La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2006 | FRANCE | N°06-CRD054

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 18 décembre 2006, 06-CRD054


La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Boccon-Gibod, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :

Statuant sur le recours formé par :

- Monsieur Abdelkader X...,

contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 14 juin 2006 qui lui a alloué une indemnité de 95 000 euros au titre de son prÃ

©judice moral, une indemnité de 3 000 euros au titre de ses frais d'avocat, sur le fon...

La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Boccon-Gibod, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :

Statuant sur le recours formé par :

- Monsieur Abdelkader X...,

contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 14 juin 2006 qui lui a alloué une indemnité de 95 000 euros au titre de son préjudice moral, une indemnité de 3 000 euros au titre de ses frais d'avocat, sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Les débats ayant eu lieu en audience publique le 20 novembre 2006 le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;

Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;

Vu les conclusions de Me Louis, avocat au Barreau du Val-de-Marne, représentant M. X... ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;

Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;

Vu les conclusions récapitulatives de Me Louis ;

Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de Me Louis, avocat assistant M. X..., celles de M. X... comparant et de Me Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Boccon-Gibod, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;

LA COMMISSION,

Attendu que, par décision du 14 juin 2006 , le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à M. X... les sommes de 3 000 euros au titre des frais d'avocat, 95 000 euros en réparation du préjudice moral ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à raison d'une détention provisoire de quatre ans huit mois et vingt sept jours effectuée en trois périodes successives entre le 3 janvier 1995 et le 18 février 2005, entrecoupées de périodes de liberté simple ou sous contrôle judiciaire, l'intéressé, après avoir été condamné à trois reprises à la peine de quinze ans de réclusion criminelle pour assassinat,

et après deux pourvois en cassation et un appel, ayant été définitivement acquitté par la cour d'assises du Val de Marne le 18 février 2005 ;

Attendu que le demandeur a formé le 23 juin 2006 un recours régulier contre cette décision pour obtenir les sommes de 1 million d'euros au titre de son préjudice moral, 117 400 euros au titre de son préjudice matériel, 111 146,34 euros pour les honoraires de défense et 23 920 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés devant le premier président et la commission nationale de réparation des détentions ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a conclu au rejet du recours ;

Attendu que l'avocat général a conclu à la confirmation de la décision sur le préjudice moral et les honoraires d'avocat et a laissé à la commission le soin d'apprécier si les certificats d'embauche produits par l'intéressé pour les années 2000 à 2002 pouvaient justifier l'allocation d'une somme au titre de la perte de chance de trouver un emploi ;

Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, causé par la privation de liberté ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que pour rejeter toute indemnisation à ce titre, le premier président a considéré, pour ce qui était des dépenses exposées en détention, qu'elles n'étaient pas suffisamment justifiées et que l'intéressé aurait dû les exposer s'il avait été libre, alors qu'une partie de ses besoins courants ne nécessitait pas de paiement dans le cadre de la détention ;

Attendu que cette motivation doit être approuvée, la commission n'ayant pas à entrer dans l'appréciation des prix pratiqués pour des frais d'entretien courant qui devaient être nécessairement exposés, que M. X... ait été détenu ou non ;

Attendu que le premier président a retenu que la perte de chance d'exercer un emploi ne présentait pas de probabilité suffisante pour les deux premières périodes d'incarcération et qu'elle n'était pas davantage établie pour la troisième période, faute de justification d'une activité professionnelle habituelle et cette période ayant été précédée d'une autre détention pour des faits distincts ;

Mais attendu qu'il est établi que M. X..., qui était commerçant, a été mis en liquidation judiciaire en septembre 1993 ; que son inactivité au moment de sa première incarcération le 3 janvier 1995 est suffisamment justifiée par la gravité de l'accident de moto qu'il avait subi en mai 1993 et qui avait entraîné une incapacité temporaire totale de travail jusqu'au 4 septembre 1994 suivie d'une incapacité permanente partielle de 10% pour de graves blessures aux jambes, alors que sa qualification professionnelle était celle de monteur en téléphonie ; que la période de liberté qui a séparé les deux premières périodes de détention a été brève (du 13 mars au 5 septembre 1998) ; qu'il est en revanche établi par les pièces du dossier que l'intéressé a travaillé en 2000 et en 2001 comme magasinier et coursier avec un salaire de 1 372,04 euros mensuel en octobre 2001; qu'il avait obtenu un contrat de travail de la société Translor le 11 septembre 2000, proposition d'embauche qui lui a été réitérée le 1er juin 2004 ;

Attendu que l'ensemble de ces éléments établit la réalité d'une perte de chance sérieuse de trouver un emploi et de bénéficier des cotisations retraite attachées à cet emploi, pendant la durée de la détention, ainsi que le demande M. X... ; qu'il en résulte que le préjudice économique de M. X..., qui ne peut correspondre, s'agissant d'une perte de chance, à la totalité d'un salaire, doit être évalué sur la base du SMIC, à la somme de 35 000 euros ;

Attendu qu'au vu des factures produites, ainsi que des diligences justifiées, accomplies par les conseils de M. X... en relation directe avec la remise en liberté de l'intéressé, les honoraires d'avocat qui doivent être remboursés seront portés à la somme de 20 000 euros ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'accueillir partiellement le recours de M. X... au titre de son préjudice matériel et de lui allouer la somme totale de 55 000 euros ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que pour fixer à 95 000 euros le préjudice moral du demandeur, le premier président a retenu, outre l'âge de l'intéressé et la durée totale de son incarcération, le fait que la détention a eu lieu en plusieurs périodes successives avec des séparations répétées de sa femme et de sa fille née en septembre 1992 ; qu'il a exclu la prise en compte de deux courtes peines d'emprisonnement subies plusieurs années avant sa première incarcération mais a tenu compte, en revanche, d'une autre peine exécutée pour des faits totalement distincts avant qu'il ne soit remis en détention pour la troisième fois ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor estime que le premier président a pris en compte toutes les circonstances susceptibles de majorer le préjudice moral subi par M. X..., et que les antécédents judiciaires de l'intéressé s'opposent en tout cas à toute majoration de l'indemnité allouée ;

Mais attendu que l'atténuation du choc carcéral, qui se limite à la troisième période de détention, doit être considérée comme étant sans véritable incidence sur l'appréciation du préjudice moral, dès lors qu'elle ne concerne qu'une très courte période allant du 17 décembre 2004 au 18 février 2005 et que cette nouvelle incarcération a eu lieu en exécution d'une lourde peine de réclusion criminelle prononcée pour la troisième fois ;

Attendu que compte tenu de l'ensemble des facteurs aggravants retenus par le premier président, de l'absence de tout facteur de diminution du choc carcéral, et de la durée particulièrement longue (quatre ans huit mois et vingt sept jours) de la détention totale subie par un homme âgé de 26 ans à la date de sa première incarcération et de 37 ans au moment de sa remise en liberté définitive, l'indemnité réparant intégralement le préjudice moral consécutif à cette détention doit être fixée à la somme de 140 000 euros ;

Que le recours de M. X... doit donc être également accueilli de ce chef ;

Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Attendu qu'il n' y a pas lieu de modifier la somme allouée par le premier président à ce titre ; que le recours de M. X... sera rejeté de ce chef ;

Attendu que l'équité commande d'allouer au demandeur une indemnité de 1 500 euros pour les frais irrépétibles exposés devant la commission ;

PAR CES MOTIFS :

ACCUEILLE partiellement le recours de M. Abelkader X... au titre du préjudice matériel et moral et statuant à nouveau :

ALLOUE à M. Abdelkader X... :

- la somme de 55 000 (CINQUANTE CINQ MILLE EUROS) en réparation de son préjudice matériel, incluant les frais d'avocat ;

- la somme de 140 000 (CENT QUARANTE MILLE EUROS) en réparation de son préjudice moral ;

REJETTE le recours pour le surplus ;

ALLOUE au demandeur une indemnité de 1 500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;

Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 18 décembre 2006 par le président de la commission nationale de réparation des détentions.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 06-CRD054
Date de la décision : 18/12/2006
Sens de l'arrêt : Recevabilité partielle

Références :

Décision attaquée : Premier président de la cour d'appel de Paris, 14 juin 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 18 déc. 2006, pourvoi n°06-CRD054


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gueudet
Avocat général : Avocat général : M. Boccon-Gibod
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Nési

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:06.CRD054
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award