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08/12/2022 | FRANCE | N°21/005111

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 08 décembre 2022, 21/005111


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 08/12/2022
la SELARL CABINET AUDREY HAMELIN
Me Florence DEVOUARD
ARRÊT du : 08 DECEMBRE 2022

No : 192 - 22
No RG 21/00511
No Portalis DBVN-V-B7F-GJTO

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 07 Janvier 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: -/-

Monsieur [H] [I]
né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
>Ayant pour avocat Me Audrey HAMELIN, membre de la SELARL Cabinet Audrey HAMELIN, avocat au barreau de BLOIS

(bénéficie d'une aide ...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 08/12/2022
la SELARL CABINET AUDREY HAMELIN
Me Florence DEVOUARD
ARRÊT du : 08 DECEMBRE 2022

No : 192 - 22
No RG 21/00511
No Portalis DBVN-V-B7F-GJTO

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BLOIS en date du 07 Janvier 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: -/-

Monsieur [H] [I]
né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Audrey HAMELIN, membre de la SELARL Cabinet Audrey HAMELIN, avocat au barreau de BLOIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/001285 du 22/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ORLEANS)

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265261860413519

La S.A. BANQUE CIC OUEST (CIC OUEST)
[Adresse 2]
[Adresse 6]
[Localité 5]

Ayant pour avocat Me Florence DEVOUARD, avocat au barreau de BLOIS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 16 Février 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 15 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du JEUDI 20 OCTOBRE 2022, à 9 heures 30, devant Madame Fanny CHENOT, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 805 du code de procédure civile.

Lors du délibéré :
Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Ferréole DELONS, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 08 DECEMBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Selon offre préalable acceptée le 1er avril 2016, la SA Banque CIC Ouest (ci-après la banque) a consenti à M. [H] [I] un prêt immobilier d'un montant de 95 509 euros, remboursable en 180 mensualités de 632,58 euros incluant les primes d'assurance et les intérêts au taux conventionnel de 1,95 % l'an.

Des échéances du prêt étant restées impayées, la banque a provoqué la déchéance du terme le 9 avril 2018, en mettant en demeure M. [I], par courrier du même jour adressé sous pli recommandé réceptionné le 11 avril suivant, de lui régler pour solde de ce prêt la somme totale de 94 878,05 euros, puis l'a fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Blois par acte du 13 août 2018.

Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Blois a :

-débouté M. [H] [I] de ses demandes principale et subsidiaire tendant à voir dire que la société Banque CIC Ouest a manqué à son obligation de mise en garde, et de ses demandes subséquentes,
-débouté M. [I] de sa demande reconventionnelle de réduction de la clause pénale prévue par le contrat de prêt litigieux,
-débouté M. [I] de ses demandes subsidiaires tendant à voir dire que la société Banque CIC Ouest a manqué aux obligations légales mises à sa charge en vertu des anciens articles L.311-6, L.311-12 et L.311-19 du code de de la consommation et, par conséquent, à voir déchoir ladite société du droit aux intérêts et à la capitalisation des intérêts et à la voir condamner au paiement d'une amende de 1 500 euros en application de l'ancien article L.311-49 du code de la consommation,
-condamné M. [H] [I] à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 95 383,69 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,95 % l'an à compter du 26 juillet 2018,
-dit que les intérêts échus par année entière produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 ancien du code civil,
-condamné M. [H] [I] à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [I],
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
-condamné M. [I] aux dépens,
-accordé à Maître Devouard le droit prévu à l'article 699 du code de procédure civile

M. [I] a relevé appel de cette décision par déclaration du 16 février 2021 en critiquant expressément toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 12 mai 2021, M. [I] demande à la cour, au visa des articles 1315 et 1152 [anciens] du code civil, 1343-5 du code civil, L.311-6, L.311-12, L.311-19, L.311-48 et L.311-49 du code de la consommation, de :

A titre principal,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] [I] de sa demande principale tendant à voir dire que la société Banque CIC Ouest a manqué à son obligation de mise en garde à son égard, et l'a condamné à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 95 383,69 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,95 % l'an à compter du 18 juillet 2018,
Statuant à nouveau,
-débouter la société Banque CIC Ouest de toutes ses demandes en paiement à l'encontre de M. [I],
A titre subsidiaire,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] [I] de sa demande subsidiaire tendant à voir dire que la société Banque CIC Ouest a manqué à son obligation de mise en garde à son égard et de ses demandes subséquentes et l'a condamné à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 95 383,69 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,95 % l'an à compter du 26 juillet 2018,

Statuant à nouveau,
-condamner la société Banque CIC Ouest au paiement de la somme de 47 754,50 euros à M. [I] en indemnisation du préjudice résultant de sa perte de chance de ne pas contracter le crédit immobilier,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes subsidiaires tendant à voir dire que la société Banque CIC Ouest a manqué aux obligations légales mises à sa charge en vertu des anciens articles L.311-6, L.311-12 et L.311-19 du code de la consommation et, par conséquent, à voir déchoir ladite société du droit aux intérêts et à la capitalisation des intérêts et à la voir condamner au paiement d'une amende de 1 500 euros en application de l'ancien article L.311-49 du code de la consommation,
-infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande reconventionnelle de réduction de la clause pénale prévue par le contrat de prêt litigieux et dit que les intérêts échus par année entière produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 ancien du code civil,
Statuant à nouveau,
-déchoir la société Banque CIC Ouest du droit aux intérêt et à la capitalisation des intérêts,
-condamner la société Banque CIC Ouest au paiement d'une amende de 1 500 euros en application de l'ancien article L.311-49 du code de la consommation,
-débouter la société Banque CIC Ouest de sa demande au titre de l'indemnité contractuelle de 7% et, à défaut, réduire l'indemnité contractuelle à la somme de 100 euros,
En tout état de cause,
-infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [H] [I] à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [I] aux entiers dépens,
Y ajoutant,
-condamner la société Banque CIC Ouest à payer à M. [I] une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Banque CIC Ouest aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL Cabinet Audrey Hamelin

Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2021, la SA Banque CIC Ouest demande à la cour, au visa des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction applicable à l'espèce, 1101 et suivants, 1343-5 du code civil, de :

-confirmer la décision entreprise,
En conséquence,
-débouter M. [I] [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-condamner M. [I] [H] à lui payer une somme de 95 383,69 euros arrêtée au 26 juillet 2018, sous réserves des intérêts postérieurs au taux de 1,950 %,
-dire et juger que les intérêts se capitaliseront en application de l'article 1154 du code civil,
-le condamner à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance qui seront recouvrés par Maître Devouard conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

Subsidiairement, si par impossible, la cour de céans venait à infirmer le jugement entrepris en considérant que la Banque CIC Ouest a manqué à son devoir de mise en garde :
-condamner M. [I] [H] à lui payer la somme de 94 373,48 euros, sous réserve des intérêts postérieurs au taux de 1,95 %,
En tout état de cause, ajoutant au jugement entrepris,
-condamner M. [I] [H] aux entiers dépens d'appel qui comprendront les frais de timbre de 225 €, les frais d'huissiers et de droit de plaidoirie, lesquels seront recouvrés par Maître Devouard conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
-condamner M. [I] [H] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 septembre 2022, pour l'affaire être plaidée le 20 octobre suivant et mise en délibéré à ce jour.

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande principale en paiement de la banque

-sur le manquement au devoir de mise en garde du prêteur invoqué par voie d'exception

M. [I], qui recherche à titre subsidiaire la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde en sollicitant reconventionnellement des dommages et intérêts, sollicite, à titre principal, le rejet pur et simple des demandes en paiement de la banque, en opposant à cette dernière un manquement à son devoir de mise en garde, et cela sans prétendre obtenir un autre avantage que le rejet de la demande en paiement.

Au soutien de ce moyen de défense au fond, l'appelant se borne à indiquer que lorsque le manquement de la banque à son devoir de mise en garde est caractérisé, l'emprunteur est bien fondé à opposer ce manquement par voie de défense au fond et à solliciter, par voie de conséquence, le débouté pur et simple des demandes en paiement de celle-ci.

S'il est possible d'invoquer un défaut de mise en garde de la banque pour faire rejeter sa demande en paiement, plutôt que pour former reconventionnellement une demande de dommages et intérêts, notamment pour échapper à la prescription de l'action en responsabilité du banquier tirée d'un manquement au devoir de mise en garde, il ne suffit cependant pas de déclarer s'opposer à la demande en paiement pour que le moyen de défense prospère ; encore faut-il développer des moyens propres à conduire au rejet de la demande en paiement.

En l'espèce, M. [I] n'explique pas en quoi le manquement de la banque à son devoir de mise en garde pourrait conduire au rejet de la demande en paiement de cette dernière.

Dès lors que l'appelant n'établit ni même n'allègue que les conditions de l'action en paiement de la banque ne se trouveraient pas réunies, la demande en paiement de celle-ci ne saurait être écartée dans son principe.

-sur le quantum de la créance

En se prévalant des dispositions des articles L. 311-6, L. 311-12, L. 311-19 et L. 311-48 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause, M. [I] soutien que la banque doit être déchue du droit aux intérêts contractuels, pour ne lui avoir pas fourni la fiche d'information prévue au paragraphe I de l'article L. 311-6, pour lui avoir remis une offre dépourvue du bordereau de rétractation prévu à l'article L. 311-12, et pour ne lui avoir pas non plus remis la notice d'assurance prévue à l'article L. 311-19.

Le titre premier du livre troisième du code de la consommation intitulé « crédit » est composé de cinq chapitres, notamment d'un premier chapitre, composé des articles L. 311-1 à L. 311-52, qui s'applique au crédit à la consommation, d'un deuxième chapitre, composé des articles L. 312-1 à L. 312-36, qui régit le crédit immobilier, et d'un troisième chapitre, composé des articles L. 313-1 à L. 313-17, contenant les dispositions communes aux chapitres 1 et 2.

Les articles dont se prévaut M. [I] qui, tous, se trouvent au chapitre propre au crédit à la consommation, sont inapplicables au crédit immobilier.

Dès lors que le prêt litigieux est un crédit immobilier, M. [I] ne peut utilement reprocher à la banque intimée de ne pas avoir appliqué des prescriptions du code de la consommation qui n'étaient pas applicables au contrat conclu entre les parties.

Rien ne justifie donc de déchoir la banque de son droit aux intérêts.

En cas de défaillance de l'emprunteur, il résulte des articles L. 312-22 et R. 312-3, devenus L. 313-51 et R. 313-28, du code de la consommation, que lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que les intérêts échus. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues portent intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l'application des articles 1152 et 1231 [anciens] du code civil et dépendant de la durée restant à courir du contrat, ne peut dépasser 7 % des sommes dues au titre du capital restant dû ainsi que des intérêts échus et non versés.

Cette indemnité de 7 % qui, contrairement à ce que soutient la banque intimée, constitue assurément une clause pénale, apparaît manifestement excessive au regard du préjudice effectivement subi par la banque.

Par application de l'alinéa 2 de l'article 1152, devenu 1231-5, du code civil, cette indemnité qui s'établit conventionnellement à 6 134,42 euros sera réduite, pour lui conserver son caractère comminatoire, à la somme de 1 500 euros.

En application des principes qui viennent d'être dégagés, la créance de la banque sera arrêtée, au vu du tableau d'amortissement et du dernier décompte arrêté au 26 juillet 2018, ainsi qu'il suit :

-mensualités impayées : 4 340,46 euros (dont 3 306,10 euros en capital)
-capital restant à la date de déchéance du terme : 84 328,50 euros
-intérêts échus au 26 juillet 2018 : 578,82 euros
-prime d'assurance échue : 1,49 euros
-indemnité de 7 % réduite : 1 500 euros
-règlement postérieurs à déduire : néant
Soit un solde de : 90 749,27 euros

Par infirmation du jugement entrepris, M. [I], qui ne justifie d'aucun paiement ni d'aucun fait libératoires au sens de l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, sera condamné à régler à la banque intimée la somme sus-mentionnée de 90 749,27euros, majorée des intérêts au taux conventionnel de 1,95 % l'an sur la somme de 87 634,60 euros à compter du 27 juillet 2018.

Selon l'article L. 312-23, devenu 313-52, du code de la consommation, aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux mentionnés à l'article L. 312-22, devenu L. 313-51 ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur défaillant, hormis les frais taxables dont il est justifié.

Cette règle fait obstacle à la capitalisation des intérêts prévue à l'article 1154 ancien du code civil, qui n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 312-22, devenu L. 313-51, du code de la consommation.

Par infirmation du jugement entrepris, la banque intimée sera donc déboutée de sa demande de capitalisation annuelle des intérêts.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts tirée d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde

Le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti, ou lorsqu'il a sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l'état du succès escompté de l'opération financée, des informations que lui-même ignorait.

En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, la responsabilité du banquier peut donc être engagée pour manquement à ce devoir à raison de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ou du risque d'endettement excessif né de l'octroi du prêt (Ch. mixte, 29 juin 2007, no 05-21.104).

L'obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur ou sur le risque de l'endettement qui résulte de son octroi, et non sur les risques ou l'opportunité de l'opération financée, et s'apprécie à la date de l'engagement.

Il s'ensuit que le prêteur n'est tenu d'aucun devoir de mise en garde si la charge de remboursement du prêt n'excède pas les facultés contributives de son client (v. par ex civ. 1, 19 novembre 2009, no 08-13.601), ou si ce dernier est un emprunteur averti (v. par ex civ. 1, 20 décembre 2012, no 11-26.970).

S'il appartient à l'établissement de crédit, conformément à l'article 1315, alinéa 2, du code civil, de prouver qu'il a rempli son devoir de mise en garde (v. par ex Com. 11 décembre 2007, no 03-20.747), encore faut-il que l'emprunteur établisse, au préalable, qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, sa situation financière justifiait l'accomplissement d'un tel devoir (v. par ex Com. 11 avril 2012, no 11-14.507 ; Civ. 1, 19 décembre 2013, no 12-20.606).

C'est en effet à l'emprunteur qui invoque le manquement de la banque à son obligation de mise en garde d'apporter la preuve de l'inadaptation de son engagement à ses capacités financières au jour de la souscription du crédit (v. par ex. com. 13 mai 2014, no 13-13.843 ; civ. 1, 4 juin 2014, no 13-10.975, 10 décembre 2014, no 13-26.176).

En l'espèce, le fait que M. [I] ait été le gérant d'une SARL qui exerçait une activité de travaux de couverture, ainsi que de la société civile immobilière qui était propriétaire du local dans lequel il exerçait son activité professionnelle, ne saurait suffire à lui conférer la qualité d'emprunteur averti, alors que rien n'indique que M. [I] était rompu au monde des affaires et disposait d'une expérience ou de qualifications propres à lui permettre de mesurer la portée de son engagement, quand bien même le prêt litigieux ne présentait pas de complexité particulière.

C'est donc vainement que la banque intimée fait valoir que M. [I] n'était pas un emprunteur profane et qu'elle n'était en conséquence tenue à son égard d'aucune obligation de mise en garde.

Le prêt litigieux est un prêt immobilier qui était destiné à financer des travaux de grosse réparation sur la résidence principale de l'emprunteur.

A fin d'obtenir ce prêt, M. [I] a renseigné une demande de prêt sur laquelle il a indiqué exercer une activité artisanale de menuisier charpentier, vivre en concubinage et avoir deux enfants à charge.

M. [I] a précisé être propriétaire de son logement acquis en 2015, et a évalué son patrimoine immobilier, exclusivement composé de ce bien, à 311 700 euros, en précisant n'avoir aucun encours de crédit immobilier.

M. [I] a encore indiqué disposer d'un patrimoine mobilier constitué d'une épargne bancaire détenue par le Crédit agricole, qu'il a évaluée à 1 830,06 euros, puis a précisé percevoir des revenus professionnels de 2 000 euros par mois, et n'avoir ni charge de loyer, ni crédit en cours.

M. [I], qui a signé le 11 mars 2016 cette demande de prêt en certifiant l'exactitude des renseignements y figurant, ne peut faire valoir aujourd'hui, sans au demeurant communiquer l'acte en cause, mais simplement un courrier y faisant référence, une reconnaissance de dette présentée comme ayant été déposée en juillet et septembre 2015 chez un notaire, et comme portant sur un prêt de plus de 143 000 euros consenti par sa compagne pour financer l'acquisition de sa résidence principale.

Pour démontrer que le prêt litigieux n'était pas adapté à ses capacités financières ou que son octroi faisait naître un risque d'endettement excessif, M. [I] ne peut se prévaloir utilement de ce que la société MJ couverture dont il était le gérant et dont il tirait l'intégralité de ses revenus a été placée en redressement judiciaire un peu moins d'un an après la souscription du crédit en cause, le 17 février 2017, puis en liquidation judiciaire le 22 septembre suivant, sans justifier ni même alléguer qu'à la date de l'octroi du prêt en cause, ladite société connaissait déjà des difficultés et que la banque, surtout, ne pouvait l'ignorer.

M. [I] ne communique pas son avis d'imposition 2017 sur les revenus 2016 et l'avis d'imposition 2016 qu'il communique montre que, en 2015, c'est-à-dire l'année qui a précédé l'octroi du prêt litigieux, l'appelant avait perçu un salaire mensuel net de 2 512,50 euros, assez nettement supérieur au revenu mensuel de 2 000 euros qu'il avait déclaré.

Si M. [I] fait valoir à raison que la banque ne s'est pas renseignée, lors de l'octroi du prêt litigieux, sur ses éventuels encours de caution, la prise en compte des cautionnements que l'emprunteur avait donnés en 2013 à la caisse de crédit agricole, à hauteur de la somme totale de 71 500 euros, ne suffit pas à établir que le prêt en cause était inadapté aux capacités financières de M. [I] ou que son octroi faisait naître un risque d'endettement excessif dès lors que, tel qu'il l'avait déclaré, le patrimoine net de M. [I], qui s'élevait à 242 030 euros en prenant en considération, non pas seulement l'encours de ses cautionnements en 2016, mais le montant maximum pour lequel ils avaient été donnés en 2013, reste très supérieur au montant du prêt litigieux, d'un montant de 95 509 euros.

Dès lors qu'il échoue à rapporter la preuve de ce que sa situation financière, au jour de la souscription du crédit litigieux, justifiait l'accomplissement, par la banque, d'un devoir de mise en garde, M. [I] ne peut qu'être débouté, par confirmation du jugement entrepris, de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Sur la demande de condamnation de la banque au paiement de l'amende prévue à l'article L. 311-49 [ancien] du code de la consommation

Outre qu'il ne revient pas à l'appelant de se substituer au ministère public, ni à la présente juridiction de prononcer une condamnation pénale, M. [I] ne peut de toute façon sérieusement demander à la cour de sanctionner la banque pour n'avoir pas respecté les formalités de l'article L. 311-6 du code de la consommation, en lui ayant remis une offre de prêt dépourvue de formulaire de rétractation détachage, alors que, on l'a dit, cette exigence concerne, non pas les crédits immobiliers, tel le prêt souscrit par l'appelant, mais seulement les crédits à la consommation.

Cette demande sera donc rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande de délai de grâce

La cour observe que le premier juge a omis de statuer sur la demande de délai de grâce de M. [I] et rappelle qu'en application des dispositions combinées des articles 463 et 561 du code de procédure civile, il lui appartient, en raison de l'effet dévolutif et dès lors que l'appel n'a pas été exclusivement formé pour réparer cette omission, de la réparer en statuant sur cette demande sur laquelle les parties se sont contradictoirement expliquées.

En application de l'article 1244-1, devenu 1343-5, du code civil, le juge peut, en considération de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

M. [I], qui a déjà bénéficié, de fait, de très larges délais de paiement, ne produit aucun justificatif actualisé de sa situation financière, et ne conteste pas avoir vendu, le 24 avril 2021, l'immeuble que le prêt litigieux lui avait permis d'améliorer, pour un prix de 390 000 euros dont la moitié lui est revenue.

Il n'y a pas lieu, dans ces circonstances, d'accorder à l'appelant de nouveaux délais.

Sur les demandes accessoires

M. [I], qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance et sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur ce dernier fondement, l'appelant sera condamné à régler à la banque intimée, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité de procédure 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME la décision entreprise, mais seulement en ce qu'elle a débouté M. [I] de sa demande de réduction de la clause pénale, condamné M. [I] à payer à la SA Banque CIC Ouest la somme de 95 383,69 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,95 % l'an à compter du 26 juillet 2018 et dit que les intérêts échus par année entière produiront eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 ancien du code civil,

STATUANT À NOUVEAU sur les seuls chefs infirmés :

REDUIT à 1 500 euros le montant de la clause pénale stipulée au contrat de prêt litigieux,

CONDAMNE M. [H] [I] à payer à la SA Banque CIC Ouest, pour solde du prêt litigieux souscrit le 1er avril 2016, la somme de de 90 749,27 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 1,95 % l'an sur la somme de 87 634,60 euros à compter du 27 juillet 2018,

DEBOUTE la SA Banque CIC Ouest de sa demande tendant à la capitalisation annuelle des intérêts,

CONFIRME la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées,

Y AJOUTANT,

REJETTE la demande de délai de grâce de M. [H] [I],

CONDAMNE M. [H] [I] à payer à la SA banque CIC Ouest la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de M. [I] formée sur le même fondement,

CONDAMNE M. [H] [I] aux dépens,

ACCORDE à Maître Florence Devouard, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 21/005111
Date de la décision : 08/12/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Blois, 07 janvier 2021


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2022-12-08;21.005111 ?
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