte-il pas atteinte au droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme, en confisquant le produit de la vente des BMA, versé au budget général de l'Etat français, sans prévoir de restitution véritable en faveur des victimes des infractions ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

7. L'article 2, XI, de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, est applicable au litige qui concerne une requête à fin de saisie conservatoire de la quote-part à restituer à la République de Guinée équatoriale à la suite de la vente d'un immeuble ayant fait l'objet d'une confiscation pénale.

8. Cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

9. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

10. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

11. En ce qui concerne la première question :

12. Si l'article 55 de la Constitution confère aux traités et accords internationaux, dans les conditions qu'il détermine, une autorité supérieure à celle des lois, il ne prescrit, ni n'implique que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution, le contrôle de la compatibilité des lois avec les traités et accords internationaux incombant aux juridictions judiciaires et administratives.

13. Il en résulte que l'atteinte alléguée qui serait portée aux droits et libertés garantis par des engagements internationaux de la France ne saurait fonder un renvoi de cette question au Conseil constitutionnel.

14. En ce qui concerne la deuxième question :

15. Le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des motifs d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

16. L'article 2, XI, de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 institue un mécanisme spécifique de restitutions des recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l'une des infractions.

17. Il ressort des travaux parlementaires que cette disposition vise à ce que la restitution des biens dits « mal acquis » soit réalisée en finançant, conformément à des règles de comptabilité publique, des actions de développement, au plus près des populations concernées.

18. Un tel mécanisme s'applique sous réserve de l'article 706-164 du code de procédure pénale, qui permet aux parties civiles, bénéficiant d'une condamnation à des dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices, d'obtenir de l'AGRASC que ces sommes leur soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de leur débiteur dont la confiscation a été décidée par une décision définitive et dont l'AGRASC est dépositaire.

19. En l'absence d'une telle demande, l'alinéa 2 de l'article 2, XI, de la loi du 4 août 2021 dispose que les recettes provenant de la cession des biens confisqués donnent lieu à l'ouverture de crédits budgétaires au sein de la mission « Aide publique au développement », placés sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères, et financent des actions de coopération et de développement dans les pays concernés au plus près des populations, dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, et en veillant à l'association des organisations de la société civile. Le ministère des affaires étrangères définit, au cas par cas, les modalités de restitution de ces recettes de façon à garantir qu'elles contribuent à l'amélioration des conditions de vie des populations.

20. Il en résulte que seule la victime, qui s'est constituée partie civile, peut demander un paiement direct sur les recettes de la vente du bien confisqué.

21. Compte tenu de la différence de situation existant entre, d'une part, une partie civile, qui a droit à l'indemnisation de son préjudice résultant directement d'infractions de blanchiment, de recel, de recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l'une des infractions prévues aux articles 314-1, 432-11 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-4, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-10 du code pénal, à raison desquelles un bien est confisqué, d'autre part, le créancier d'une somme d'argent dans un litige civil ou commercial, qui poursuit le recouvrement de sa créance sur le patrimoine de son débiteur, la disposition législative qui leur réserve un traitement différent est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de renforcer le dispositif français de restitution de biens dits mal acquis aux États étrangers et à leur population.

22. Dès lors, la disposition critiquée ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi.

23. En ce qui concerne la troisième question :

24. La société CBGE ne s'étant pas constituée partie civile dans l'affaire pénale ayant donné lieu à la confiscation du bien immobilier, la qualité de « victime de l'infraction » qu'elle invoque relativement à l'atteinte au principe constitutionnel du droit de propriété, n'est pas établie. La question est, dès lors, sans objet.

25. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.

Le conseiller référendaire rapporteur Le président





Le greffier de chambre


Synthèse
Formation : Deuxième chambre civile - formation de section
Numéro d'arrêt : 24-10.394
Date de la décision : 11/07/2024
Sens de l'arrêt : Qpc autres

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris B1


Publications
Proposition de citation : Cass. Deuxième chambre civile - formation de section, 11 jui. 2024, pourvoi n°24-10.394


Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:24.10.394
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