INFIRMATION PARTIELLE sur les recours formés par M. Gustave X..., l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Douai en date du 3 avril 2006 qui a alloué à M. Gustave X... une indemnité de 9 000 euros au titre de son préjudice moral, une indemnité de 104 706,34 euros au titre du préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale ainsi qu'une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que, par décision du 3 avril 2006, le premier président de la cour d'appel de Douai a alloué à M. X... les sommes de 104 706,34 euros en réparation du préjudice matériel et de 9 000 euros au titre du préjudice moral ainsi qu'une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à raison d'une détention provisoire de deux mois et vingt-neuf jours effectuée du 30 juillet au 28 octobre 2003, pour des faits ayant conduit à une décision de non-lieu devenue définitive ;
Attendu que M. X... a formé un recours régulier contre cette décision pour obtenir les sommes de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, 212 304,14 euros au titre de son préjudice matériel incluant outre la perte de salaire telle qu'arbitrée par le premier président à hauteur de 4 706,34 euros une perte de chance de retrouver un emploi évaluée à 200 000 euros, ainsi que 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a également formé un recours en demandant la réduction des indemnités accordées tant au titre du préjudice matériel que du préjudice moral ;
Attendu que l'avocat général a conclu à la confirmation de la somme allouée au titre du préjudice moral, indépendamment des motifs soutenant cette décision et a estimé, en ce qui concerne le préjudice matériel, que la détention avait fait perdre au demandeur une chance de conserver un emploi stable, qui doit être indemnisée selon la méthode habituelle, à concurrence de la moitié des revenus que l'intéressé aurait touchés s'il n'avait pas été licencié ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que le premier président a considéré que si M. X... ne pouvait réclamer des indemnités de licenciement, qui ne trouvaient leur place que dans une instance prud'homale pour licenciement sans cause, il pouvait néanmoins se prévaloir, du fait de son incarcération, d'une perte de chance de conserver son emploi et a alloué à l'intéressé, outre la somme de 4 706,34 euros au titre de la perte de salaires pendant la détention, celle de 100 000 euros au titre de cette perte de chance ;
Que l'agent judiciaire du Trésor conteste cette motivation en s'appuyant sur le jugement du conseil des prud'hommes de Tourcoing du 24 janvier 2006 pour soutenir que ce n'est pas l'incarcération du demandeur qui a été la cause du licenciement mais le fait qu'il n'ait pas pris soin d'avertir son employeur de son absence ;
Mais attendu qu'il résulte de cette décision que M. X... a été arrêté sur son lieu de travail le 29 juillet 2003, avant d'être placé sous mandat de dépôt le lendemain, et que le motif donné dans la lettre de licenciement est celui d'un abandon de poste ; qu'il en résulte que la détention est bien la cause première et déterminante de la perte de son emploi par le requérant, peu important, dans le cadre de l'article 149 du code de procédure pénale, qu'il ait adressé ou non des justificatifs à son employeur qui avait connaissance de sa situation ;
Attendu que la réparation du préjudice matériel du demandeur doit donc prendre en compte l'intégralité des pertes de salaires subies pendant la durée de l'incarcération et également, après sa libération, pendant la période nécessaire à la recherche d'un emploi, déduction faite des allocations de chômage perçues ;
Attendu qu'eu égard à la nature de l'emploi (cariste) exercé depuis six ans chez le même employeur au moment de son placement en détention, de l'absence de diplôme et de qualification du demandeur, il apparaît que le temps normalement nécessaire pour retrouver un emploi peut être fixé à huit mois, ce qui correspond d'ailleurs à la reprise d'une activité à titre temporaire chez Manpower ; que compte tenu du salaire mensuel net qu'il percevait chez Goosens Cartotec tel qu'il ressort du jugement prud'homal (1 527,07 euros), déduction faite des indemnités de 7 023,74 euros, perçues de l'Assedic pendant cette période, le préjudice matériel de M. X..., incluant la période de détention proprement dite, sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'accueillir partiellement le recours de l'agent judiciaire du Trésor de ce chef et en revanche de rejeter celui du demandeur ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que le premier président a fixé l'indemnité de 9 000 euros allouée en tenant compte de la gravité de l'infraction, du fait que l'intéressé avait été dénoncé par vengeance et en prenant en considération le fait que la famille s'était trouvée dans le désarroi ;
Attendu que ces motifs ne peuvent être retenus pour justifier une indemnisation fondée sur l'article 149 du code de procédure pénale, dès lors que ces préjudices ne sont pas en lien direct et exclusif avec la détention ;
Attendu que M. X..., qui n'avait pas subi d'incarcération antérieure, fait valoir qu'étant accusé de viols et agressions sexuelles sur mineures, il a fait l'objet de menaces, insultes, bousculades et brimades de la part des autres détenus, sans qu'il ait pu porter plainte, sous peine d'aggraver encore sa situation ; qu'il a également souffert de savoir ses enfants et sa concubine dans une situation matérielle difficile, celle-ci n'ayant pas d'activité professionnelle ;
Attendu que compte tenu de l'âge de M. X... au moment de son placement en détention (41 ans), de la durée de sa détention, de la nature de l'infraction dont il était accusé qui a rendu plus pénibles ses conditions de détention, du désarroi qu'il a pu ressentir en étant brutalement séparé de sa femme et de ses enfants qui dépendaient entièrement de lui sur le plan matériel et financier, et de l'absence de tout antécédent en matière de privation de liberté, il apparaît que la réparation intégrale de son préjudice moral sera assurée par l'allocation de la somme de 10 000 euros réclamée ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'accueillir intégralement le recours du demandeur à ce titre et de rejeter celui de l'agent judiciaire du Trésor ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu qu'il paraît équitable d'allouer une indemnité de 1 000 euros à M. X... dont le recours est partiellement accueilli ;
Par ces motifs :
ACCUEILLE partiellement le recours de l'agent judiciaire du Trésor et statuant à nouveau sur le préjudice matériel ;
ALLOUE à M. Gustave X... la somme de 10 000 euros (dix mille euros) en réparation de son préjudice matériel ;
ACCUEILLE le recours du demandeur au titre de son préjudice moral ;
ALLOUE à M. Gustave X... la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre de son préjudice moral ;
REJETTE les recours pour le surplus ;
ALLOUE au demandeur la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.