SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 415 F-D
Pourvoi n° N 22-17.878
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MAI 2024
M. [L] [D], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-17.878 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant à la société Axa assistance France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [D], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa assistance France, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 mars 2022), M. [D] a été engagé le 9 septembre 2009, avec reprise d'ancienneté, par la société Axa assistance France. Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable de l'offre et de la stratégie marketing au sein de la direction Afrique et Moyen-Orient.
2. En mai 2010, le salarié a conclu avec son employeur un contrat de prêt pour l'acquisition d'un appartement.
3. Licencié le 27 juin 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail ainsi qu'au titre du remboursement du prêt.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens et le cinquième moyen, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à son employeur des sommes à titre de remboursement du solde du prêt principal et au titre des intérêts afférents, et d'une somme à titre d'indemnité pour défaillance de l'emprunteur, alors « que la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou de l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher ; que l'article 8 du contrat de prêt consenti à M. [D] par la société Axa assistance stipulait : ''en cas de départ de l'emprunteur [le salarié] de l'une des sociétés du groupe Axa pour quelque cause que ce soit, démission ou licenciement, le montant du prêt deviendra immédiatement exigible de plein droit, si bon semble au prêteur, sans qu'il y ait lieu de remplir aucune formalité judiciaire'' ; qu'une telle clause, permettant au prêteur de se réserver la possibilité de solliciter l'exigibilité des sommes prêtées, est purement potestative ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1170 et 1174 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance du 1er février 2016. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou de l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher.
7. Il en résulte que la clause d'un prêt consenti par un employeur, selon laquelle le remboursement de ce prêt sera anticipé en cas de départ du salarié de l'entreprise, ne constitue pas une condition purement potestative de celui qui s'oblige au remboursement du prêt dès lors que l'anticipation de ce remboursement relève tant de l'initiative de l'employeur en cas de licenciement que de celle du salarié en cas de démission.
8. La cour d'appel, qui a constaté que le contrat de prêt conclu en mai 2010 entre l'employeur et le salarié contenait une clause de déchéance du terme prévoyant le remboursement du prêt en cas de départ du salarié de l'une des sociétés du groupe pour quelque cause que ce soit, démission ou licenciement, en a exactement déduit, après avoir retenu que le licenciement de l'intéressé était justifié, que l'employeur pouvait se prévaloir de la clause litigieuse.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, alors « que les juges sont tenus de répondre aux moyens des parties ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, M. [D] sollicitait le versement d'une indemnité au titre du travail dissimulé en se fondant tant sur le fait que de façon intentionnelle, son employeur n'avait pas rémunéré l'intégralité de son temps de travail, que sur le fait qu'il n'avait pas plus respecté les règles régissant les affectations des salariés à des sociétés tierces lors des différents détachements qui lui avaient été demandés; qu'en rejetant la demande d'indemnité pour travail dissimulé formulée par le salarié sans examiner ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
12. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt retient que la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué. L'arrêt ajoute qu'une telle intention, qui ne peut se déduire de la seule absence de mention d'heures supplémentaires sur les bulletins de paie, étant au surplus rappelé que le salarié avait conclu une convention de forfait, n'est pas caractérisée en l'espèce.
13. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié, qui soutenait que sa demande était également fondée sur le fait que la société Axa assistance France avait organisé la mobilité en interne au moyen de prêts du salarié au mépris des règles régissant les affectations des salariés à des sociétés tierces et qu'une telle organisation avait eu pour conséquence directe de le priver du parfait décompte de son ancienneté et de ses droits, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
14. Le salarié fait grief à l'arrêt de fixer son ancienneté au 1er août 2006, alors « que tenus de motiver leur décision, les juges ont l'obligation d'examiner l'ensemble des éléments de preuve produits aux débats par les parties et notamment les pièces nouvelles produites en appel ; qu'en l'espèce, pour établir que sa relation de travail avec la société Axa assistance avait débuté en mars 1995 et qu'elle s'était poursuivie sans discontinuer jusqu'à son licenciement notifié le 27 juin 2017, M. [D] produisait aux débats l'attestation de M. [K], Directeur des opérations de la société Domiserve auprès de laquelle il avait été détaché, qui soulignait que le salarié avait toujours reçu ses instructions de la société Axa Assistance, qui avait maintenu un lien de subordination et qui avait continué à le rémunérer après son transfert ; qu'en se bornant, dans le dispositif de sa décision, et sans aucune autre motivation, à confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il avait fixé l'ancienneté de M. [D] au 1er août 2006, la cour d'appel, qui n'a ni visé ni examiné, serait-ce sommairement, l'attestation de M. [K] nouvellement produite par le salarié en cause d'appel au soutien de sa demande de voir fixer son ancienneté au 1er mars 1995, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions.
16. Pour rejeter la demande du salarié en fixation de sa date d'ancienneté au 21 mars 1995, l'arrêt, qui ne s'est pas prononcé sur cette demande dans ses motifs, confirme dans son dispositif le jugement qui avait fixé au 1er août 2006 la date d'ancienneté.
17. En statuant ainsi, sans examiner le nouvel élément de preuve qui lui était proposé, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [D] de ses demandes en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé et en fixation de sa date d'ancienneté au 21 mars 1995, l'arrêt rendu le 24 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Axa assistance France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Axa assistance France à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.