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17/11/2022 | FRANCE | N°22/000131

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 17 novembre 2022, 22/000131


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/11/2022
Me Alexis DEVAUCHELLE
la SCP SOREL et ASSOCIES
ARRÊT du : 17 NOVEMBRE 2022

No : 180 - 22
No RG 22/00013
No Portalis DBVN-V-B7G-GPZK

DÉCISION ENTREPRISE : Arrêt de la Cour de Cassation en date du 2 Juin 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
Monsieur [S] [W]
[Adresse 3]
[Localité 1] / France

Ayant pour avocat Maître Alexis DEVAUCHELLE, Avocat au barreau d'ORLÉANS

D'

UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
S.A. BANQUE CIC OUEST
Agissant poursuites et diligences de ses représenta...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 17/11/2022
Me Alexis DEVAUCHELLE
la SCP SOREL et ASSOCIES
ARRÊT du : 17 NOVEMBRE 2022

No : 180 - 22
No RG 22/00013
No Portalis DBVN-V-B7G-GPZK

DÉCISION ENTREPRISE : Arrêt de la Cour de Cassation en date du 2 Juin 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANT :- Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
Monsieur [S] [W]
[Adresse 3]
[Localité 1] / France

Ayant pour avocat Maître Alexis DEVAUCHELLE, Avocat au barreau d'ORLÉANS

D'UNE PART

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé No: -/-
S.A. BANQUE CIC OUEST
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Franck SILVESTRE, membre de la SCP SOREL et ASSOCIES, Avocat au barreau d'ORLEANS

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 4 Janvier 2022
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 7 Juillet 2022

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 15 SEPTEMBRE 2022, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en charge du rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 805 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Ferréole DELONS, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 17 NOVEMBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Par acte sous-seing privé en date du 7 novembre 2008, la banque CIC Ouest a consenti a l'EURL Châteauroux Or, ayant pour gérant M. [S] [W], un prêt d'un montant de 230.000 € au taux nominal de 5,35 % l'an, remboursable en 84 mensualités. Le même jour, par acte joint au prêt, M. [W] s'est porté caution personnelle et solidaire des engagements de la société Châteauroux Or, dans la limite de 138.000 €.

Par jugement du 5 décembre 2012, la société Châteauroux Or a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 21 aout 2013.

Après vaines mises en demeure et suite à une requête en injonction de payer présentée devant le président du tribunal de commerce de Châteauroux, M. [W] a été condamné par ordonnance du 29 janvier 2014 à payer à la société CIC Ouest, la somme de 61 858,74 € majorée des intérêts. Il a formé opposition à cette ordonnance.

Par jugement du 6 juin 2016, le tribunal de commerce de Châteauroux a :
- Reçu l'opposition à l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014, l'a dite mal fondée, en a debouté le demandeur,
- Dit et jugé l'acte de cautionnement régulier,
- Dit et jugé l'acte de cautionnement non manifestement disproportionné,
- Dit et jugé que Mme [W] a consenti à l'acte de cautionnement de son mari,
- Confirmé en tous points l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014 et par conséquent,
- Condamné M. [W] à payer au CIC la somme de 61.858,74 €, somme majorée des intérêts au taux contractuel de 5,35 % à compter du 5 septembre 2013, date de la mise en demeure, jusqu'à parfait paiement,
- Dit et jugé que l'exécution pourra s'exercer sur les biens communs avec son épouse,
- Condamné M. [W] à verser au CIC la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, taxés et liquidés concernant les frais de greffe à la somme de 70,20 €.

Le tribunal a relevé que sur l'acte détenu par le CIC, les mentions manuscrites sont complètes et ne présentent aucune rature, correction ou irrégularité, qu'en revanche, le mot caution est absent sur l'exemplaire de M. [W] mais qu'il s'agit manifestement d'une erreur matérielle ; qu'en outre, Mme [W] a paraphé chaque page du contrat de prêt détenu par le CIC et signé la mention manuscrite requise, de sorte que son consentement concernant l'engagement de caution ne peut être remis en question. Il a en outre relevé qu'au vu des éléments contenus dans la fiche de renseignement signé de M [W], son engagement de caution n'était pas manifestement disproportionné à ses revenus et biens et que le CIC produisait les copies des lettres d'information annuelles.

M. [W] a interjeté appel de cette décision le 18 juillet 2016.

Par arrêt du 1er juin 2017, la cour d'appel de Bourges a confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et a condamné M. [W] aux dépens et à verser à la société CIC Ouest la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. [W] a formé un pourvoi devant la Cour de Cassation contre l'arrêt rendu.

Par arrêt du 3 avril 2019, la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges.

Après avoir cité l'article L341-2 du Code de la consommation applicable à la cause et relevé que selon l'arrêt de la cour d'appel, M. [W] avait rédigé la mention manuscrite prévue par ce texte en omettant le mot "caution" mais que le surplus de cette mention était conforme aux exigences de cet article et qu'il avait en outre renoncé au bénéfice de discussion, de sorte que cette omission procédait d'une erreur de plume purement matérielle n'ayant pu empêcher M. [W] de prendre conscience de la nature et de la teneur de son engagement, la Cour de cassation a retenu qu'en statuant ainsi, alors que l'omission du mot "caution" dans la mention manuscrite légale affecte le sens et la portée de celle-ci et justifie, dès lors, l'annulation de l'acte de cautionnement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

M. [W] a saisi la cour d'appel de Limoges le 8 avril 2019.

Par arrêt du 5 novembre 2019, la cour d'appel de Limoges a :
Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise a disposition au greffe, après en avoir delibéré conformément à la loi ;
Statuant dans les limites de la saisine découlant de l'arrêt de renvoi ;
- Infirmé le jugement rendu le 8 juin 2016 par le tribunal de commerce de Châteauroux ;
Statuant a nouveau et y ajoutant ;
- Déclaré recevable l'opposition formée par la banque CIC Ouest à l'encontre de l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014 ;
- Mis à néant l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29janvier 2014 ;
- Prononcé la nullité de 1'acte de cautionnement du 8 novembre 2008 dont se prévaut la banque CIC Ouest à l'encontre de M. [W] ;
- Débouté la baque CIC Ouest de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné la banque CIC Ouest à payer à M. [W] la somme de 4.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la banque CIC Ouest aux dépens de première instance, d'appel et accordé, pour les dépens d'appel devant la cour de renvoi, à Maître Chabaud le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Banque CIC a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 2 juin 2021, la Cour de Cassation a cassé, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition formée par la société Banque CIC Ouest contre l'ordonnance portant injonction de payer du 29 janvier 2014, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019 par la cour d'appel de Limoges et remis, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Orléans.

La Cour de Cassation a déclaré le moyen recevable, notamment en relevant que lors du premier pourvoi, elle n'avait pas été saisie de l'existence de deux exemplaires originaux de l'acte de cautionnement. Sur le fond, au visa de l'article L.341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, elle a considéré qu'en retenant que l'omission du mot "caution" dans l'acte produit par M. [W] affectait le sens et la portée de la mention manuscrite, peu important que la banque détienne un autre exemplaire de l'acte qui comporte cette fois, l'intégralité de la mention légale, alors que le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis, et que M. [W] ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier, la cour a violé le texte susvisé.

M. [S] [W] a saisi la cour d'appel d'Orléans par déclaration du 4 janvier 2022, à l'encontre de la Banque CIC ouest et demande à la cour d'appel d'Orléans par dernières conclusions du 8 février 2022, de :
Vu l'arrêt rendu par la Cour de Cassation (pourvoi no20-10690), le 2 juin 2021,
Vu l'arrêt no291 rendu par la cour d'appel de Limoges le 5 novembre 2019,
Vu l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 3 avril 2019 (pourvoi no17-22501),
Vu l'arrêt no417 rendu le 1er juin 2017 par la chambre civile de la cour d'appel de Bourges,
Vu le jugement rendu le 8 juin 2016 par le tribunal de commerce de Châteauroux,
- Infirmer et réformer intégralement le jugement du tribunal de commerce de Châteauroux en date du 8 juin 2016 notamment en ce qu'il a :
? Reçu l'opposition à l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014, la dit mal fondée, en a débouté le concluant,
? Dit et jugé l'acte de cautionnement régulier,
? Dit et jugé l'acte de cautionnement non manifestement disproportionné,
? Dit et jugé que Mme [W] a consenti à l'acte de cautionnement de son mari,
? Confirmé en tous points l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014 et par conséquent,
? Condamné M. [W] [S] à payer au CIC la somme de 61.858,74 €, somme majorée des intérêts au taux contractuel de 5,35% à compter du 5 septembre 2013, date de la mise en demeure, jusqu'à parfait paiement,
? Dit et jugé que l'exécution pourra s'exercer sur les biens communs avec son épouse,
? Condamné M. [W] [S] à verser au CIC la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
Statuant à nouveau :
- Débouter intégralement la Société CIC Ouest de l'ensemble de ses demandes et les déclarer mal fondées,
- Déclarer nul et de nul effet le cautionnement de M. [S] [W], et mettre à néant subséquemment l'ordonnance portant injonction de payer en date du 29 janvier 2014,
Subsidiairement,
- Juger que le créancier ne pourra poursuive que les biens propres du débiteur,
- Juger la garantie donnée disproportionnée et que la banque ne peut s'en prévaloir,
Subsidiairement encore,
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts en l'absence d'information donnée à la caution,
En toutes hypothèses :
- Condamner la société CIC Ouest à payer à M. [S] [W] une indemnité de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la même aux entiers dépens de l'ensemble de la procédure,
- Juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2021 devront être supportées par le CIC, en plus de l'indemnité mise à sa charge, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir que la mention manuscrite exigée par l'article L341-2 du Code de la consommation est incomplète sur l'exemplaire original qu'il produit, qui doit seul être pris en considération. Il en déduit que faute de comporter cette mention déterminante, la mention manuscrite de la caution ne lui a pas permis de prendre la pleine mesure ni de la nature, ni de la teneur de son engagement, et est donc vidée de toute portée. Il estime qu'il appartenait au prêteur de relire attentivement l'acte qu'il faisait dresser afin de vérifier que l'ensemble des termes utiles avait bien été retranscrit. Il considère que la Cour de Cassation dans son arrêt du 2 juin 2021 a pris en compte l'acte de cautionnement produit par la banque, du fait d'une manoeuvre astucieuse provoquée par cette dernière, mais que le document produit par la banque, non conforme à l'original produit par ses soins, est dénué de valeur probante, n'étant même pas daté.

A titre subsidiaire, il ajoute que Mme [W], son épouse, faute d'avoir été valablement appelée à la cause devant le tribunal de commerce, ne pouvait être condamnée. Il rappelle qu'en application de l'article 1415 du code civil, le créancier ne peut poursuivre les biens communs hors le consentement exprès donné par l'époux, qu'en tout état de cause, le cautionnement de son épouse est nul pour irrespect des dispositions de l'article L.341-2 du code de la consommation.

Il indique ensuite que ses revenus mentionnés dans l'acte d'engagement n'étant que des extrapolations de revenus potentiels et futurs à hauteur de 18.000 € annuels, et son patrimoine n'étant constitué que d'un immeuble valorisé à 240.000 € sur lequel deux emprunts couraient avec des mensualités de 675,46 € + 58,37 €, et qui appartenait, de surcroît, pour moitié à son épouse, c'est à tort que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi que son engagement de caution était disproportionné lors de son engagement.

La Banque CIC Ouest, par dernières conclusions du 2 mars 2022, demande à la cour, au visa de l'article L.341-2 du Code de la consommation, de l'arrêt de la Cour de Cassation du 2 juin 2021 et de l'acte de cautionnement qu'elle produit, de :
- Rejeter l'appel formé par M. [W] et le dire non fondé et l'en débouter,
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- Condamner M. [W] au paiement d'une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que M. [W] ne peut sérieusement conclure que seul le document qu'il produit doit être pris en considération, que l'exemplaire produit par la banque est conforme aux dispositions légales, et que dès lors que l'acte de cautionnement peut se prouver par la production d'un seul exemplaire, il importe peu que le mot caution soit absent de la mention manuscrite de l'acte produit par M. [W], et que la durée de l'engagement figurant sur chacun des actes soit différente, les deux actes étant par ailleurs datés du 7 novembre 2008.

Elle ajoute que M. [W] étant marié sous le régime de la communauté, le consentement express donné par son épouse, Mme [W], permet au créancier de poursuivre les biens communs peu important que son consentement express au cautionnement ne respecte pas les dispositions de l'article L.341-2 du Code de la consommation qui ne sont applicables qu'à l'acte de cautionnement lui-même et Mme [W] n'ayant pas été recherchée en qualité de caution.

Elle soutient que les établissements bancaires ne sont pas tenus de vérifier les capacités financières de la caution lors de son engagement, qu'au contraire, c'est à la caution de supporter la charge de la disproportion qu'elle invoque. Elle estime qu'en l'espèce, M. [W] ne démontre pas l'existence d'une disproportion manifeste entre le montant de son engagement de caution et ses revenus au jour où l'engagement a été pris, qu'en outre, s'agissant du cautionnement d'un époux marié sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, la proportionnalité de l'engagement de la caution doit être appréciée tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son époux.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 7 juillet 2022.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité du cautionnement

Au terme de l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la
cause, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :
« Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. »

Ces dispositions n'exigent pas que le cautionnement soit établi en plusieurs exemplaires.

Il est constant qu'en l'espèce, le cautionnement a été établi le même jour que le prêt souscrit par la débitrice principale et à la suite de ce prêt qui a été établi en deux exemplaires et que par suite, les parties produisent chacune en copie un exemplaire du prêt comportant, joint au prêt, l'acte de cautionnement avec la mention manuscrite remplie par M. [W].

Il ressort de l'examen de ces deux exemplaires que sur l'exemplaire produit par M. [W], il manque, dans la formule manuscrite copiée et signée par ce dernier, le mot "caution" au début de la première phrase de la mention manuscrite, puisqu'il est écrit :
"En me portant de l'EURL Chateauroux Or, dans la limite de 138.000€ (cent trente huit mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 104 mois + un mois de franchise, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si l'EURL Châteauroux Or n'y satisfait pas elle-même.",
alors que sur l'exemplaire produit par le CIC, la mention manuscrite dont M. [W] ne conteste pas qu'elle est bien de sa main, est totalement identique à la formule exigée par l'article L341-2 du Code de la consommation précité puisqu'il est écrit :
"En me portant caution de l'EURL Chateauroux Or, dans la limite de 138.000€ (cent trente huit mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 104 mois + un mois de franchise, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si l'EURL Châteauroux Or n'y satisfait pas elle-même."

Contrairement à ce que soutient M. [W], la présence ou l'omission du mot "caution" est la seule différence entre les deux exemplaires, qui comportent notamment la même précision de date ("le 7.11.2008") en page 7.

M. [W] prétend que l'exemplaire qu'il produit doit seul être pris en considération et que faute de comporter cette mention déterminante qu'est le mot "caution", la mention manuscrite de la caution ne lui a pas permis de prendre la pleine mesure ni de la nature, ni de la teneur de son engagement, et est donc vidée de toute portée.

Néanmoins, le cautionnement étant un contrat unilatéral, ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 2 juin 2021, un seul original était requis.

Or, M. [W] ne conteste pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier. Par suite, les dispositions prévues par l'article L341-2 du Code de la consommation précité ont été respectées et la nullité ne peut être encourue de ce chef. M. [W] ne démontre pas, dans ces circonstances, en quoi il n'aurait pas pu prendre la pleine mesure de la ntaure et de la teneur de son engagement alors qu'il a parfaitement copié la mention manuscrite exigée sur l'original détenu par la banque.

Le jugement du tribunal de commerce de Châteauroux en date du 8 juin 2016 sera donc confirmé en ce qu'il a dit et jugé l'acte de cautionnement régulier. La demande de nullité du cautionnement et de l'ordonnance d'injonction de payer doit être rejetée.

Sur les chefs du jugement concernant le consentement de Mme [W] et l'exécution du jugement

L'article 1415 du code civil dispose :
« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ».

Le cautionnement souscrit par M. [W] comporte expressément en page 8 le consentement donné an nom de Mme [W] [V], ainsi libellé : "bon pour accord au présent cautionnement".

Pour autant, Mme [W] n'est pas à la cause et elle peut juridiquement contester la réalité de la mention, voire sa signature ou encore la validité du consentement ainsi donné. Il ne peut donc en son absence être jugé qu'elle a consenti à l'acte de cautionnement, ni, pour la même raison, que l'exécution pourra s'exercer sur les biens communs. Le jugement sera infirmé sur ces chefs.

Pour autant, il n'y a pas non plus lieu de dire que le créancier ne pourra poursuivre que les biens propres du débiteur, compte tenu de l'acte de cautionnement versé aux débats qui, sauf contestation ultérieure de Mme [W] notamment lors d'un acte d'exécution portant sur les biens communs, porte mention de son accord au cautionnement. Cette demande formée par M. [W] sera rejetée.

Sur la disproportion du cautionnement

L'article L341-4 devenu l'article L332-1 du Code de la Consommation dispose : "Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation."
Au sens de ces dispositions, la disproportion s'apprécie, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, au regard du montant de l'engagement ainsi souscrit et des biens et revenus de la caution, en prenant en considération son endettement global dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance, y compris l'endettement résultant d'autres engagements de caution.

La charge de la preuve du caractère disproportionné du cautionnement au moment de sa souscription pèse sur la caution. Le créancier professionnel n'est donc pas tenu, par les dispositions susvisées, de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, mais s'il le fait, il est en droit de se fier aux informations communiquées par la caution, sauf anomalies apparentes.

Le prêteur peut en outre démontrer que le patrimoine de la caution lui permettait au moment où elle est appelée en paiement, de faire face à son obligation.

En l'espèce, la banque verse aux débats une fiche de "renseignements complémentaires concernant la caution", que M. [W] ne conteste pas avoir renseignée et signée, sa signature étant en outre précédée de la mention "certifie sur l'honneur l'exactitude des renseignements donnés et ne pas avoir d'autres engagements que ceux-ci".

M. [W] a indiqué sur cette fiche qu'il était marié sous le régime matrimoial de communauté.

Par suite, doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens comuns, incluant les revenus de son épouse (cf pour exemple Com 15 novembre 2017 pourvoi no 16-10504).

Il a mentionné sur cette fiche en face de la mention "salaire net annuel" : 18.000€.

Il ne peut se prévaloir à bon droit dans ses écritures de ce que ce revenu de 18.000€ aurait été tiré de la seule profession objet du prêt garanti, qu'en réalité il avait pour tout revenu en novembre 2008, un reliquat d'allocation servi par Pôle emploi, et qu'il a perçu en 2009 un revenu brut total de 6971€. En effet, dès lors qu'il a certifié sur la fiche de renseignemets susvisée, percevoir un salaire net annuel de 18.000€, et qu'il ne fait valoir aucune anomalie résultant de cette mention, la banque étant fondée à prendre en considération les éléments donnés par M. [W] lui-même.

Il a aussi indiqué sur cette fiche dans la colonne "patrimoine immobilier" : résidence principale, d'une valeur vénale de 240.000€, acquise en novembre 2005. Il a précisé avoir souscrit un emprunt immobilier auprès du Crédit immobilier, remboursé à hauteur de 675€ par mois, avec un "montant d'engagement de 115.000€".

La fiche de renseignement étant fournie trois ans après la date d'acquisition de la maison, et les renseignements donnés sur ce point ne recélant aucune anomalie particulière, le CIC était fondé, au vu de cette fiche, à considérer que le capital restant dû afférent au prêt immobilier grevant l'immeuble était inférieur au "montant de l'engagement" souscrit et que la valeur nette du patrimoine immobilier était donc nécessairement supérieure à 125.000€ (240.000-115.000).

La cour ne peut donc tenir compte des deux prêts immobiliers que M. [W] justifie avoir souscrits et pour lesquels le capital restant dû en novembre 2008 étaient de 113.681,03€ et 16.769,35€ (soit 130.450,38€), avec des mensualités d'un total sur les deux prêts de 733,83€. Il lui appartenait en effet de mentionner les éléments relatifs à ces deux prêts sur la fiche de renseignement fournie par la banque.

Par suite, et en tenant d'une valeur nette de patrimoine supérieure à 125.000€ et du revenu annuel déclaré à hauteur de 18.000€, il convient de retenir que M. [W] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que le cautionnement souscrit le 7 novembre 2008 à hauteur de 138.000€ était à cette date manifestement disproportionné à ses revenus et biens.

Sur l'information annuelle de la caution

Par ailleurs, l'article L 313-22 du code monétaire et financier dispose :
"Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette".

En application de ces dispositions, il incombe à l'établissement de crédit de démontrer par tous moyens qu'il a effectivement adressé à la caution l'information requise. En revanche, il n'a pas à établir que celle-ci l'a effectivement reçue et l'envoi de l'information par lettre recommandée avec avis de réception n'est aucunement pas exigé.

C'est donc à tort que M. [W] sollicite la déchéance du droit aux intérêts "en l'absence de justification de réception de cette information".

La banque produit la copie de 4 courriers adressés à M. [W] les 17 février 2010, 16 février 2011, 16 février 2012 et 18 février 2013, dont il n'est pas contesté que les informations correspondent aux mentions exigées par l'article L313-22 du Code monétaire et financier susvisé. M. [W] ne caractérise pas en quoi, l'information ne serait pas donnée pour ces quatre années.

En revanche, il ne ressort d'aucune pièce que l'information a été donnée postérieurement au 18 février 2013, alors que l'exigence d'information persiste jusqu'à extinction de l'obligation garantie par le cautionnement.

La banque CIC est donc déchue du droit aux intérêts au taux contractuel depuis la précédente information donnée le 18 février 2013, soit à compter du 19 février 2013.

Au vu du décompte de créance du 5 septembre 2013, le capital restant dû arrêté au 7 janvier 2013 est de 55.974,03€.

La banque a donc droit aux intérêts au taux contractuel sur cette somme jusqu'au 18 février 2013. Elle peut ensuite prétendre aux intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2013 date de la présentation de la mise en demeure.

Sur les autres demandes

La banque CIC obtient gain de cause en sa demande, sur le principe et pour partie sur le quantum. Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles et il convient de condamner M. [W] aux entiers dépens d'appel et au versement à l'intimée d'une somme de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. M. [W] sera débouté de sa propre demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
* dit et jugé que Mme [W] a consenti à l'acte de cautionnement de son mari,
* condamné M. [W] à payer au CIC la somme de 61.858,74 €, somme majorée des intérêts au taux contractuel de 5,35 % à compter du 5 septembre 2013, date de la mise en demeure, jusqu'à parfait paiement,
* dit et jugé que l'exécution pourra s'exercer sur les biens communs avec son épouse,

Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés,

- Rejette les demandes tendant à dire et juger que Mme [W] a consenti à l'acte de cautionnement de son mari et que l'exécution pourra s'exercer sur les biens communs avec son épouse ;

- Dit que la banque CIC Ouest est déchue du droit aux intérêts contractuels à compter du 19 février 2013 ;

- Condamne M. [S] [W] à payer à la banque CIC Ouest la somme de 55.974,03€ avec intérêts sur cette somme au taux contractuel jusqu'au 18 février 2013 puis au taux légal à compter du 7 septembre 2013 ;

- Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions critiquées ;

Y ajoutant,

- Rejette la demande subsidiaire formée par M. [S] [W] tendant à juger que le créancier ne pourra poursuivre que les biens propres du débiteur ;

- Condamne M. [S] [W] à verser à la banque CIC Ouest une indemnité de 2500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne M. [S] [W] aux dépens exposés devant la cour.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 22/000131
Date de la décision : 17/11/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2022-11-17;22.000131 ?
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