COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/03/2023
la SCP THIERRY GIRAULT
la SCP SOREL & ASSOCIES
ARRÊT du : 23 MARS 2023
N° : 43 - 23
N° RG 21/00765
N° Portalis DBVN-V-B7F-GKHT
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ORLEANS en date du 10 Février 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265262613746850
Monsieur [H] [I]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5] (ALGÉRIE)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Ayant pour avocat Me Thierry GIRAULT, membre de la SCP THIERRY GIRAULT, avocat au barreau d'ORLEANS
Madame [J] [F]
née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Ayant pour avocat Me Thierry GIRAULT, membre de la SCP THIERRY GIRAULT, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART
INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé N°:1265258998549284
S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE LOIRE CENTRE
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Ayant pour avocat postulant Me Pierre-Yves WOLOCH , membre de la SCP SOREL & ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me THUMERELLE, membre de la SCP SOREL&Associés, avocat au barreau de BOURGES
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 10 Mars 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 08 Décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du JEUDI 26 JANVIER 2023, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 805 du code de procédure civile.
Lors du délibéré :
Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Ferréole DELONS, Conseiller,
Greffier :
Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 23 MARS 2023 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [H] [I] et Mme [J] [F] ont souscrit successivement deux prêts personnels de 29 000 euros chacun auprès de la société Caisse d'épargne et de prévoyance du Val de France Orléanais, devenue la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre (ci-après la Caisse d'épargne) :
- le premier par acte sous seing privé du 20 octobre 2006, remboursable en 72 échéances de 500,91 euros incluant les primes d'assurance et les intérêts au taux conventionnel de 6 % l'an,
- le second par acte sous seing privé du 3 février 2007, remboursable en 84 échéances de 434,28 euros incluant les primes d' assurance et les intérêts au taux conventionnel de 5,30 % l'an.
M. [I] et Mme [F] ont été déclarés recevables au bénéfice de la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers le 26 janvier 2012 et ont bénéficié à compter du 25 août 2013 d'un plan conventionnel de redressement de 24 mois.
Au terme de ce plan, des échéances des deux prêts sont rapidement restées impayées.
Après avoir mis chacun des emprunteurs en demeure de régulariser la situation, par courriers du 26 février 2016 adressés sous pli recommandés réceptionnés le 29 février suivant, la Caisse d'épargne a provoqué la déchéance du terme de ses concours le 28 mai 2016.
Par courriers recommandés du 20 septembre 2016, réceptionnés le 26 septembre suivant, la Caisse d'épargne a vainement mis en demeure chacun de M. [I] et de Mme [F] de lui régler la somme de 11 349,24 euros pour solde de son premier concours (prêt n° 8477670) et celle de 15 488,52 euros pour solde de son second concours (prêt n° 8477309), puis les a fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance d'Orléans par actes du 29 août 2018.
Par jugement du 10 février 2021 assorti de l'exécution provisoire, en retenant que les emprunteurs n'établissaient pas que leur situation financière à l'époque de l'octroi des prêts litigieux justifiait que le prêteur les mette en garde contre un risque d'endettement excessif, le tribunal judiciaire d'Orléans, a :
- condamné solidairement M. [H] [I] et Mme [J] [F] à verser à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre les sommes de :
* 12 228,88 euros outre les intérêts de retard dus au taux conventionnel de 6 % du 2 décembre 2017 jusqu'à parfait paiement,
* 16 568,08 euros outre les intérêts de retard dus au taux conventionnel de 5,3 % jusqu'à parfait paiement,
- dit que les intérêts échus seront capitalisés par année entière comme prévu par l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige,
- débouté M. [H] [I] et Mme [J] [F] de l'ensemble de leurs demandes,
-condamné in solidum M. [H] [I] et Mme [J] [F] à verser à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné in solidum M. [H] [I] et Mme [J] [F] aux entiers dépens, avec distraction au profit de la SCP Sorel dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
M. [I] et Mme [F] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 10 mars 2021, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 1er juin 2021, M. [I] et Mme [F] demandent à la cour de :
- recevoir leur appel et le déclarer bien fondé,
Y faire droit,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions leur faisant grief,
Statuant à nouveau,
Vu les articles 1231-1 et 1347-1 du code civil,
- dire et juger que la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre a engagé sa responsabilité en leur accordant les prêts dont elle sollicite le remboursement,
Vu les dispositions de l'article 1147 du code civil,
- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre à verser à M. [H] [I] et Mme [J] [F] la somme de 23 038 euros, correspondant à 80 % du montant total de la somme réclamée par la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre,
- ordonner la compensation entre les sommes dues par M. [H] [I] et Mme [J] [F] au profit de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre et celle due par la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre au profit des consorts [H] [I] et [J] [F],
- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre à verser à M. [H] [I] et Mme [J] [F] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile relatif au jugement de première instance,
- débouter la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre au paiement de la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles subis en cause d'appel,
- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre aux dépens de première instance et d'appel et autoriser la SCP Thierry Girault à recouvrer directement contre la ou les parties condamnées ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 juillet 2021, la SA Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Centre demande à la cour, au visa de l'article 1134 du code civil dans sa version en vigueur aux 20 octobre 2006 et 3 février 2007, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans en date du 10 février 2021 dont M. [H] [I] et Mme [J] [F] ont interjeté appel,
- condamner in solidum M. [H] [I] et Mme [J] [F] à payer et porter à la Caisse d'épargne Loire Centre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les défendeurs aux entiers dépens et adjuger à la SCP Sorel & Associés agissant par Maître Franck Silvestre le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 8 décembre 2022, pour l'affaire être plaidée le 26 janvier 2023 et mise en délibéré à ce jour.
MOTIFS :
Sur la demande en paiement de l'établissement bancaire :
Par des motifs non critiqués que la cour adopte, les premiers juges ont condamné solidairement M. [I] et Mme [F] à payer à la Caisse d'épargne la somme de 12 228,88 euros majorée des intérêts au taux de 6 % l'an à compter du 2
décembre 2017 pour solde du prêt n° 8477670 souscrit le 20 octobre 2006 et celle de 16 568,08 euros majorée des intérêts au taux de 5,30 % à compter de la même date pour solde du prêt n° 8477309 souscrit le 3 février 2007, puis ordonné la capitalisation des intérêts par années entières conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Sauf à préciser que les intérêts seront capitalisés annuellement à compter du 29 août 2018, date de la demande, le jugement déféré sera confirmé sur ces premiers chefs.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts et la demande de compensation :
Dès lors que la Caisse d'épargne se borne à invoquer la prescription de la demande indemnitaire tirée d'un manquement à son devoir de mise en garde dans le corps de ses écritures, sans reprendre cette fin de non-recevoir dans le dispositif (partie finale) de ses conclusions, et ce alors qu'aucun des chefs du jugement dévolus à la cour n'a statué sur cette fin de non-recevoir, la cour ne peut statuer sur cette prétention, dont, en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'est pas saisie (v. par ex. Civ. 1, 2 février 2022, n° 19-20.640).
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, un établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti lorsque, au jour de l'octroi du prêt, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
S'il appartient au prêteur, conformément à l'article 1315, alinéa 2, du code civil, de prouver qu'il a rempli son devoir de mise en garde, il faut que l'emprunteur établisse, au préalable, qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, sa situation financière justifiait l'accomplissement d'un tel devoir.
Dans l'administration de cette preuve, l'emprunteur doit justifier de ses capacités financières telles qu'elles ont été portées à la connaissance de la banque lors de l'octroi du prêt, ou telles que cette dernière pouvait les connaître, afin d'être en mesure de vérifier les risques d'endettement nés de la souscription du prêt.
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [I] et Mme [F], qui étaient respectivement agent de maintenance et agent technique territorial, n'avaient aucune compétence particulière en matière de crédit, et doivent donc être considérés comme des emprunteurs non avertis.
A la date d'octroi du premier prêt (20 octobre 2006), les appelants établissent, en produisant leurs avis d'imposition respectifs, qu'ils avaient un enfant à charge et percevaient des revenus mensuels d'un montant total de 3 834 euros (2 480 euros M. [I] + 1 354 euros Mme [F]).
A cette époque, M. [I] et Mme [F] avaient déjà souscrit auprès de la Caisse d'épargne un prêt immobilier de 133 100 euros, qu'ils remboursaient pas mensualités de 863,32 euros.
L'octroi du premier prêt du 20 octobre 2026, remboursable par mensualités de 500,91 euros, portait le taux d'endettement des appelants à 35,5 %.
Bien que déjà lourd, ce taux d'endettement n'apparaît pas pour autant excessif pour des emprunteurs qui finançaient par le principal de leurs crédits l'acquisition de leur résidence principale.
A la date d'octroi du second prêt (3 février 2007), les revenus de M. [I] et de Mme [F], qui avaient toujours un enfant à charge, s'élevaient mensuellement à 3 851 euros (2 452 + 1 399).
Il s'en déduit qu'à cette date, les mensualités du nouveau prêt (434,28 euros), ajoutées aux encours des prêts que leur avait précédemment accordés la Caisse d'épargne (863,32 + 500,91), représentaient une charge mensuelle de 1 799 euros, qui absorbait 46,70 % des revenus de M. [I] et de Mme [F].
Un niveau d'endettement de cette importance faisait naître un risque d'endettement excessif contre lequel il incombait à la Caisse d'épargne, qui ne pouvait l'ignorer puisqu'il résultait de concours financiers qu'elle avait elle-même accordés, de mettre en garde M. [I] et Mme [F].
Dès lors qu'elle n'établit pas avoir satisfait à ses obligations, la Caisse d'épargne engage sa responsabilité envers les appelants.
Le préjudice causé par un manquement de la banque prêteuse à son devoir de mise en garde est constitué par la perte de chance de ne pas contracter le prêt.
Cette perte de chance s'apprécie, non pas une fois le risque réalisé, mais au jour de la conclusion du contrat.
Si M. [I] et Mme [F] ne contestent pas avoir souscrit de nouveaux crédits en 2008, la Caisse d'épargne ne peut en déduire que, même mis en garde, les appelants auraient contracté les prêts litigieux, et que la perte de chance est nulle, alors que rien n'établit que les organismes de crédit qui leur ont accordé de nouveaux concours en 2008 ont, eux, satisfait à leur devoir de mise en garde.
Sur la base d'une perte de chance qui, en l'absence d'éléments autres que le taux d'endettement généré par l'octroi du prêt litigieux, sera quantifiée à un peu plus de 50 %, la Caisse d'épargne sera condamnée à régler à M. [I] et Mme [F], à titre de dommages et intérêts, une indemnité de 8 500 euros.
En application de l'article 1347 du code civil, les dettes réciproques des parties se compenseront à concurrence de leur quotité respective.
Sur les demandes accessoires :
La Caisse d'épargne, qui succombe en cause d'appel au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance et sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce dernier fondement, la Caisse d'épargne sera condamnée à régler à M. [I] et Mme [F], à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité de procédure de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
INFIRME la décision entreprise seulement en ce qu'elle a débouté M. [I] et Mme [F] de leur demande de dommages et intérêts et de leur demande de compensation,
STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés :
CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre à payer à M. [H] [I] et Mme [J] [F], à titre de dommages et intérêts, la somme de 8 500 euros,
DIT que les dettes réciproques des parties se compenseront à concurrence de leur quotité respective,
CONFIRME la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées, sauf à préciser que les intérêts échus seront capitalisés annuellement à compter du 29 août 2018,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre à payer à M. [H] [I] et Mme [J] [F] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre formée sur le même fondement,
CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre aux dépens d'appel,
ACCORDE à la SCP Thierry Girault le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT