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15/07/2004 | FRANCE | N°CRD;03;068

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 15 juillet 2004, CRD et suivants


REJET sur le recours formé par l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Versailles en date du 24 octobre 2003 qui a alloué à Christian X... une indemnité de 63 340,32 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que par décision du 24 octobre 2003, le premier président de la cour d'appel de Versailles a alloué à M. X... une somme de 46 242,36 euros en réparation du préjudice matériel, une somme de 6 097,96 euros au titre des frais de défens

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REJET sur le recours formé par l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Versailles en date du 24 octobre 2003 qui a alloué à Christian X... une indemnité de 63 340,32 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que par décision du 24 octobre 2003, le premier président de la cour d'appel de Versailles a alloué à M. X... une somme de 46 242,36 euros en réparation du préjudice matériel, une somme de 6 097,96 euros au titre des frais de défense et une somme de 11 000 euros en réparation du préjudice moral, à raison d'une détention provisoire de huit mois et vingt-trois jours effectuée du 2 février au 27 juin 1994 puis du 26 octobre 1994 au 22 février 1995 ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a régulièrement formé un recours contre cette décision, tendant à la réduction des sommes réparant les préjudices matériels et le préjudice moral ;

Sur la recevabilité de la demande initiale :

Attendu que l'article 149, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction nouvelle issue de l'article 103 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, exclut le droit à indemnisation de la personne ayant subi une détention provisoire non seulement lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement a eu pour fondement la reconnaissance de l'irresponsabilité de la personne au sens de l'article 122-1 du Code pénal, lorsque cette décision est motivée par une amnistie intervenue postérieurement à la détention ou dans le cas où le mis en examen s'est volontairement et librement accusé ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites, mais encore, désormais, lorsque la décision a pour fondement la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne et lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause ; que ces dispositions sont entrées en vigueur le 10 mars 2004, date de leur publication ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor soulève l'irrecevabilité de la demande initiale de M. X... par application de l'article 149, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'article 103 de la loi précitée ; qu'il soutient que cette règle s'applique immédiatement aux instances en cours et que dès lors, M. X..., qui a bénéficié d'une décision de non-lieu fondée exclusivement sur la prescription de l'action publique n'est pas recevable à exercer un droit à indemnisation ;

Mais attendu que, selon l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ; qu'il en est ainsi d'une disposition civile qui a pour effet de restreindre l'exercice d'un droit ;

Et attendu que l'article 103 de la loi précitée, dès lors qu'il ajoute la prescription de l'action publique aux exceptions limitativement énumérées à l'article 149 du Code de procédure pénale faisant obstacle à l'action en réparation, a pour objet de restreindre le droit à réparation ouvert aux personnes ayant subi une détention provisoire injustifiée ;

Qu'il s'ensuit que cette disposition législative nouvelle n'est pas applicable à la demande de M. X..., formée antérieurement à la date de sa publication sur le fondement d'un droit à réparation reconnu par la loi alors en vigueur ;

Attendu qu'il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir dirigée contre la demande initiale de M. X..., formée le 9 septembre 2002 ;

Sur le recours de l'agent judiciaire du Trésor :

Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ;

Que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor conclut au fond à la réformation de la décision ; qu'il sollicite la réduction de l'indemnité allouée au titre du préjudice moral, selon lui excessive au regard de la situation et du comportement du requérant ; qu'il conclut au rejet de la demande au titre des pertes de salaires et au moins à la réduction de la somme allouée de ce chef, en relevant que, compte tenu des déclarations de revenus produites, M. X... ne prouve pas avoir perdu des revenus du chef de la détention provisoire et que la durée de référence retenue par le premier juge est critiquable dès lors que M. X... est seul responsable de la seconde période de détention motivée par le non-respect des obligations de son contrôle judiciaire ; qu'il conclut également au rejet de la demande pour frais d'avocat, dont, faute de production du compte détaillé exigé par l'article 245 du décret du 27 novembre 1991, M. X... ne démontre pas leur rapport avec la détention ;

Attendu que M... X... a déposé des conclusions le 11 février 2004 par lesquelles il conclut à la confirmation en son principe de la décision déférée, mais à son infirmation quant au montant des indemnités allouées, en sollicitant derechef les sommes présentées dans sa requête initiale, soit 482 684 euros au titre du préjudice matériel, y compris les frais de défense, et 50 000 euros au titre du préjudice moral ;

Attendu que le procureur général près la Cour de cassation fait valoir en substance, dans ses observations déposées le 8 avril 2004, que, compte tenu des circonstances rappelées par M. X..., la somme réparant le préjudice moral doit être maintenue ; que la durée de référence de calcul des pertes de salaires doit être diminuée et que seules les pertes de rémunération directement liées à la détention doivent être prises en compte, en sorte qu'il y a lieu à réduction de la somme accordée de ce chef ; qu'enfin, lui apparaît équitable l'indemnité accordée par le premier juge au titre des frais de défense, même si le compte de frais produit n'apporte pas de précisions sur la finalité des prestations ;

Sur la recevabilité des demandes de M. X... devant la Commission nationale :

Attendu que M. X... n'a pas saisi la commission d'un recours personnel dans le délai imposé par l'article 149-3 du Code de procédure pénale et dans les formes exigées par l'article R. 40-4 dudit Code ; que par suite sont irrecevables les demandes de l'intéressé formées par voie de conclusions dans l'instance introduite par le seul recours de l'agent judiciaire du Trésor ;

Sur le préjudice matériel fondé sur les pertes de revenus :

Attendu que contrairement à ce que soutient l'agent judiciaire du Trésor, M. X... ne peut être privé de son droit à réparation au motif qu'il a été placé une seconde fois en détention provisoire pour n'avoir pas respecté les obligations d'un contrôle judiciaire ; qu'en effet, l'article 149 du Code de procédure pénale n'opère aucune distinction entre la mesure de détention provisoire ordonnée en application de l'article 144 dudit Code et celle prononcée en application de l'article 141-2 du même Code ; qu'en outre, les dispositions précitées instituent, pour les détentions subies, un principe de réparation intégrale, assorti de certaines exceptions au rang desquelles ne figure pas la violation des obligations d'un contrôle judiciaire ; qu'enfin, la soustraction volontaire de l'intéressé aux dites obligations, qui peut être sanctionnée conformément aux dispositions de l'article 141-2 précité par le placement en détention provisoire, ne peut être regardée comme une faute de nature à influer sur le principe et le montant du droit à réparation dès lors que la procédure s'est terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ;

Attendu qu'au regard des pièces justifiant le salaire moyen perçu par M. X... dans les deux mois ayant précédé son incarcération, de la durée de celle-ci et du délai de six mois retenu à juste titre pour les besoins d'une recherche d'emploi postérieurement à la mise en liberté, le premier président a fait une juste appréciation de l'indemnité réparant intégralement la perte de revenus directement causée par l'incarcération ; que le recours de l'agent judiciaire du Trésor doit être rejeté de ce chef ;

Sur le préjudice matériel lié aux frais de défense :

Attendu qu'au vu du compte détaillé établi par son avocat et produit par M. X... en défense au recours, faisant apparaître distinctement et clairement les sommes versées à l'avocat au titre des prestations se rapportant directement à la détention provisoire et aux procédures engagées pour y mettre un terme, il apparaît que, contrairement à ce que soutient l'agent judiciaire du Trésor, l'indemnité fixée par le premier président répare intégralement le préjudice matériel découlant des frais de défense ; que le recours de l'agent judiciaire du Trésor doit être également rejeté de ce chef ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que contrairement à ce que soutient l'agent judiciaire du Trésor, la circonstance qu'au cours de l'instruction, M. X... ait reconnu les infractions fondant sa mise en examen est sans portée sur le principe et le montant de la réparation du préjudice moral ; qu'en effet, selon l'article 149 du Code du procédure pénale, la réparation n'est en pareil cas exclue que lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites ; que cette circonstance n'est pas alléguée en l'espèce ;

Attendu qu'au regard de l'âge de M. X... au moment de son incarcération, de la durée de celle-ci et de la situation professionnelle et sociale de l'intéressé, l'indemnité allouée par le premier président représente la réparation intégrale de son préjudice moral personnel directement causé par la détention ; qu'il convient de rejeter de ce chef le recours de l'agent judiciaire du Trésor ;

Par ces motifs :

REJETTE la fin de non-recevoir invoquée par l'agent judiciaire du Trésor contre la demande initiale de M. X... ;

DECLARE irrecevables les demandes formées par M. X... par voie de conclusions ;

REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : CRD;03;068
Date de la décision : 15/07/2004
Sens de l'arrêt : Rejet

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Bénéfice - Exclusion - Cas - Application dans le temps.

Selon l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point, sauf disposition expresse contraire, d'effet rétroactif. Il en est ainsi d'une disposition civile qui a pour effet de restreindre l'exercice d'un droit. Or, l'article 103 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 entré en vigueur le 10 mars 2004, en ce qu'il a ajouté notamment la prescription de l'action publique aux exceptions limitativement énumérées à l'article 149 du Code de procédure pénale faisant obstable à l'action en réparation, a eu pour effet de restreindre le droit à réparation ouvert aux personnes ayant subi une détention provisoire injustifiée. Cette disposition législative nouvelle n'est donc pas applicable à la demande formée, antérieurement à la date de sa publication, sur le fondement d'un droit à réparation reconnu par la loi alors en vigueur. Doit donc être rejetée la fin de non-recevoir opposée, sur le fondement de l'article 103 précité, par l'agent judiciaire du Trésor à la demande initiale du requérant au motif que celui-ci avait bénéficié d'une décision de non-lieu fondée exclusivement sur la prescription de l'action publique, cette disposition législative nouvelle n'étant pas applicable à cette demande, formée antérieurement à la date de sa publication.


Références :

Code civil 2
Code de procédure pénale 149
Loi 2004-204 du 09 mars 2004 art. 103

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles (Premier président), 24 octobre 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 15 jui. 2004, pourvoi n°CRD;03;068, Bull. civ. criminel 2004 CNRD N° 6 p. 17
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2004 CNRD N° 6 p. 17

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Canivet
Avocat général : Avocat général : M. Davenas.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Bizot.
Avocat(s) : Avocats : Me Couturier-Heller, Me Tinevez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:CRD
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