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11/04/2005 | FRANCE | N°01-REV-065

France | France, Cour de cassation, Commission revision, 11 avril 2005, 01-REV-065


SAISINE DE LA COUR DE REVISION sur la demande présentée le 30 mars 2001 par Madame la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, tendant à la révision de la condamnation à la peine de travaux forcés à perpétuité prononcée le 4 novembre 1924 par la cour d'assises du Finistère contre Guillaume X... pour meurtre et faux en écriture privée.

LA COMMISSION DE REVISION,

Vu la demande susvisée ;

Vu les articles 622 et suivants du Code de procédure pénale ;

I. - FAITS ET PROCÉDURE :

Le vendredi 25 mai 1923, Guillaume X..., maître de scierie à Morlaix

, et Pierre Y..., conseiller général du canton de Sizun, négociant en bois à Landerneau, quittai...

SAISINE DE LA COUR DE REVISION sur la demande présentée le 30 mars 2001 par Madame la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, tendant à la révision de la condamnation à la peine de travaux forcés à perpétuité prononcée le 4 novembre 1924 par la cour d'assises du Finistère contre Guillaume X... pour meurtre et faux en écriture privée.

LA COMMISSION DE REVISION,

Vu la demande susvisée ;

Vu les articles 622 et suivants du Code de procédure pénale ;

I. - FAITS ET PROCÉDURE :

Le vendredi 25 mai 1923, Guillaume X..., maître de scierie à Morlaix, et Pierre Y..., conseiller général du canton de Sizun, négociant en bois à Landerneau, quittaient Rennes pour se rendre à Paris avec une voiture Cadillac appartenant à Guillaume X... dans le but de traiter une affaire d'achat et de revente de voitures et camions américains d'occasion.

Guillaume X... était de retour, seul, à Morlaix, le lundi 28 mai 1923. Quant à Pierre Y..., il ne réapparaîtra plus, et son corps ne sera jamais retrouvé.

Sa famille, qui commença à s'inquiéter dès le 29 mai, allait recevoir un télégramme signé Y... et posté du Havre, le 13 juin annonçant : " Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux. "

Par ailleurs, le 20 juin, au Havre, dans la salle d'attente de 3e classe de la gare SNCF, était trouvée une valise contenant des effets et des papiers appartenant à Pierre Y..., et, notamment, une promesse de vente datée du 22 mai 1923 dans laquelle Pierre Y... s'engageait à vendre à Guillaume X... une propriété sise à Plourivo au prix de 35 000 francs.

Cette découverte déterminait, le 22 juin 1923, l'ouverture d'une information contre X pour disparition suspecte.

Guillaume X... sera entendu pour la première fois, en son domicile, le 26 juin 1923, par le commissaire C... de la 13e brigade de Rennes, puis, une seconde fois, le 28 juin 1923, par le commissaire V... attaché au contrôle général des services de recherches judiciaires à Paris, auquel il remettait un exemplaire de la promesse de vente du 22 mai.

Le 30 juin 1923, un réquisitoire supplétif était délivré contre Guillaume X... et tous autres pour assassinat et faux.

A l'issue de l'information, Guillaume X... était renvoyé devant la cour d'assises du Finistère pour avoir :

1° " Sur le territoire français du 25 au 26 mai 1923, volontairement donné la mort à Y... (Pierre). "

Et ce, avec préméditation et guet-apens.

2° " Sur le territoire français, dans le courant du mois de juin 1923, commis un faux en écritures privées, en fabriquant ou faisant fabriquer frauduleusement un acte sous seings privés en date à Brest du 22 mai 1923, aux termes duquel Y... (Pierre), était censé lui consentir, moyennant une somme de 35 000 francs, une promesse de vente d'une propriété dite "Traounez", située commune de Plourivo (Côtes-du-Nord) et en y apposant ou faisant apposer frauduleusement la fausse signature de Y....

" Crimes prévus et punis par les articles 295, 296, 297, 298, 302, 150 et 164 du Code pénal ".

L'acte d'accusation avait retenu contre lui les charges suivantes :

1° Le but du voyage à Paris n'était qu'une invention de Guillaume X..., le dénommé Ch... ou Sc..., avec lequel ils avaient soi-disant rendez-vous, n'existant pas.

2° Pierre Y... n'a pas quitté Guillaume X... le 25 mai, à la gare de Houdan, pour se rendre à Paris par le train.

3° Le télégramme expédié le 13 juin 1923 du Havre, sous le nom de Pierre Y..., pour rassurer la famille de celui-ci est un faux, fabriqué par Guillaume X..., qui a également acheté, ce jour-là, au Havre, une machine à écrire avec laquelle seront dactylographiés et antidatés les deux exemplaires de la promesse de vente.

4° Guillaume X... est retourné au Havre le 20 juin 1923 pour déposer la valise de Pierre Y... dans laquelle sera découvert un des exemplaires de la promesse de vente.

5° Les deux promesses de vente sont des faux qui ont été tapés à l'aide de la machine découverte et saisie chez Guillaume X... le 6 juillet 1923, et dont certaines mentions manuscrites ont été calquées sur l'écriture de Pierre Y..., et d'autres sont de la main de Guillaume X... lui-même.

6° Selon l'acte d'accusation, le mobile du crime était de s'approprier à bon compte la propriété de Pierre Y... et également les sommes d'argent emportées par celui-ci ainsi que celles qu'il devait toucher à son arrivée à Paris.

Guillaume X... a comparu devant la cour d'assises du Finistère le 24 octobre 1924. Les débats se poursuivirent jusqu'au 4 novembre 1924. Les questions suivantes furent posées au jury :

1) Question principale :

X... Joseph Marie, accusé, est-il coupable d'avoir, sur le territoire français, du 25 au 26 mai 1923, volontairement donné la mort à Y... Pierre ?

Réponse : Oui, à la majorité.

2) Circonstances aggravantes :

L'accusé X... Joseph Marie a-t-il agi :

1° Avec préméditation ? 2° Avec guet-apens ?

A la question de préméditation, le jury répondit " non " tandis qu'il répondait " oui à la majorité " à la question de guet-apens. Ces réponses étant inconciliables, le jury fut renvoyé dans la salle de délibération et revint avec la réponse définitive qui était " non " aux questions de préméditation et de guet-apens.

3) Question principale :

X... Joseph Marie, accusé, est-il coupable d'avoir, sur le territoire français, dans le courant du mois de juin 1923, commis un faux en écriture privée, en fabriquant ou faisant fabriquer frauduleusement un acte sous seings privés en date à Landerneau du 22 mai 1923, aux termes duquel Y... Pierre était censé lui souscrire, moyennant la somme de 35 000 francs, une promesse de vente d'une propriété dite Traounez, située sur la commune de Plourivo (Côtes-du-Nord) et en y apposant ou faisant apposer frauduleusement la fausse signature Y... d'où il pouvait résulter un préjudice pour autrui ?

Réponse : Oui à la majorité.

L'accusé, ayant été déclaré coupable par les jurés, a été condamné par la Cour à la peine des travaux forcés à perpétuité.

Puis la Cour a rendu deux arrêts par lesquels elle a, d'une part, condamné Guillaume X... à payer à Louis Y... la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts et, d'autre part, " déclaré nulle et de nul effet la promesse de vente sous signature privée du domaine de Traounez en Plourivo paraissant consentie à Landerneau par Pierre Y... à Joseph X..., moyennant le prix de 35 000 francs ".

Par décret du 14 août 1938, la peine fut commuée en celle de vingt ans de travaux forcés. Guillaume X... fut libéré le 14 mai 1947 et revint en métropole le 1er juillet 1947. Il est décédé le 13 février 1954.

Depuis 1926, des demandes de révision ont été formées par le condamné puis par sa famille et ont donné lieu à douze examens suivis de douze rejets successifs par la Chancellerie, qui avait été saisie sous l'empire des textes antérieurs à la loi du 23 juin 1989. Seule, la décision du 7 juillet 1949 a été prise après consultation et sur avis conforme de la Commission de révision des procès criminels et correctionnels.

Une treizième requête, qui avait été adressée au ministre de la Justice, le 9 juin 1977, par Marie-Jeanne X..., fille du condamné, a été transmise à la Commission de révision nouvellement créée en octobre 1989 ; la Commission a rejeté cette requête, par décision du 28 juin 1996.

La présente demande de révision a été présentée le 30 mars 2001 par Madame la ministre de la Justice.

II. - LA DEMANDE DE REVISION :

La demande fait valoir que la Chancellerie a instruit chacune des nombreuses requêtes en révision et " n'a repoussé a priori aucun argument y compris celui consistant à trouver suspecte la surabondance même des preuves réunies contre Guillaume X... et à en déduire que l'on se trouvait en présence d'une machination policière ".

Pour justifier la révision, sont invoqués la découverte de la personnalité de Boudjema B... ainsi que ses liens possibles avec l'inspecteur Pierre B., qui seraient des éléments nouveaux de nature à rendre " crédible que celui-ci ait pu à lui seul élaborer certaines charges retenues contre X... ".

1) La découverte de la personnalité de Boudjema B... :

Il convient de rappeler que, dès 1926, un dénommé Boudjema B... a été identifié comme susceptible d'être " l'Américain prénommé Charly " désigné par Guillaume X... comme étant l'homme avec lequel Pierre Y... avait rendez-vous, le 26 mai, à Paris.

Cet homme a été entendu le 21 juin 1926 ; il a déclaré reconnaître Pierre Y... sur photo ; il a précisé avoir rencontré ce dernier courant 1922-1923, sur le camp du Champ-de-Mars, où étaient exposées, pour la vente, de nombreuses voitures américaines, lui avoir remis sa carte professionnelle, et l'avoir même aidé à remettre en place une roue de sa voiture ; toutefois, Boudjema B... situait ces rencontres avec Pierre Y... avant le 1er avril 1923 et ne confirmait donc pas le rendez-vous du 26 mai.

La demande de révision, qui avait été formée dès le 6 avril 1926, en raison de la découverte de cet individu, sera rejetée le 7 décembre 1926 avant que Guillaume X... n'embarque pour la Guyane.

Boudjema B... sera réentendu le 13 janvier 1956, dans le cadre d'une autre demande de révision ; son témoignage sera jugé " sans valeur au point de vue révisionnel puisque B... a affirmé et persiste à affirmer avoir rencontré Y... une seule fois sans lui parler, d'ailleurs à une date avant le mois de février au plus tard ".

La requête est rejetée par le ministère le 16 décembre 1957.

Cet élément, qui sera régulièrement repris lors des requêtes qui suivront, sera écarté aux motifs que la réalité d'un négoce de voitures américaines ainsi que la réalité du rendez-vous, à les supposer établies, ne remettaient pas en cause la déclaration de culpabilité, dès lors que le jury n'avait pas retenu la préméditation ni le guet-apens.

La présente requête invoque un élément nouveau susceptible de résulter du témoignage de Madame Colette D..., concernant la personnalité de Boudjema B....

Madame D... a reconnu, en voyant la photographie de cet homme dans le livre de Denis E... intitulé " Nous les X... ", l'individu qui l'aurait dénoncée à la Gestapo, ainsi que ses camarades de résistance, le 11 avril 1944, et qui aurait contribué à leur arrestation.

2) Les liens entre Boudjema B... et l'inspecteur Pierre B... :

Ils sont considérés comme établis dans la requête, selon laquelle Boudjema B... " était un agent de la Gestapo qui travaillait avec B... et L... ".

Il convient de rappeler que Pierre B... était inspecteur de police stagiaire à la Direction de la sûreté générale à compter du 20 janvier 1923 et qu'il a été affecté auprès du commissaire V... qui a mené l'enquête sur la disparition de Pierre Y....

Mêlé à de nombreux scandales (affaire Stavisky - affaire Prince) entre les deux guerres, Pierre B... a été un agent de la Gestapo avec Henri L..., rue Lauriston ; il a été fusillé en décembre 1944.

Dès 1948, son rôle dans l'enquête sera mis en cause, notamment quant à la fiabilité des investigations.

Ainsi, Maître Denis Langlois argumentait que " Pierre B... était le secrétaire greffier du commissaire V... et disposait de pouvoirs importants. Il avait accès à l'ensemble du dossier et notamment aux documents considérés comme faux qui, contrairement au Code d'instruction criminelle, n'avaient pas été déposés et enregistrés au greffe du tribunal de Morlaix. Il manipulait à sa guise les sceaux et les tampons. Or l'inspecteur B... a montré par la suite qu'il était capable de graves fraudes et machinations, puisqu'il a été révoqué de la police pour avoir faussé les enquêtes des affaires Prince et Stavisky en fabriquant notamment des faux documents ".

De même, dans son mémoire Maître Jean-Denis Bredin fait valoir que " B... aurait joué un rôle primordial dans l'instruction de l'affaire X... qu'il aurait personnellement conduite (aux côtés du commissaire V...) ". " La presse a souvent rendu compte de son travail : Ouest-Eclair le 2 août 1925 : hier soir la machine à écrire est partie pour Paris confiée à l'inspecteur B... ".

A l'appui de la thèse selon laquelle Pierre B... aurait eu un rôle suspect dans le déroulement de l'enquête, sont à nouveau évoqués deux témoignages.

Selon Madame F..., entendue le 29 décembre 1948, Pierre B..., qui avait servi sous les ordres de son mari pendant la Première Guerre mondiale, aurait révélé à celui-ci, en 1936, qu'il avait lui-même déposé la machine à écrire dans l'atelier de Guillaume X... où elle a été découverte.

Par ailleurs, Henriette G..., entendue le 4 octobre 1956, a confirmé une attestation qu'elle avait faite le 3 décembre 1953, selon laquelle Georges H... lui aurait révélé, courant 1924-1925 qu'il connaissait Pierre B... et qu'il avait fait un faux témoignage en affirmant avoir vu Guillaume X... acheter une machine à écrire au Havre.

Enfin, la Chancellerie évoque également, à nouveau, le témoignage d'un certain Léon I..., entendu le 3 février 1949 et le 7 mars 1956, qui avait désigné François J..., gendre de Guillaume X... et l'inspecteur de police B... comme étant les auteurs de l'assassinat de Pierre Y....

Selon la Chancellerie, Boudjema B... pourrait, en réalité, être le prénommé François désigné par Léon I... car il portait lui-même ce prénom.

3) Les notes complémentaires des avocats de Denis X... :

Bien que Denis X... ne soit pas recevable, en application de l'article 623-3° du Code de procédure pénale, à demander, en sa qualité de petit-fils du condamné, la révision de la condamnation de Guillaume X..., ses avocats ont été admis à présenter des observations dans le cadre de la demande formée par la ministre de la Justice.

Outre le témoignage de Madame D..., ils ont invoqué d'autres éléments qui seraient de nature, selon eux, à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

Il s'agit, en premier lieu, des témoignages d'André K... et de Henriette L..., susceptibles de prouver que Pierre Y... a été vu vivant après le 26 mai 1923.

En second lieu, il est allégué que la preuve serait rapportée que, le 13 juin 1923, Guillaume X... ne se trouvait pas au Havre pour acheter une machine à écrire, mais qu'il était à Saint-Brieuc où il aurait rencontré, d'une part, l'avocat, Maître Bienvenue qui a plaidé ce jour-là au tribunal de commerce, d'autre part, une religieuse qui se trouvait à la gare de cette ville.

Enfin, est invoquée l'argumentation d'une généalogiste, Madame Catherine M..., qui soutient que la machine à écrire présentée au procès n'était pas la même que celle qui a été saisie au domicile de Guillaume X...

III. - L'INSTRUCTION DE LA DEMANDE :

Il résulte des investigations, auditions, expertises, recherches aux archives effectuées par la Commission, dans le cadre de l'article 623, alinéa 3, du Code de procédure pénale, les éléments suivants :

1. Concernant les témoins de la " survie " de Pierre Y... :

André K..., entendu le 5 avril 1996 lors de l'instruction de la précédente requête, avait assuré avoir vu à Auch, à la foire de septembre, postérieurement à la condamnation de Guillaume X..., Pierre Y... qui s'était perdu dans la foule lorsqu'il l'a interpellé par son nom. Il avait ajouté qu'à l'époque, personne n'avait voulu l'entendre, ni au commissariat, ni à la mairie ou à la préfecture, ni même au journal local.

L'attestation produite ne fait que confirmer ce témoignage.

Madame Henriette L..., ayant révélé le 26 juillet 2001 au journal Le Télégramme qu'elle avait vu Pierre Y... le 14 juillet 1923, lors d'une réunion familiale, a été entendue sur procès-verbal le 26 octobre 2001, alors qu'elle était âgée de quatre-vingt-cinq ans.

Elle a précisé les circonstances de cet événement, indiquant qu'elle était âgée de sept ans, que Pierre Y... lui avait offert une pièce d'or, et qu'elle était certaine de la date.

Sur questions des enquêteurs, Madame L... a confirmé que personne n'avait été surpris ni étonné de voir Pierre Y... à une époque où sa disparition était déjà signalée et elle a expliqué qu'elle n'avait pas témoigné plus tôt par crainte de la publicité.

2. Concernant la présence de Guillaume X... à Saint-Brieuc le 13 juin 1923 :

Les investigations effectuées au greffe du tribunal de commerce de Saint-Brieuc n'ont pas permis de confirmer que Maître Bienvenue y plaidait ce jour-là.

Madame Gemma N..., dont le témoignage est également invoqué, a été entendue le 14 mars 2002. Elle relate que, lorsqu'elle était employée à l'hôpital-hospice de Quintin, elle a entendu, au cours de l'année du décès de Guillaume X..., en 1954, une religieuse déclarer que la mère supérieure avait dit en communauté à ses religieuses " que Guillaume X... ne pouvait pas être au Havre le 13 juin puisqu'elle l'avait rencontré dans une gare ce jour-là ". Selon Madame N..., c'était nécessairement la gare de Saint-Brieuc " car elle dessert toute la région " et " la religieuse et Guillaume X... s'étaient connus dans leur enfance puisqu'elle était née près de Landerneau ". La mère supérieure est décédée le 11 octobre 1961.

3. Les recherches concernant la personnalité de Boudjema B... et ses liens avec Pierre B... :

Le dénommé " Charles ", responsable de l'arrestation de Madame D..., est-il Boudjema B... ?

Madame Colette D... a été entendue le 10 novembre 2001, elle a confirmé avoir reconnu en 1993, sur le livre " Nous les X... ", la photographie de l'agent double qui avait dénoncé son réseau. Réentendue le 29 mai 2002 elle a désigné, parmi les photos qui lui étaient présentées, celles de Boudjema B....

L'enquête effectuée par la Commission a permis de confirmer que le groupe auquel appartenait Madame D... a été arrêté sur dénonciation d'agents de la Gestapo dont l'un est surnommé " Alli Charles ".

Toutefois, les recherches effectuées dans les archives des différents ministères et services concernés ainsi qu'auprès des associations d'anciens combattants et de résistants n'ont pas permis de découvrir l'identité réelle de l'individu décrit par Madame D....

Il n'en demeure pas moins que le signalement qu'elle donne de lui est proche de celui de Boudjema B....

Ce dernier, âgé d'environ trente ans dans les années vingt, était un homme de petite taille, trapu, au " teint basané ", parlant avec un accent ; il était décrit par les témoins de l'époque comme étant un étranger, " plutôt mexicain ", " mi-arabe, mi-français ", " de type nord-africain ". Il a perdu sa première femme le 27 juillet 1943.

L'homme, décrit par Madame D..., avait environ cinquante ans, en 1944 ; il était plutôt bedonnant, trapu, il avait le teint mat, une face large ; il portait un ruban noir de deuil ; selon un autre résistant arrêté, son dénonciateur était d'origine algérienne.

Selon Madame D... et les documents d'archives confirmant son récit, l'homme était surnommé " Charles " ou " Charli " ou " Charles Ali " ; dans le dossier de l'affaire X..., il est question de " Charley ", " Charly ", " Cherdy ", " Sherdy ".

Ainsi, le témoignage de Madame D... permet d'admettre la possibilité, pendant les années quarante, d'un lien entre Pierre B... qui sévissait rue Lauriston et Boudjema B..., si celui-ci est bien son dénonciateur.

En revanche, les recherches effectuées aux archives n'ont pas permis de confirmer les assertions selon lesquelles Pierre B... aurait enquêté dans les années vingt sur le trafic des voitures américaines. Il apparaît que ces suppositions ne reposent que sur l'interprétation d'un passage du livre du fils de Pierre B..., qui écrit qu'alors que Pierre B... enquêtait sur des faits au ministère de l'intérieur, il avait rencontré un collègue policier au Champ-de-Mars.

Les déclarations de Léon I..., invoquées également dans la requête pour accréditer l'hypothèse d'une collusion entre les deux hommes pour commettre le crime, ont été à nouveau examinées par la Commission, ainsi que les vérifications auxquelles elles avaient donné lieu lors de l'examen de précédentes requêtes.

Après avoir adressé son récit, en décembre 1948, à Maître Hubert, l'avocat de Guillaume X..., Léon I... a été entendu, une première fois, le 3 février 1949 et une seconde fois, le 7 mars 1956.

Léon I... raconte qu'alors qu'il fréquentait un café, près de la rue de Rivoli, où il jouait à la belote, le secrétaire du commissaire V..., son partenaire de jeu, lui aurait raconté chaque soir les progrès de l'enquête, et, notamment, lui aurait dit " avoir demandé au patron de faire passer X... par la chambre des aveux ". Il lui aurait également parlé d'une autre piste, d'un employé de la STCRP, qu'il a nommé J....

Lors de son audition du 3 février 1949, le témoin a déclaré que l'inspecteur aurait raconté des scènes de tortures pour faire avouer un meurtrier dans une autre affaire. Il a ajouté que le commissaire avait des soupçons sur François J..., mais que l'inspecteur avait obtenu de son patron qui avait l'intention de relâcher Guillaume X..., encore quelques jours pour compléter son enquête.

Le 7 mars 1956, entendu à nouveau, Léon I... confirmait son récit, ajoutant que l'inspecteur de police leur avait offert le champagne lors de la découverte d'une machine à écrire dans la scierie de Guillaume X....

Puis, le témoin ajoutait avoir entendu, dans un petit réduit attenant au WC du café où il se trouvait, la conversation suivante entre l'inspecteur et un homme qu'il appelait " François " :

" l'inspecteur disait à l'autre... Alors, mon vieux François, comment ça s'est passé ? ; l'autre répondit : je lui ai foutu un coup derrière la tête, à la première (ou à la deuxième) marche de l'escalier. Il est tombé en arrière. Je lui ai donné un coup de talon sur la tête ; je lui ai fait les vagues (sic). Je lui ai pris ses jaunets. Je lui ai enlevé ses chaussures, et je l'ai mis dans un coffre à béton avec ses chaussettes rouges, mais j'ai peur qu'elles déteignent ".

Au cours de cette même audition, Léon I... a également déclaré :

" Naturellement, X... et sa fille me considéraient comme un témoin essentiel de la réhabilitation, et m'avaient même promis dix pour cent des dommages qu'ils comptaient recevoir et qu'ils évaluaient à quatre-vingt-dix millions. X... avait même précisé qu'il arrondirait ma part à dix millions. Il voulait même m'acheter une voiture neuve. Je me souviens d'une scène pénible qui se passa un dimanche que j'avais été invité chez eux : Jeanne X... pour me prouver qu'elle connaissait l'affaire mieux que moi fit défiler ses enfants et leur fit dire que l'assassin de Y... était leur père. Je ne tardai pas à changer d'opinion sur X... et sa fille car X... m'avoua lui-même, un jour, en me montrant sept ou huit morceaux d'or fondu qu'il avait retirés de ses poches, qu'il s'agissait de l'or provenant du partage des pièces d'or ayant appartenu à Y.... Il ne me donna aucune précision sur l'époque du partage. Il me dit que Y... avait été tué par J..., que lui-même X... avait quitté Y... et la Cadillac à Houdan (en panne provoquée par lui), que lui, X..., avait pris le train pour Paris, et que J... et B... étaient venus pour chercher Y... et la Cadillac. C'est vers cette époque que j'ai cessé toutes relations avec la famille X... ".

La requête s'appuie sur ce témoignage pour suggérer qu'en désignant l'auteur du crime comme étant un certain François, avec la complicité de l'inspecteur Pierre B..., il peut être envisagé " que le fameux François ait pu être le dénommé B... ".

L'enquête a permis de confirmer que Boudjema B... se faisait appeler " Francis " ou " François " et que l'un ou l'autre de ces prénoms figuraient sur certains documents de l'intéressé portant le nom de " B... " ou " O... ".

Cependant, le témoignage de Léon I... a toujours été interprété comme désignant Pierre B... et François J... Par ailleurs le café, dans lequel ce témoin situe les scènes qu'il relate et les propos tenus par un dénommé François, ne correspond pas à celui fréquenté par B... près du Champ-de-Mars.

Aussi, il n'apparaît pas possible d'affirmer que les propos de Léon I..., à les supposer crédibles, mettent en cause Pierre B... et Boudjema B... pour la seule raison que ce dernier était surnommé François.

Ainsi, le témoignage de Colette D... apparaît le seul qui soit de nature à établir un lien entre B... et B....

Il est, en effet, indiscutable que Pierre B... a sévi rue Lauriston pendant la Seconde Guerre mondiale et qu'il a participé à l'arrestation de résistants.

Il a notamment procédé le 20 juillet 1943 à l'arrestation de Geneviève P..., dans des circonstances similaires à celles de Colette D... et de son groupe, c'est-à-dire en obtenant des renseignements d'un étudiant, membre du réseau.

On ne saurait dissiper le trouble que fait naître cette supposée connaissance entre les deux hommes, dans la mesure où la personnalité de l'inspecteur Pierre B... autorise toutes sortes de supputations quant à la conduite de l'enquête et la qualité des preuves retenues contre Guillaume X....

Cette question sous-tend une interrogation qui a été posée dès le procès puis reprise régulièrement lors des nombreuses demandes de révision, celle de savoir si la machine à écrire a été déposée chez Guillaume X... pour le confondre et si Pierre B... a pu être l'auteur d'une mystification, consistant également à substituer aux documents saisis des documents tapés avec cette machine.

4) Sur la machine à écrire et la question des faux :

Dans le cadre de la présente demande de révision, deux expertises ont été ordonnées :

a) Le 24 avril 2003, une expertise a été ordonnée afin de vérifier si la machine à écrire saisie au domicile de Guillaume X... est bien celle qui est sortie du magasin de Monsieur Q... le 13 juin 1923 et qui a servi a taper les deux promesses de vente du 22 mai 1923.

A cet effet, il est apparu utile, non pas de procéder à une contre-expertise, d'ailleurs impossible, la machine à écrire n'étant plus au nombre des scellés encore à la disposition de la justice, mais de procéder à une expertise, jamais ordonnée auparavant, consistant à comparer les deux actes sous seing privé avec :

- d'une part, le fac-similé que les policiers ont réalisé sur place le 6 juillet 1923 en présence de Madame X... qui a signé le document, après qu'il ait été dactylographié avec la machine Royal qu'ils venaient de saisir ;

- d'autre part, les quatre doubles de lettres saisis le 4 juillet 1923, après avoir été remis par Monsieur Q... qui précisait que les originaux avaient été tapés par la machine Royal type 10 vendue par lui, le 13 juin 1923. L'expert commis a déposé son rapport le 30 mars 2004 et conclut qu'une seule et même machine a servi à la rédaction de l'ensemble des documents.

Toutefois, l'expert relève que :

- les deux promesses de vente n'ont fort probablement pas été tapées par la même personne, en raison d'une différence de doigté consistant en un fréquent rebondissement de la lettre " é " sur l'exemplaire de la promesse de vente de Guillaume X..., alors que, sur l'exemplaire de Pierre Y..., aucun rebondissement n'est observé ;

- en revanche, selon l'expert, on retrouve également des rebondissements de la lettre " é " sur le fac-similé dactylographié par un fonctionnaire de police sur place lors de la perquisition.

b) Le 18 novembre 2003, une expertise a été ordonnée à l'effet de vérifier si la machine à écrire saisie le 6 juillet 1923, telle qu'elle est décrite sur le procès-verbal, correspond à celle figurant sur les photos de presse de l'époque et à un modèle sorti au plus tard en 1920, comme c'était le cas de la machine à écrire vendue par Monsieur Q..., le 13 juin 1923.

Rappelons qu'il est soutenu, dans la requête, que la machine à écrire présentée au procès aurait été un modèle postérieur à 1923 et qu'ainsi, elle aurait été substituée à celle saisie chez Guillaume X... et dont les caractéristiques correspondraient à un modèle antérieur à 1920.

Les experts commis concluent, d'une part, que les références relevées sur la machine saisie, type 10 n° X434080, correspondent à un modèle fabriqué au plus tard en 1919.

Ils énoncent, d'autre part, que la machine à écrire présentée sur la photo archivée par l'AFP comme représentant la machine découverte lors de la perquisition au domicile de Guillaume X..., et présentée au procès, possède des caractéristiques que l'on ne retrouve plus sur les modèles fabriqués en 1923. Ils en concluent que le modèle photographié a été fabriqué antérieurement à l'année 1923.

Ainsi, les assertions de Madame M..., selon lesquelles la machine à écrire montrée à la cour d'assises ne pourrait pas être celle vendue par Monsieur Q..., ne sont pas confirmées par l'expertise.

IV. - DISCUSSION :

En application de l'article 623, dernier alinéa, du Code de procédure pénale, la Commission prend en compte, dans le cas où la requête est fondée sur le dernier alinéa de l'article 622, l'ensemble des faits nouveaux ou éléments inconnus sur lesquels ont pu s'appuyer une ou des requêtes précédemment rejetées.

Ainsi, la Commission de révision est invitée, par la présente demande, à s'interroger sur le point de savoir si les soupçons portés sur la personnalité de Boudjema B..., ainsi que sur le rôle de Pierre B... sont de nature à remettre en cause tant la sincérité que la force probante des charges retenues contre Guillaume X....

La thèse de la machination policière est-elle vraisemblable ?

Compte tenu de la personnalité de Pierre B..., de la déclaration tout à fait crédible de Madame D... concernant Boudjema B..., et des circonstances de la découverte de la machine à écrire, on ne peut pas écarter d'emblée une telle hypothèse.

Celle-ci revient à envisager que les promesses de vente saisies, l'une le 20 juin 1923 au Havre et l'autre le 28 juin lors de sa remise aux policiers par Guillaume X..., ont été, postérieurement à leur appréhension, remplacées par des documents dactylographiés à l'aide d'une machine à écrire qui sera déposée ensuite au domicile de Guillaume X....

Une telle manipulation peut-elle être attribuée à Pierre B..., qui a participé à l'enquête, compte tenu de son comportement ultérieur ?

Que penser des déclarations de cet homme qui, à la fois, révèle à celui qui avait été son supérieur pendant la guerre, " qu'il a été obligé de déposer la machine à écrire au domicile de Guillaume X... ", et qui dit à son fils qu'il n'a pas organisé une telle " mise en scène ", " absurde " et qui " ne tient pas debout " car il lui aurait fallu " déposer celle-là même qui portait le bon numéro de série " et " la découvrir là où elle se trouvait avant ".

L'accusation de manipulation avait été invoquée déjà lors de l'instruction de l'affaire, en raison des conditions procédurales irrégulières de la perquisition effectuée le 6 juillet 1923 chez Guillaume X..., au cours de laquelle la machine à écrire, preuve à charge déterminante, a été découverte.

En effet les policiers, qui avaient déjà perquisitionné deux fois chez l'inculpé ont procédé à cette troisième perquisition, en l'absence de Guillaume X... et de sa femme.

A cela, il convient d'ajouter que le fils d'un des enquêteurs de la brigade de police mobile de Rennes a déclaré, en 1993, avoir entendu son père, Léopold R..., répéter sans cesse que ses collègues venus en renfort de Paris, dont l'un s'appelait Pierre B..., avaient apporté la machine à écrire et l'avaient utilisée pour fabriquer des documents.

Il est, toutefois, permis de s'interroger sur la vraisemblance d'une telle manipulation au regard de la chronologie des actes de procédure.

Dès lors qu'il est confirmé par l'expertise que c'est bien la machine à écrire sortie du magasin de Monsieur Q..., le 13 juin, qui a servi à dactylographier les exemplaires des actes sous seings privés se trouvant au dossier, comment admettre la machination alléguée puisque l'existence des promesses de vente ne sera découverte que le 20 juin en ce qui concerne l'exemplaire de Pierre Y... et que Guillaume X... ne sortira de sa poche que le 28 juin l'exemplaire qu'il avait en sa possession et qu'il le paraphera sur le champ avec la mention " ne varietur " ?

Il faudrait admettre que le manipulateur supposé savait dès le 13 juin ce qui allait se passer ultérieurement, alors même que l'enquête sur la disparition de Pierre Y... n'avait pas commencé.

Dans ses conclusions du 4 juin 1993, l'avocat général s'exprimait en ces termes :

" Mais c'est aller manifestement très loin que d'avancer à la charge de l'ensemble du groupe des enquêteurs l'hypothèse d'une malhonnêteté en quelque sorte collective, acceptée par tous en connaissance de cause, qu'aurait autorisée le simple fait, purement événementiel, de cette lacune de la procédure : apport clandestin, au lieu même où elle allait être découverte, de la machine à écrire accusatrice.

A l'analyse, raisonner de telle sorte revient à poser une manière de postulat : il est constant que la machine à écrire provient du magasin Q..., du Havre. Il est non moins acquis qu'elle a été vendue le 13 juin. Négligeons un instant, par commodité, le fait que cinq témoins aient identifié en X... la personne de l'acheteur. Il faut alors tenir pour vrai que la machine a été acquise, à la date considérée par un tiers favorable à une machination policière ; que dans des circonstances restant à déterminer, B... - qui n'a pas assisté à la perquisition de découverte du mois de juillet - en ait été détenteur ; qu'enfin, à l'insu de tous, y compris même de X..., libre jusqu'à la fin du mois de juin, le même B... ait réussi, le coupable étant choisi avant même que les soupçons ne se fussent portés sur lui, à cacher où l'on sait la machine compromettante. "

Par ailleurs, si l'on admet que les documents saisis ont été remplacés par des faux, cela impliquerait nécessairement que toutes les mentions soient falsifiées y compris la signature de Guillaume X....

Or les originaux des deux actes sous seing privés figurant au dossier ont fait l'objet d'expertises en écritures.

Que peut-on en conclure au sujet de la signature " Guillaume X... " ?

Les experts commis en 1923 n'ont pas analysé la signature de Guillaume X..., mentionnant qu'elle était reconnue par l'inculpé.

Ceux, commis en 1989, dans le cadre d'une demande de révision, ont estimé que " des accords nombreux et signalétiques désignaient Guillaume X... comme étant l'auteur des documents ", sans toutefois analyser précisément sa signature.

Selon des avis officieux donnés en décembre 1978 par M. G..., en mai 1991 par M. Le R..., puis en 1996 par M. B..., Guillaume X... serait " totalement étranger à toute cette affaire " et " sa participation graphique ne peut en aucun cas être valablement démontrée ".

Mais l'expertise collégiale, ordonnée le 4 juin 1993, a attribué, de façon formelle, à Guillaume X..., les deux signatures à son nom figurant sur les promesses de vente.

Par ailleurs, on ne saurait écarter, au regard de la thèse de la machination policière, le trouble résultant des constatations de l'expert, commis le 24 avril 2003, selon lesquelles le fac-similé de la promesse de vente dactylographiée avec la machine à écrire saisie par un policier en présence de Madame X..., le jour de la perquisition, présente la même anomalie de frappe que l'exemplaire saisi entre les mains de Guillaume X....

Dans ses observations Maître Jean-Denis Bredin fait valoir l'arguments suivant :

" Comment l'enquête, conduite par B..., pourrait-elle être aujourd'hui encore prise au sérieux " " Peut-on imaginer que B... nous apparaisse comme un policier insoupçonnable en 1923 " " N'y a-t-il pas là, en tout cas, matière à doute sur les prétendues preuves rassemblées ? "

Ainsi, parallèlement à la thèse de la machination policière, la demande de révision invite également à s'interroger sur l'importance des faits nouveaux qu'elle invoque au regard des charges retenues contre Guillaume X....

Les faits nouveaux sont-ils de nature à remettre en cause les éléments du dossier ?

Il est certain que des témoignages ont été recueillis en très grand nombre et que la reconnaissance, par les témoins, de Guillaume X... au cours des différentes étapes du périple qui lui est reproché constitue autant d'éléments à charge.

Il en est ainsi, principalement, des circonstances dans lesquelles Guillaume X... et Pierre Y... ont été vus pour la dernière fois, à la gare de Houdan, puis des éléments recueillis au Havre, qui ont permis d'accuser Guillaume X... d'y avoir acheté une machine à écrire le 13 juin, d'avoir envoyé le télégramme rassurant la famille de Pierre Y... et d'avoir déposé le 20 juin la mallette de Pierre Y... contenant un exemplaire de la promesse de vente, après l'avoir dactylographiée avec la machine.

- Les rétractations de Monsieur H..., et de Madame S..., invoquées à nouveau à l'appui de la demande, sont-elles de nature à remettre en cause la fiabilité de leurs témoignages ?

Rappelons que Georges H..., qui avait, en 1923, reconnu Guillaume X... comme ayant voyagé en train avec lui le matin du 13 juin et l'avoir revu le même jour au Havre, dans l'après-midi, dans le magasin de machines à écrire, aurait confié à sa maîtresse, Henriette G..., dès 1925, qu'il avait menti sous la pression de Pierre B..., ajoutant, en 1948, qu'il avait envoyé un homme au bagne, par son faux témoignage.

A cet égard, il convient de préciser que Madame H... a indiqué que son mari et Pierre B... se connaissaient et que le récit d'Henriette G... a été considéré comme sincère.

Toutefois, on ne saurait perdre de vue que le témoignage de Georges H... n'est pas le seul à confirmer le voyage de Guillaume X... au Havre.

Madame S..., née Louise T..., était à l'époque des faits employée chez Monsieur Q..., et, après avoir désigné Guillaume X... sur la photo qui lui avait été présentée, elle l'a reconnu lorsqu'elle a été confrontée avec lui devant le juge d'instruction.

Lors d'une demande de révision formée en 1955, dans laquelle elle avait été accusée de relations intimes avec le commissaire V... qui avait dirigé l'enquête, Madame S..., à nouveau entendue, avait maintenu avoir reconnu Guillaume X....

A la suite d'une attestation rédigée par un journaliste, le 15 mars 1993, à nouveau invoquée par les avocats, selon laquelle elle aurait témoigné en 1923 sous la pression policière, Madame S..., entendue le 19 juillet 1993 à l'âge de quatre-vingt-sept ans, déclarait ne pas se souvenir d'avoir signé un tel document. Une expertise, déposée le 7 octobre 1994, faisait état de troubles confusionnels importants.

- Les déclarations d'André K... et d'Henriette L... sont-elles de nature à confirmer la thèse de la survie de Pierre Y... après le 26 mai 1923 ?

Dans l'affirmative, sous réserve de l'incertitude quant à la date à laquelle André K... aurait rencontré Pierre Y..., il faudrait admettre que Pierre Y... n'ait pas quitté la France et, en ce cas, s'interroger sur les mobiles de sa disparition, ainsi que sur l'absence totale de réaction des membres de la famille de Madame L... lorsqu'ils ont vu le " disparu " le 14 juillet 1923.

- L'ensemble des témoignages ainsi que des charges résultant du dossier doivent-ils être examinés différemment en raison des soupçons pesant sur le personnage de Boudjema B... et sur ses liens éventuels avec Pierre B... ?

Il est certain que, si les deux personnages se connaissaient effectivement en 1923, tous les soupçons sont permis quant à la fiabilité des actes de procédure et des diligences accomplies par le policier.

A cet égard, il convient toutefois de rappeler que l'enquête a été menée sous la direction effective du commissaire V..., que l'examen du dossier ne permet de relever que quelques procès-verbaux accomplis par l'inspecteur Pierre B..., et que, parmi ceux-ci, figure un rapport du 16 février 1924 dans lequel le policier relate ses investigations, lesquelles confirment un élément en faveur de Guillaume X..., en l'espèce le témoignage de François J... sur l'existence de Pierre Y... après le 26 mai 1923.

De même, que penser de l'accusation de " trucage " de la photo anthropométrique de Guillaume X... pour la faire correspondre à la description donnée par les témoins selon lesquels il avait l'oeil droit plus petit, alors qu'on peut lire dans le petit carnet sur lequel Louise T... a pris des notes pendant le procès, à la date du 30 octobre : " l'accusé est là depuis quelque temps, sa blessure à l'oeil semble s'être aggravée " ?

Enfin, la thèse d'un important trafic illicite de voitures exportées frauduleusement vers la Russie " impliquant des personnalités ", considérée comme " établie de manière certaine ", à l'appui de la demande, n'a pas été confirmée par les investigations.

Il a été seulement établi que des stocks de voitures provenant des surplus américains de la Première Guerre mondiale étaient exposés pour leur vente sur l'esplanade du Champs-de-Mars.

Ces éléments sont apparus pour la première fois en 1926, sur les indications données par Guillaume X... à sa femme qui les transmettra à la Chancellerie.

Il résulte du dossier que Pierre Y... était intéressé par l'achat de voitures américaines, et qu'il prospectait activement lui-même tant des vendeurs que des acquéreurs se proposant de jouer le rôle d'intermédiaire.

De même, le voyage projeté par Guillaume X... et Pierre Y... pour Paris n'était pas un secret.

Ainsi Guillaume X... avait adressé le 23 mai 1923 une demande officielle d'autorisation de déplacement pour quatre jours de Landerneau à Paris en Cadillac avec Pierre Y....

La famille de Pierre Y... et son banquier étaient au courant de ce voyage " pour traiter un marché de voitures automobiles américaines, camions ou autres, peu importe l'état pourvu qu'elles puissent rouler d'un garage à un autre ".

Ainsi ne se trouve pas confirmée l'existence d'un trafic clandestin.

En revanche, la découverte de Boudjema B..., apparue postérieurement à la condamnation de Guillaume X..., pouvait, au regard des éléments du dossier concernant le mobile du voyage à Paris, être de nature à modifier l'appréciation des charges de culpabilité qui pesaient sur Guillaume X....

En effet, si l'on écarte l'affirmation de l'acte d'accusation selon lequel " nulle trace n'a été trouvée à Paris du prétendu Ch... ou Sc.... qui apparaît comme une pure création de l'imagination de X... ", il convient de s'interroger, d'une part, sur le déroulement réel des faits ayant abouti à la disparition de Pierre Y..., et d'autre part, sur le rôle que l'existence de Boudjema B... aurait pu jouer auprès des jurés, s'ils l'avaient connue lorsqu'ils ont apprécié la culpabilité de Guillaume X....

La preuve de l'existence de Boudjema B... n'est pas une preuve automatique de l'innocence de Guillaume X..., mais remet en cause le fait que ce dernier ait menti sur ce point, et, par voie de conséquence l'appréciation globale de la crédibilité de ses propos.

Par ailleurs, la circonstance que Boudjema B... ait pu être celui qui a dénoncé en avril 1944, à la Gestapo, Madame Colette D..., tandis que Pierre B... sévissait rue Lauriston, permet de s'interroger sur un lien possible entre les deux hommes, non seulement à cette époque, mais au moment de l'affaire X....

Une telle coïncidence pourrait expliquer, à défaut d'une machination policière, des failles dans l'enquête, notamment quant à la recherche du corps de la victime et aux investigations sur le trafic de voitures américaines et sur le personnage avec lequel les deux hommes avaient rendez-vous à Paris.

En cet état :

Sur la saisine de la Cour de révision :

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 622 du Code de procédure pénale, pour permettre la révision, le fait nouveau doit être de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ;

Que, si la Commission de révision a plénitude de juridiction pour estimer que les conditions de la loi ne sont pas remplies et rejeter les requêtes qui lui sont soumises, elle a également pour mission de saisir la chambre criminelle, statuant comme Cour de révision, " des demandes qui lui paraissent pouvoir être admises " ;

Que tel apparaît être le cas en l'espèce ;

Attendu que la découverte de la personnalité de Boudjema B..., identifié comme pouvant être l'homme avec lequel Guillaume X... et Pierre Y... avaient rendez-vous à Paris le 26 mai 1923, et les soupçons portant sur les relations que cet homme a pu avoir avec l'inspecteur de police Pierre B... au sein de la Gestapo en 1944 constituent des éléments nouveaux dont l'appréciation ne saurait relever de la seule Commission de révision ;

Attendu que, l'arrêt de la cour d'assises, non motivé, ne permettant pas de savoir sur quels éléments les jurés ont fondé leur intime conviction, il appartient à la chambre criminelle statuant comme Cour de révision d'apprécier si ces éléments nouveaux sont de nature, au regard des charges résultant du dossier, à faire naître un doute sur la culpabilité de Guillaume X... ;

Par ces motifs :

DIT qu'il y a lieu de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant comme Cour de révision.


Synthèse
Formation : Commission revision
Numéro d'arrêt : 01-REV-065
Date de la décision : 11/04/2005
Sens de l'arrêt : Saisine de la cour de révision

Analyses

REVISION - Commission de révision - Fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès - Saisine de la Cour de révision - Cas.

Aux termes de l'article 623 du Code de procédure pénale la Commission de révision saisit la Cour de révision des demandes qui lui paraissent pouvoir être admises. Tel est le cas de la demande de révision qui invoque de possibles relations entre un inspecteur de police ayant participé à l'enquête et une personne que la victime était susceptible de rencontrer lors de sa disparition. Il appartient à la chambre criminelle de la Cour de cassation statuant comme Cour de révision de dire si ces éléments inconnus de la juridiction au jour du procès sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.


Références :

Code de procédure pénale 622 et suivants

Décision attaquée : Cour d'assises du Finistère, 04 novembre 1924

A rapprocher : Commission de révision, 2001-06-25, Bulletin criminel 2001, n° 157, p. 489 (saisine de la Cour de révision).


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission revision, 11 avr. 2005, pourvoi n°01-REV-065, Bull. civ. criminel 2005 COMREV N° 3 p. 5
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2005 COMREV N° 3 p. 5

Composition du Tribunal
Président : Président : Mme Anzani
Avocat général : Avocat général : M. Launay.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Anzani.
Avocat(s) : Avocats : Me Baudelot, Me Bredin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:01.REV.065
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