La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2024 | FRANCE | N°22/00265

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre commerciale, 18 juillet 2024, 22/00265


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE







GROSSES + EXPÉDITIONS : le 18/07/2024

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

la SCP BRILLATZ-CHALOPIN

ARRÊT du : 18 Juillet 2024



N° : 163 - 23

N° RG 22/00265 -

N° Portalis DBVN-V-B7G-GQNP



DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 07 Janvier 2022



PARTIES EN CAUSE



APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265266532295717

Madame [W] [V]



née le 15 Avril 1979 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]



Ayant pour avocat Me Stéphanie BAUDRY, membre de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 18/07/2024

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

la SCP BRILLATZ-CHALOPIN

ARRÊT du : 18 Juillet 2024

N° : 163 - 23

N° RG 22/00265 -

N° Portalis DBVN-V-B7G-GQNP

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de TOURS en date du 07 Janvier 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265266532295717

Madame [W] [V]

née le 15 Avril 1979 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Stéphanie BAUDRY, membre de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265273976734250

Madame [U] [Z]

née le 03 Février 1967 à [Localité 6] (86)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat Me Antoine BRILLATZ, membre de la SCP BRILLATZ-CHALOPIN, avocat au barreau de TOURS

Monsieur [Y] [Z]

né le 24 Février 1966 à [Localité 7] (37)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat Me Antoine BRILLATZ, membre de la SCP BRILLATZ-CHALOPIN, avocat au barreau de TOURS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 01 Février 2022

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 30 Novembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 14 DECEMBRE 2023, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en charge du rapport, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 805 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,

Madame Fanny CHENOT, Conseiller,

Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 18 JUILLET 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 23 janvier 2020, Mme [W] [V], en qualité de vendeur, Mme [U] [G] épouse [Z] et M. [Y] [Z], en qualité d'acquéreurs, ont convenu de la cession du fonds de commerce de prêt-à-porter à l'enseigne « Coté filles », situé [Adresse 2] à [Localité 7], moyennant le prix de 182 000 euros, sous diverses conditions suspensives.

L'acte prévoit la levée des conditions suspensives au plus tard le 8 mars 2020 et la réitération de l'acte de vente par devant notaire au plus tard le 23 mars 2020.

La clause intitulée 'dépôt de garantie et clause pénale' stipule qu''à la garantie de l'exécution des présentes, l'acquéreur verse ce jour la somme de 9 100 euros sur le compte CARPA de Me [X], avocat au barreau de Tours, désigné séquestre d'un commun accord des parties qui viendra en déduction du prix si la cession se réalise définitivement.

Dans le cas où l'une des parties, vendeur ou acquéreur, viendrait à refuser de signer l'acte de cession, alors que les conditions suspensives sont réalisées, celle-ci devra verser à l'autre partie une indemnité forfaitaire, à titre de clause pénale, de 18 200 euros', soit 10 % du prix de vente.

Le 17 mars 2020, Me [X] a adressé un courriel aux deux parties leur indiquant: « Pour faire suite à nos entretiens, je prends bonne note de ce que vous suspendez en accord entre vous deux la vente du fonds visé en rubrique à cause de l'épidémie Coronavirus, jusqu'à ce que le confinement soit levé.

Aussi la vente sera réalisée après cet événement exceptionnel ; elle est retardée.

Par dérogation à vos accords antérieurs, la date limite du 23 mars 2020 est prorogée jusqu'à la fin du confinement.

Je vous remercie de me confirmer votre accord sur ce point chacune par retour de mail, mail commun entre nous trois, de sorte à ce que toutes les trois soyons bien informées.. ».

Par courriel du même jour adressé à Me [X], Mme [U] [Z] a exprimé son 'accord concernant la suspension de l'acte de vente de la boutique 'Côté Filles' jusqu'à la fin du confinement exceptionnel'.

Par courrier recommandé du 30 avril 2020, Mme [Z] a indiqué à Mme [V] 'ne pas acheter le fonds de commerce', 'compte tenu de la situation actuelle de crise sanitaire et économique d'envergure mondiale qui sévit depuis plusieurs mois'.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 mai 2020, Mme [V] a fait savoir à Mme [Z] que, même en l'absence de signature de l'acte définitif, la vente était conclue du simple fait de la levée des conditions suspensives et lui a réclamé le paiement de l'indemnité forfaitaire de 18 200 euros mise à la charge de la partie qui refuse de signer l'acte de vente, selon les stipulations de l'acte du 23 janvier 2020. En réponse, par lettre recommandée du 27 mai 2020, Mme [Z] s'est opposée au paiement de l'indemnité forfaitaire, au motif que 'les conditions suspensives prévues à l'acte du 23 janvier 2020 n'étaient pas toutes satisfaites puisque le Coronavirus était déjà déclaré en France le 8 mars 2020".

Le 14 mai 2020, Mme [V] a demandé à Me [X], sequestre amiable, de lui verser la somme de 9 100 euros sequestrée, à imputer sur l'indemnité forfaitaire, laquelle lui a indiqué le 27 mai 2020 avoir restitué le séquestre à Mme [Z] au motif que 'les conditions suspensives n'étaient pas toutes réalisées au 8 mars 2020 pour cause de Coronavirus'.

Après avoir vainement sollicité le 24 juin 2020 le paiement de l'indemnité forfaitaire, Mme [W] [V] a, par acte du 1er octobre 2020, fait assigner M. et Mme [Z] devant le tribunal de commerce de Tours aux fins, dans le dernier état de ses écritures, de principalement voir juger que les conditions suspensives de la vente du fonds de commerce lui appartenant ont été levées, défaillies et/ou que M. et Mme [Z] y ont renoncé dans les délais qui ont été fixés puis repoussés entre les parties, que M. et Mme [Z], par application de la promesse synallagmatique, ne pouvaient renoncer à la vente du fonds de commerce ainsi conclue qu'en payant une indemnité de dédit contractuellement prévue, et condamner en conséquence les époux [Z] à lui payer la somme de 18 200 euros à titre de dédit conformément aux stipulations de la promesse synallagmatique de cession et à l'article 1590 du code civil, subsidiairement de voir juger que M. et Mme [Z] ont fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution et à tout le moins la négociation de leurs obligations.

Par jugement du 7 janvier 2022, le tribunal de commerce de Tours a :

- débouté Mme [W] [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné Mme [W] [V] à payer à M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté Mme [W] [V] de sa demande à ce titre,

- condamné Mme [V] aux entiers dépens liquidés, concernant les frais de greffe à la somme de 96,97 euros.

Pour statuer ainsi, le tribunal de commerce de Tours a considéré que les conditions suspensives relatives à l'obtention du prêt, au maintien du chiffre d'affaires, à l'obtention de l'agrément des fournisseurs et à l'évacuation des déchets n'étaient pas réalisées à la date du 8 mars 2020, que M. et Mme [Z] n'avaient pas rénoncé au bénéfice des conditions suspensives non réalisées et qu'il n'y avait pas eu de la part de ces derniers de mauvaise foi dans l'exécution ou la négociation de leurs obligations.

Suivant déclaration du 1er février 2022, Mme [W] [V] a interjeté appel de l'ensemble des chefs expressément énoncés de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 31 mai 2022, Mme [W] [V] demande à la cour de :

Vu les articles 1304, 1304-3,1304-4 et 1104 du code civil,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

- infirmer en tous ses points le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tours le 7 janvier 2022,

Statuant à nouveau :

A titre principal,

- juger que les conditions suspensives de la vente du fonds de commerce conclue entre Mme [V], d'une part, et M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z], d'autre part, ont été levées, défaillies et/ou que M. et Mme [Z] y ont renoncé dans les délais qui ont été fixés puis repoussés entre les parties,

- juger que M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] par application du contrat les liant à Mme [V] ne pouvaient renoncer à la vente du fonds de commerce ainsi conclue qu'en payant une indemnité de dédit contractuellement prévue,

en conséquence :

- condamner M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] solidairement à payer à Mme [V] la somme de 18 200 euros à titre de dédit conformément aux stipulations de la promesse synallagmatique de cession et à l'article 1590 du code civil,

- condamner M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] solidairement à verser à Mme [V] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du chef de leur résistance abusive qu'ils mettent dans l'exécution de leurs obligations,

A défaut,

- juger que le 17 mars 2020, il a été conclu entre Mme [V], d'une part, et M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z], d'autre part, la vente du fonds de commerce appartenant à Mme [V], fonds de commerce exploité [Adresse 2] à [Localité 7], et ce pour un prix de 182 000 euros,

- juger qu'en ne réitérant pas par acte sous seing privé la vente du fonds de commerce ainsi conclue et en résiliant unilatéralement le contrat de vente de fonds de commerce ainsi conclu, M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] ont manqué à leurs obligations,

en conséquence :

- condamner M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] solidairement à payer à Mme [V] la somme de 18 200 euros à titre de dommages et intérêts,

A titre subsidiaire,

- juger que M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] ont fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de leurs obligations et à tout le moins dans la négociation de celles-ci si par impossible la cour devait considérer que le contrat de vente n'a pas été conclu, en conséquence :

- condamner M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] solidairement à payer à Mme [V] la somme de 18 200 euros à titre de dommages et intérêts,

En tout état de cause,

- débouter M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

- condamner solidairement M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] au paiement de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Walter & Garance Avocats sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 8 août 2023, M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] demandent à la cour de :

- dire mal fondé l'appel interjeté par Mme [V] du jugement rendu par le tribunal de commerce de Tours le 7 janvier 2022 (RG n°2020005348),

- confirmer par conséquent ledit jugement en toutes ses dispositions,

- et débouter Mme [V] de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à payer aux époux [Z] la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner également en tous les dépens.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 novembre 2023 et l'affaire plaidée le 14 décembre suivant.

MOTIFS :

Sur la réalisation des conditions suspensives et/ou la renonciation au bénéfice desdites conditions suspensives :

La cession du fonds de commerce de Mme [V] à M. et Mme [Z] a été conclue par acte sous seing privé du 23 janvier 2020 sous conditions supensives, au nombre de 11 dont les 4 suivantes font l'objet du litige, en ces termes : 'Conditions suspensives'

'Les soussignés déclarent formellement vouloir subordonner leur consentement nécessaire à la formation de la vente à la réalisation, au plus tard de 8 mars 2020, des conditions suspensives ci-après :

(...)

2) Obtention de prêts bancaires

Obtention par l'aquéreur pour l'acquisition du fonds objet des présentes et des frais occasionnés par cette opération de prêt de la part de tout organisme bancaire d'un montant de 160 000 euros, sur une durée de sept ans, au taux du marché. A cet effet, l'acquéreur s'engage à effectuer toutes les diligences nécessaires pour fournir aux établissements bancaires sollicités les documents et dossiers nécessaires à la mise en place des prêts et à en justifier au vendeur.

L'acquéreur devra faire part au vendeur de la réponse de la banque au plus tard le 8 mars 2020, faute de quoi il sera censé avoir obtenu une réponse négative.

(...)

5) Déchets

L'évacuation de tous les déchets à la charge du vendeur.

6) Maintien du chiffre d'affaires HT sur l'exercice 2019/2020 au moins au même niveau que celui réalisé au titre de l'exercice précédent ; prorata temporis.

7) Obtention de l'agrément des fournisseurs de vêtements et accessoires et marques commercialisées dans le fonds, objet des présentes, pour poursuivre les relations commerciales avec l'acquéreur aux mêmes conditions qu'avec les vendeurs.

(...)

9) Absence de faits ou d'événements de nature économique, juridique, sociale, fiscale ou financière sortant de la gestion courante et normale des affaires et susceptibles d'affecter substantiellement de façon négative l'activité du fonds, objet des présentes.

(...)

Si l'une quelconque de ces conditions (les 11) n'était pas remplie, la présente cesssion serait nulle et non avenue, sans indemnité de part et d'autre.

Chacune des parties sera déliée de ses obligations, sans indemnité de part ni d'autre.

Il est toutefois expressément convenu que le bénéficiaire de l'une ou l'autre de ces conditions suspensives aura toujours la possibilité de renoncer à l'une ou l'autre d'entre elles si bon lui semble, en tout ou partie, en informant l'autre partie de cette décision avant l'expiration du délai ci-dessus mentionné et dans ce cas, la ou les conditions suspensives auxquelles il aurait renoncé seront considérées comme réalisées.

Les parties prennent acte qu'en application des dispositions du code civil, la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement'.

Il n'est pas discuté que l'ensemble des conditions suspensives devait être réalisé le 8 mars 2020 et la signature de l'acte réitératif notarié fixée au 23 mars 2020.

Mme [V] considère que ces conditions étaient levées au 8 mars 2020 et/ou qu'il y avait été renoncé par les acquéreurs ; M. et Mme [Z] se prévalant au contraire, pour refuser de régulariser l'acte réitératif, de ce que les conditions suspensives en question n'étaient pas remplies à cette date.

* absence de faits ou d'événements...

M. et Mme [Z] soutiennent de prime abord que la survenue de la crise sanitaire au mois de mars 2020 constitue l'une des causes de non réalisation de la condition suspensive n°9, la survenue du Covid-19 ayant eu pour effet d'impacter substantiellement et de façon négative la situation financière et économique du commerce 'Côté Filles' et étant clair qu'à la date du 8 mars 2020 une mesure de confinement serait prise à brève échéance à l'image de ce qui se passait chez nos voisins européens, de sorte que cette condition suspensive ne s'est pas réalisée.

Il s'avère que l'état d'urgence sanitaire et le confinement généralisé ont été décidés le 16 mars 2020 et mis en oeuvre le 17 mars 2020, soit postérieurement au 8 mars 2020, et qu'antérieurement la seule présence du virus sur le sol français n'affectait en rien l'activité du fonds, de sorte que cette condition suspensive était levée à la date du 8 mars 2020, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges.

* obtention du prêt bancaire

M. et Mme [Z] exposent qu'à la date du 8 mars 2020, bien qu'ayant formulé deux demandes de prêt, l'une auprès du Crédit Agricole, l'autre auprès de la BPVF, ils n'avaient reçu aucune offre. Ils en veulent pour preuve l'offre de prêt émise par la BPVF à hauteur de 150 000 euros (au lieu de 160 000 euros) le 18 mars 2020, soit 10 jours après l'expiration du délai de réalisation de la condition suspensive.

Outre le fait que le prêt a été accordé pour un montant moindre à la suite d'une révision de l'apport convenu avec Mme [Z], il appartenait à celle-ci de justifier avoir fait le nécessaire pour obtenir un prêt comme convenu au contrat de cession et en temps utile, ce qu'elle n'a pas fait, de sorte que cette condition suspensive est réputée accomplie.

* maintien du chiffre d'affaires

L'attestation de l'expert-comptable permettant de s'assurer du maintien du chiffre d'affaires HT sur l'exercice 2019/2020 a été délivrée le 16 mars 2020 et fait état d'une baisse de 10 % du chiffre d'affaires (226 947 euros sur l'exercice précédent / 204 759 euros de mars 2019 à février 2020). Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, outre le fait qu'à la date du 8 mars 2020, aucune information n'avait été fournie aux acquéreurs sur le chiffre d'affaires (la présence de Mme [Z] dans la boutique 14 heures par semaine comme salariée ne pouvant lui permettre d'avoir une connaissance précise de l'évolution du chiffre d'affaires), il ne peut être soutenu qu'une diminution de 10 % n'est pas significative. En conséquence, cette condition suspensive n'est pas réalisée.

* agrément des fournisseurs

S'il n'est pas contestable au vu des pièces produites que Mme [Z] a été présentée à tous les fournisseurs en qualité de future propriétaire du fonds et a effectué seule les commandes de la saison hiver 2020, aucun élément du dossier n'établit que l'agrément de Mme [Z] par les fournisseurs se soit fait aux mêmes conditions qu'avec Mme [V], de sorte que cette condition n'est pas réalisée.

* évacuation des déchets

Il ressort du constat de l'état des lieux établi à la demande des bailleurs le 13 mars 2020 que la cave était à cette date encombrée de divers déchets dont plusieurs cartons, de sorte qu'à la date du 8 mars 2020 cette condition n'était pas levée.

Mme [V] fait valoir que M. et Mme [Z] ont en réalité, au regard de leur comportement, renoncé au bénéfice de ces conditions suspensives puisqu'alors même que ces conditions étaient selon eux prétendument défaillies à la date du 8 mars 2020, ils ont continué postérieurement à échanger avec Mme [V], confirmant le 17 mars 2020 -à la suite du courriel susvisé de Me [X] faisant état du report de la date limite du 23 mars 2020 jusqu'à la fin du confinement- la formation de la vente et indiquant qu'elle serait signée postérieurement (courriel de Mme [Z] du 17 mars 2020 : 'vous trouverez mon accord concernant la suspension de l'acte de vente de la boutique 'Côté Filles' jusqu'à la fin du confinement'), alors que précisément le 17 mars 2020 ils avaient connaissance de l'attestation de l'expert-comptable en date du 16 mars 2020 relative au chiffre d'affaires, du procès verbal de constat du 13 mars 2020 faisant état de la présence de cartons (déchets) dans les locaux, étant précisé qu'il est mentionné dans ce constat que celui-ci est établi en vue de la prochaine cession du fonds de commerce à l'EURL Valvet, constituée par Mme [Z] à cette fin, et étant ajouté que par ce même courriel du 17 mars 2020 Mme [Z] a indiqué être 'en relation avec Mme [D], conseillère de banque, afin de préparer

le dossier de façon à pouvoir signer dès que le retour à la normale sera effectif' et qu'il est établi que le contrat de prêt a été émis par la BPVF le 18 mars 2020.

M. et Mme [Z] excipent des stipulations contractuelles selon lesquelles 'le bénéficiaire de l'une ou l'autre de ces conditions suspensives aura toujours la possibilité de renoncer à l'une ou l'autre d'entre elles si bon lui semble, en tout ou partie, en informant l'autre partie de cette décision avant l'expiration du délai ci-dessus mentionné et dans ce cas, la ou les conditions suspensives auxquelles il aurait renoncé seront considérées comme réalisées' et des dispositions de l'article 1304-4 du code civil invoquées par l'appelante aux termes desquelles 'une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli' pour écarter l'argumentation relative à leur renonciation au bénéfice des conditions suspensives.

L'acte de cession stipule expressément les conditions de la renonciation aux conditions suspensives, à savoir l'information de l'autre partie et ce avant l'expiration du délai prévu pour l'accomplissement des conditions suspensives, soit le 8 mars 2020, de sorte que la renonciation implicite tirée du comportement de l'acquéreur dont se prévaut Mme [V] ne peut être retenue.

En conséquence, l'indemnité forfaitaire dont le versement est prévu au contrat 'dans le cas où l'une des parties viendrait à refuser de signer l'acte de cession, alors que les conditions suspensives sont réalisées' n'est pas due.

Sur la nouvelle vente conclue le 17 mars 2020 :

En cause d'appel, Mme [V] fait valoir qu'à défaut pour la cour de retenir la réalisation et/ou la renonciation aux conditions suspensives, la cour ne pourra que juger qu'une nouvelle vente a été conclue entre les parties à la date du 17 mars 2020, hors de toutes conditions suspensives.

Elle soutient à cet effet que si l'on considère que la vente n'existait plus conformément à ce qu'indiquent M. et Mme [Z] au jour du 8 mars 2020, alors les échanges qui ont eu lieu après cette date entre les parties sur la chose et sur le prix pour arriver à dire et écrire par l'intermédiaire de leur mandataire, Me [X], le 17 mars 2020, que la vente était bien conclue mais que les parties convenaient de reporter la signature de l'acte de vente à l'issue du confinement, démontrent que la vente a bien été conclue à la date du 17 mars 2020 en dehors de toute question de réalisation de conditions suspensives puisqu'à cette date les parties étaient d'accord sur la chose et sur le prix.

M. et Mme [Z] étant revenus sur leur engagement de régulariser l'acte de vente, Mme [V] en conclut qu'elle est fondée à solliciter des dommages-intérêts qui ne sauraient être inférieurs à ce que les parties avaient convenu dans le cadre de leur premier contrat.

Il résulte de l'article 1583 du code civil que la vente est parfaite entre les parties dès lors qu'on est convenu de la chose et du prix.

Il ressort du courriel du 17 mars 2020 de Me [X] dont les termes ont été rappelés plus haut et auquel Mme [Z] a donné son accord par retour de courriel du même jour, qu'il y est certes fait état de la chose 'vente du fonds de commerce visée en rubrique' mais sans qu'aucun prix ne soit mentionné, de sorte que cet échange, pris isolément, ne peut valoir nouvel accord des parties sur la vente du fonds de commerce.

Mme [V] sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur la non réitération d'une prétendue nouvelle vente conclue le 17 mars 2020.

Sur le manquement à l'obligation de bonne foi des acquéreurs :

Il reste qu'en application de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Il ressort des éléments du dossier que M. et Mme [Z], qui soutiennent aujourd'hui à juste titre que l'ensemble des conditions suspensives n'étaient pas levées à la date convenue du 8 mars 2020, ont néanmoins poursuivi les relations avec Mme [V] en vue de la réitération de la signature de la cession par devant notaire, laissant croire à celle-ci que la vente irait jusqu'à son terme.

Ainsi de l'accord donné par Mme [Z] le 17 mars 2020 concernant le report de la réitération de l'acte jusqu'à la fin du confinement. Ou encore le fait que par courriel du 14 avril 2020, Me [X] s'est adressée aux parties en ces termes : 'Je suis disponible après le confinement les 12, 13, 14 mai 2020. Merci de me revenir pour m'indiquer l'heure et lejour qui vous conviennent à toutes les deux et je préviendrai aussi votre bailleur', sans protestation aucune de Mme [Z].

Il en est de même du courriel du 28 avril 2020 de Mme [Z] à Mme [V] : 'As-tu d'autres propositions de remises avec les autres fournisseurs car je n'ai pas leurs coordonnées que tu dois me donner comme convenu', Mme [V] lui transmettant par retour de courriel du même jour la liste et les coordonnées de ses fournisseurs.

Par courrier du 30 avril 2020, M. et Mme [Z] se sont finalement prévalus de la 'crise sanitaire et économique d'envergure mondiale qui sévit depuis plusieurs mois' pour ne pas acheter le fonds de commerce.

Quand bien même l'ensemble des conditions suspensives n'a pas été levé, il s'avère que l'attitude déloyale de M. et Mme [Z] qui ont maintenu les relations contractuelles avec Mme [V] pendant encore près de deux mois, pour finalement ne pas acquérir le fonds de commerce en se prévalant en premier lieu de la crise sanitaire, envisagée par le contrat dans des termes ne leur permettant pas de s'y référer, en second lieu de l'absence de levée des conditions suspensives défaillies depuis plusieurs semaines, a indéniablement causé un préjudice à Mme [V] résultant du retard pris dans la vente de son fonds sans motif légitime et de la réorganisation personnelle à laquelle elle a dû faire face, sa décision de vendre relevant d'un projet de reconversion dans son activité en lien avec des obligations familiales.

Eu égard au montant convenu entre les parties au titre de la clause 'dépôt de garantie et clause pénale' précitée, à la durée de deux mois inutilement écoulée mais aussi au contexte plus que particulier de l'époque des faits, il convient d'allouer à Mme [V] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Par infirmation du jugement entrepris, M. et Mme [Z] seront condamnés in solidum à payer à Mme [V] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à raison de la mauvaise foi dans la négociation de leurs obligations.

Sur les demandes accessoires :

Mme [V] ne sollicite l'octroi de dommages-intérêts pour résistance abusive qu'au titre de sa demande principale à laquelle il n'a pas été fait droit, de sorte que cette demande ne saurait prospérer.

M. et Mme [Z], qui succombent, suppporteront in solidum la charge des dépens de première instance et d'appel et seront condamnés in solidum à verser à Mme [V] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du 7 janvier 2022 du tribunal de commerce de Tours en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne in solidum M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] à payer à Mme [W] [V] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne in solidum M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être directement recouvrés par la SELARL Walter & Garance Avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [Y] [Z] et Mme [U] [G] épouse [Z] à verser à Mme [W] [V] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/00265
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;22.00265 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award