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13/01/2022 | FRANCE | N°20/011751

France | France, Cour d'appel d'Orléans, C1, 13 janvier 2022, 20/011751


COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 13/01/2022
la SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES
la SCP SCPA FRANCOIS TARDIVON
ARRÊT du : 13 JANVIER 2022

No : 3 - 22
No RG 20/01175
No Portalis DBVN-V-B7E-GFEQ

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ à compétence commerciale d'Orléans en date du 08 Avril 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265255754389328
Madame [E] [N] épouse [L]
née le [Date naissance 3] 1968
[Adresse 4]
[Localité 8]<

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Ayant pour avocat Me Gaëtane MOULET, membre de la SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

I...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 13/01/2022
la SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES
la SCP SCPA FRANCOIS TARDIVON
ARRÊT du : 13 JANVIER 2022

No : 3 - 22
No RG 20/01175
No Portalis DBVN-V-B7E-GFEQ

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du TJ à compétence commerciale d'Orléans en date du 08 Avril 2020

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265255754389328
Madame [E] [N] épouse [L]
née le [Date naissance 3] 1968
[Adresse 4]
[Localité 8]

Ayant pour avocat Me Gaëtane MOULET, membre de la SELARL ACTE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265253593013891
Madame [B] [N]
née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 6] (45) ([Localité 6])
[Adresse 5]
[Localité 7]

Ayant pour avocat postulant Me François TARDIVON, membre de la SCPA FRANCOIS TARDIVON, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Frédéric LECLERC, membre de la SELAS RAYNAUD FALANDRY CODOGNES BOTTIN, avocat au barreau des Pyrénées-Orientales

S.C.I. MARIE [N]
Prise en la personne de son représentant légal actuellement en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]

Ayant pour avocat postulant Me François TARDIVON, membre de la SCPA FRANCOIS TARDIVON, avocat au barreau d'ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Frédéric LECLERC, membre de la SELAS RAYNAUD FALANDRY CODOGNES BOTTIN, avocat au barreau des Pyrénées-Orientales

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 29 Juin 2020
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 23 Septembre 2021

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 04 NOVEMBRE 2021, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en charge du rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Ferréole DELONS, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 13 JANVIER 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

A l'initiative de M. [T] [N], artisan et de son épouse Mme [W] [N], leurs filles, Mme [B] [N] et Mme [E] [N] épouse [L] (Mme [E] [L]) ont constitué entre elles une société civile immobilière dénommée SCI Marie [N] immatriculée le 17 mars 1995 avec un début d'activité au 12 juillet 1994, ayant son siège social [Adresse 1] (45) et pour objet l'acquisition et la gestion de tous immeubles situés en France. Mme [B] [N] a été désignée en qualité de gérante.

Selon les statuts, le capital social de la société a été fixé à 1.306.000 francs, et divisé en 1306 parts de 1000 francs chacune, détenues par moitié par chacune des deux associées. Les apports à la société sont fixés à hauteur de 653.000 francs pour chacune des associés, et libérés à hauteur de 6000 francs (3000 francs par associée) le jour même, le solde de 1.300.000 francs étant libéré par les associés au fur et à mesure des appels de la gérance par lettre recommandée avec accusé de réception et toute somme non libérée dans le mois de l'appel étant productive d'intérêts au taux légal.

La SCI Marie [N] a acquis durant l'année 1994 deux maisons d'habitation, l'une située [Adresse 1] et l'autre [Adresse 10] (66), leur achat étant financé par deux prêts souscrits auprès de la Caisse Fédérale de crédit mutuel du centre.

Faisant valoir que par courrier du 22 juin 2010, Mme [N] mère a indiqué à ses filles qu'à la suite de problèmes de santé, elle et son époux souhaitaient avec leur accord redevenir les propriétaires légaux de la maison de [Localité 9], en rachetant les parts sociales de la SCI pour la valeur représentative de la somme totale versée par eux à la société depuis sa création en 1994, que par courrier du 29 juin 2010, [B] [N] a donné son accord mais qu'en revanche, [E] [L] a répondu qu'elle ne souhaitait pas céder ses parts sociales à titre gratuit mais ne s'opposait pas à leur vente à leur valeur nominale soit 99.549,21€, la SCI Marie [N], représentée par sa gérante Mme [B] [N], a fait assigner par acte d'huissier du 15 décembre 2017 Mme [E] [L] devant le Tribunal de Grande Instance d'Orléans afin de voir, sous le visa des articles 1134 ancien et 1843-3 du Code civil :
Dire que Mme [E] [L], associée de la SC1 Marie, [N], n'a pas à ce jour libéré à hauteur de 99.091,86 € son apport en numéraire de 99.549,20 € à la SCI Marie [N], en dépit de l'appel de fonds qui lui a été adressé le 12 avril 2017 par la gérante de la SCI Marie [N];
Dire que Mme [E] [L] est en conséquence débitrice à l'égard de la SC1 Marie [N] de la somme de 99.091,86 €, outre intérêts légaux à compter du 12 avril 2017;
Condamner en conséquence Mme [E] [L] à porter et payer à la SCI Marie [N] la somme de 99.091,86 €, outre intérêts légaux à compter du 12 avril 2017 ;
Condamner [E] [N] au paiement de la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [B] [N], est intervenue volontairement par conclusions du 13 juin 2019.

Mme [E] [N] a saisi le juge de la mise en état afin d'obtenir la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée. Indiquant avoir parallèlement fait assigner à jour fixe la SCI Marie [N] devant le tribunal de grande instance d'Orléans aux fins d'ordonner sa dissolution, de désigner un liquidateur et d'opérer le partage entre associés de l'actif net après paiement des dettes de la société et remboursement du capital social, elle a en outre demandé au juge de la mise en état de joindre les procédures.

Par ordonnance du 7 mars 2018, le juge de la mise en état a rejeté la demande de jonction, la procédure à jour fixe échappant à la compétence du juge de la mise en état, ainsi que la demande de nullité de l'assignation.

Par jugement du 19 avril 2018 intervenu dans le cadre de la procédure à jour fixe, le tribunal a rejeté la demande de jonction et la demande de dissolution de la SCI Marie [N].

Mme [E] [N] a interjeté appel de ce jugement et saisi le juge de la mise en état aux fins de sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour à intervenir de la cour d'appel d'Orléans dans le cadre de la procédure à jour fixe. Par ordonnance du 28 novembre 2018, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer.

Par jugement du 8 avril 2020, le Tribunal judiciaire d'Orléans, au visa de l'article 1843-3 du Code civil,
Dit la SCI Marie [N] recevable en son action ;
Déboute Mme [E] [N] épouse [L] de sa demande en nullité de la SCI Marie [N] ;
Condamne Mme [E] [N] épouse [L] à payer à la SCI Marie [N] la somme de 99 091,86 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2017;
Condamne Mme [E] [N] épouse [L] à payer à la SCI Marie [N] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [E] [N] épouse [L] aux dépens de la présente instance
Prononce l'exécution provisoire de la présente décision.

Sur les exceptions d'irrecevabilité des demandes, le tribunal a retenu, d'une part que la SCI Marie [N] avait bien intérêt à agir pour obtenir le règlement des apports non libérés, s'agissant d'une créance sociale, d'autre part, que l'assignation avait été délivrée dans le délai de cinq ans à compter de la demande de libération de l'apport de [E] [L] formée par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 avril 2017 par la gérante de la SCI.

Il a aussi considéré sur la demande de fictivité et par suite de nullité de la SCI, que l'objectif recherché lors de la constitution de cette société, à savoir faire échapper le patrimoine immobilier familial au droit de poursuite des créanciers du père des associées, ce qui n'est pas illicite, ne caractérise pas sa fictivité.

Il a enfin retenu que si les échéances du prêt souscrit par la SCI Marie [N] pour financer le bien immobilier acquis par elle ont été prélevées sur le compte bancaire de [E] [N], il ressort des pièces versées aux débats que c'est au moyen de deniers de Mme [W] [N], sa mère. Il en a déduit qu'aucune compensation n'était possible entre le règlement de ce prêt et le montant de l'apport auquel [E] s'était engagée de sorte qu'elle devait être condamnée à libérer cet apport.

Par déclaration en date du 29 juin 2020, Mme [E] [N] épouse [L] a relevé appel total du jugement, en intimant la SCI Marie [N] et Mme [B] [N]. Dans ses dernières conclusions du 4 mars 2021, elle demande à la cour de :
Vu l'article 1843-3 alinéa 5 du code civil,
Vu les articles 6 à 9 et 12 du Code de Procédure civile et 1353 du Code civil,
Dire Mme [E] [N] épouse [L] recevable et bien fondée en son appel.
Débouter la SCI Marie [N] et Mme [B] [N] de leurs demandes, fins et conclusions.
En conséquence,
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement no17/02740 rendu entre les parties par le Tribunal judiciaire d'Orléans le 8 avril 2020.
Statuant à nouveau,
Dire l'action de la SCI Marie [N] contre Mme [E] [N] épouse [L] prescrite.
En conséquence,
La déclarer irrecevable en ses demandes.
A titre plus subsidiaire,
Vu l'article 1832 du Code civil,
Constater la fictivité de la SCI Marie [N] constituée pour faire échapper le patrimoine des parents des associées au droit de poursuite des créanciers de leur père.
Dire en conséquence Mme [E] [N] épouse [L] recevable et bien fondée
en son exception de nullité.
Prononcer en conséquence la nullité de la SCI Marie [N] et ordonner la dissolution de ladite SCI qui procèdera à la désignation d'un liquidateur.
En toutes hypothèses,
Constater que Mme [E] [N] épouse [L] a valablement libéré l'apport par compensation.
A tout le moins, dire que la SCI Marie [N] ne démontre pas, en droit comme en fait, que les conditions de l'article 1843-3 du code civil sont réunies.
Débouter en conséquence la SCI Marie [N] de ses demandes formées contre Mme [E] [N] épouse [L].
Condamner la S.C.I Marie [N] et Mme [B] [N] in solidum à verser à Mme [E] [L] la somme de 8.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la S.C.I Marie [N] aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par la SELARL Acte avocats associés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle réitère sa demande d'irrecevabilité des demandes formées par la SCI Marie [N] aux motifs :
- que la SCI ne justifie pas de sa qualité à agir, car selon la jurisprudence, l'action fondée sur l'alinéa 5 de l'article 1843 3 du code civil n'est pas une action sociale mais une action propre à tout intéressé, que la demande de libération d'un apport par un associé d'une SCI relève de l'article 1843-3 alinéa 5 du Code civil et que la société elle-même n'est donc pas recevable à l'exercer,
- que l'action engagée le 15 décembre 2017 par la SCI Marie [N] est prescrite car les biens acquis sont entièrement financés depuis 2009 et les deux associées ont abondé le compte de la SCI pour règlement des mensualités d'emprunt, elle-même à hauteur de 3.000 Francs puis de 457,35 euros du 18 avril 1995 au 27 avril 2009 pour une somme totale de 76.821,33 euros, de sorte que c'est dès la première échéance d'emprunts que les deux associées ont libéré leur apport, et que l'action en libération des fonds qui a eu lieu par compensation, aurait dû être engagée dans les 5 ans de chacune des échéances soit avant le 18 juin 2013 ; qu'en application des dispositions des articles 2224 et 2233 du code civil, à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance ; que le tribunal a lui-même constaté que [E] avait versé les échéances du prêt même s'il a retenu à tort que c'était à l'aide de deniers de sa mère et que celle-ci n'a jamais sollicité la répétition par sa fille de ces prétendus remboursements.

Subsdiairement, elle maintient que la SCI n'a été constituée que dans l'unique but de permettre à leurs père et mère d'échapper aux créanciers du premier, de sorte qu'outre qu'il s'agit d'une infraction pénale, cette intention est exclusive de l'affectio societatis et la SCI est nulle car fictive. Elle indique que d'ailleurs, il n'y a eu aucune comptabilité, ni aucune tenue d'assemblée générale en plus de 20 ans. La nullité produisant les mêmes effets qu'une dissolution, elle en déduit que la SCI doit être dissoute, qu'un liquidateur doit être désigné et que la demande formée par la SCI à son encontre doit être déclarée irrecevable et, à tout le moins, mal fondée.

Elle soutient par ailleurs que la SCI ne justifie pas suffisamment de l'absence de libération par elle de son apport, qu'elle établit par ses relevés bancaires et chèques avoir transféré des fonds au profit de la SCI Marie [N], règlements qui emportent création d'un compte-courant d'associé créditeur à hauteur d'autant des sommes versées, ce compte-courant étant resté créditeur puisqu'aucune somme n'a été portée au débit du compte bancaire de ladite SCI vers le compte de son associée [E] [N]. Elle ajoute que la question des sommes réglées par Mme [W] [N] à sa fille [E] [L] n'intéresse pas la comptabilité de la SCI Marie [N]. Elle en déduit que le tribunal, qui n'a pu examiner les relevés bancaires de la SCI Marie [N] puisqu'ils n'ont jamais été produits, s'est trompé en retenant que si l'appelante a bien versé des sommes au profit de la SCI litigieuse, elle ne peut être considérée avoir ainsi exécuté son apport au motif que sa mère l'en a remboursée, alors que leur mère et la SCI ne sont pas la même personne et que seule la seconde est juridiquement créancière de l'apport.

Elle indique aussi que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que Mme [B] [N] n'a jamais justifié de la libération de son propre apport.

La SCI Marie [N] et Mme [B] [N] demandent à la cour, par dernières conclusions du 21 septembre 2021 , au visa des articles 1134 (1103) et 1843-3 du Code civil, de :
Les recevoir en leurs écritures,
Dire et juger ces écritures bien fondées en fait et en droit et confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Débouter Mme [L] de toutes ses demandes fins et conclusions
La condamner au paiement de la somme de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur l'irrecevabilité, elles indiquent d'une part que la SCI n'agit pas sur le fondement de l'article 1843-3 alinéa 5 du Code civil puisque l'appel de fond a été effectué par la SCI représentée par sa gérante et que la SCI a bien un intérêt à agir en vertu de l'article 1943-3 alinéa 1 du Code civil; d'autre part que l'action n'est pas prescrite, car la gérante de la SCI était toujours en droit de procéder à un appel de fonds en 2017, en l'absence de délai légal ou statutaire sur ce point.

Sur le fond elles indiquent que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, c'est à l'associé en cas de litige, d'apporter la preuve qu'il a bien exécuté son obligation d'apport, ce que Mme [L] ne fait pas en l'espèce, et que c'est le propre comportement de cette dernière, qui indique avoir réglé le prêt sur ses deniers en dépit des sommes versées chaque mois par sa mère, qui est susceptible de revêtir une qualification pénale.

Elles soulignent enfin que la SCI n'a rien de fictif car il est légitime pour un entrepreneur individuel de mettre ses biens personnels à l'écart de son activité économique et qu'en tout état de cause, la nullité d'une société n'obéit pas au régime de droit commun des nullités et n'anéantit la société que pour l'avenir, de sorte que même à supposer que la nullité soit prononcée, il n'y aurait pas là motif à effacer le passé et à rejeter la demande en libération de son apport par l'appelante.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 23 septembre 2021.

A l'audience, la cour a soulevé d'office l'absence d'effet dévolutif compte tenu de l'appel total non conforme, l'appel étant irrégulier. Elle a autorisé les parties à adresser leurs observations sur ce point par note en délibéré sous quinzaine.

Par note transmise par voie électronique le 10 novembre 2021, l'appelante indique que la cour a soulevé d'office la "nullité " de la déclaration d'appel au motif que le formulaire RPVA ne comporte par les mentions des chefs d'appel et qu'elle entend répondre à cette " fin de non recevoir".

Elle soutient que la cour n'est pas compétente pour soulever d'office cette fin de non recevoir à l'audience de plaidoirie puisqu'en vertu des articles 789 et 907, seul le conseiller de la mise en état est compétent pour statuer sur les fin de non recevoir et que si l'article 914 alinéa 2 in fine prévoit que la cour peut d'office relever certaines fins de non recevoir, cette possibilité n'est pas reprise s'agissant de la nullité de la déclaration d'appel, la compétence de la cour en audience de plaidoirie privant en outre le justiciable du déféré.

Subsidiairement, elle indique que la déclaration d'appel précise bien qu'elle porte sur l'ensemble des chefs de jugement puisqu'il y est mentionné "appel total" et qu'il a été constaté à l'audience que la déclaration d'appel renseignée en RPVA se voit rattachée une annexe détaillant les chefs de jugement dont appel, qui sont tous les chefs de jugement. Elle rappelle que dans la circulaire de la chancellerie de 4 août 2017, il est indiqué que dans la mesure où le RPVA ne permet l'envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d'appel une pièce jointe la complétant afin de lister l'ensemble des points critiqués du jugement et qui, établie sous forme de copie numérique fera ainsi corps avec la déclaration d'appel. Elle ajoute que l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique reconnaît l'existence de l'annexe.

Elle fait encore valoir que dans le logiciel RPVA, c'est la terminologie "appel total" qui est préremplie dans la fenêtre "objet/portée de l'appel" par le logiciel lorsqu'est choisie l'option "appel total" dans la rubrique "type d'appel", de sorte que l'outil informatique qui créé automatiquement la déclaration d'appel n'est pas adapté aux dispositions du code de procédure civile et que cette déclaration d'appel créée automatiquement par l'outil RPVA ne remplit pas les conditions des textes sans le complément d'une annexe.

Elle indique enfin que selon la jurisprudence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit d'accès au litige peut se trouver atteint par l'existence de conditions de recevabilité de recours qui ne présentent pas une cohérence et une clarté suffisantes et que l'interprétation des textes qui consisterait à considérer selon que les chefs de jugement critiqués comportent plus de 4080 caractères du RPVA ou selon que la déclaration d'appel se réfère expressément à une annexe pour apprécier la recevabilité de celle-ci ne présente pas une cohérence et une clarté suffisante au sens de la jurisprudence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Les intimées n'ont transmis aucune observation dans le délai imparti.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret no 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel n'aurait pas été sollicitée par l'intimé, de sorte que la cour n'est saisie d'aucune demande (v. par ex. 2e Civ., 30 janvier 2020, no 18-22.528 ; 2 juillet 2020 no 19-16954 ; no 30 septembre 2021 no 20-10898).

Par ailleurs, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond conformément à l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.

Ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit, sont dépourvues d'ambiguïté et concourent à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure. Elles ne portent donc pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d'accès au juge d'appel. (Cf pour exemple, Civ 2, 2 juillet 2020 no 19-16954).

La cour a relevé lors des débats, l'irrégularité de la déclaration d'appel du 29 juin 2020 au motif que la mention dans la déclaration d'appel "appel total" sans aucune précision des chefs critiqués du jugement n'était pas conforme et a par suite soulevé l'absence d'effet dévolutif de cette déclaration d'appel.

Elle n'en a toutefois aucunement déduit la nullité de la déclaration d'appel, qu'elle n'a pas soulevée et il convient de rappeler que le non respect des dispositions de l'article 901-4o du code de procédure civile qui exigent la mention des chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, peut, indépendamment de la sanction résultant de la nullité pour vice de forme de la déclaration d'appel, conduire la cour à apprécier l'étendue de la dévolution du litige et considérer le cas échéant qu'elle n'est saisie d'aucun appel.

La cour n'a pas non plus soulevé l'irrecevabilité de l'appel, ni aucune autre fin de non recevoir, étant observé qu'il ne résulte de l'article 562 du code de procédure civile aucune fin de non-recevoir (v. par ex. les avis de la Cour de cassation du 20 décembre 2017 no 17-70.034, no 17-70.036 et no 17-70.035).

Elle a uniquement soulevé l'absence d'effet dévolutif compte tenu de l'irrégularité de la déclaration d'appel et ce, sans excéder son office puisqu'il lui appartient de vérifier de quoi elle est, ou non, saisie.

Par ailleurs, c'est à tort que l'appelante indique dans sa note en délibéré que la mention d'un "appel total" défère à la cour la connaissance de tous les chefs de jugement, puisqu'ainsi qu'il a été dit, aux termes mêmes de l'article 562 alinéa 1 du code de procédure civile, et sous réserve de l'exception prévue par l'alinéa 2, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La mention "appel total" ne peut donc dévoluer à la cour les chefs du jugement que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Ces exceptions prévues par l'article 562 précité expliquent que cette terminologie "appel total" subsiste dans le logiciel RPVA, puisque l'appel est effectivement "total", la dévolution opérant pour le tout, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Il ne peut donc s'en déduire que l'outil informatique ne serait pas adapté aux dispositions du code de procédure civile et que par suite une annexe serait systématiquement nécessaire. L'appelante indique d'ailleurs elle-même clairement dans sa note en délibéré, qu'il est tout à fait possible d'inscrire les chefs du jugement expressément critiqués après avoir effacé "appel total".

Au cas présent, la déclaration d'appel du 29 juin 2020 correspondant au fichier récapitulatif reprenant les données du message de l'appelante au format XML mentionne seulement «appel total» sans aucune autre précision sur les chefs de dispositif critiqués du jugement ni référence à un document annexé. Cette déclaration d'appel ne mentionne pas que l'appel tend à l'annulation du jugement et l'appelante ne prétend pas que l'objet du litige serait indivisible.

Ainsi qu'il a été dit lors des débats, il ressort de l'historique des messages entrants du réseau privé virtuel des avocats que Mme [L] a joint à sa déclaration d'appel du 29 juin 2020, en même temps que le jugement entrepris et le justificatif de paiement du timbre, un document intitulé «déclaration d'appel».

Comme l'indique l'appelante, il a été précisé dans l'annexe 1 de la circulaire de présentation des dispositions du décret no2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, datée du 4 août 2017, que "dans la mesure où le RPVA ne permet l'envoi que de 4080 caractères, l'appelant peut joindre une pièce lui permettant de compléter la déclaration d'appel, afin de lister l'ensemble des points critiqués du jugement".

Il est également exact que la notion d'annexe de la déclaration d'appel existe désormais en procédure civile puisque l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel énonce en son article 8 : "le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui, tient lieu de déclaration d'appel".

Néanmoins, en l'espèce, il ne ressort pas du document transmis concommitamment à la déclaration d'appel et également intitulé "déclaration d'appel", ni d'aucun autre élément, que ce document viendrait compléter la déclaration d'appel mentionnant "appel total" et ferait corps avec elle. Il n'est fait aucune référence à ce document, par renvoi à une pièce jointe ou annexée par exemple, dans la déclaration d'appel procédant du message de données susvisé, alors que la déclaration d'appel est un acte unique.

Par suite, la solution retenue par la cour de céans dans son arrêt du 10 juin 2021 produit par l'appelante à l'appui de sa note en délibéré, qui est intervenu dans une espèce différente dans laquelle la déclaration d'appel ne mentionnait pas "appel total" mais : "Objet/portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués tels que visés dans la déclaration d'appel annexée qui fait corps avec la présente" ne peut être transposée au cas établi.

Il n'est pas établi qu'en l'espèce il ressortirait du "message de données relatif à la déclaration d'appel" au sens de l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 précité, l'existence d'une "pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui".

En d'autres termes, les insuffisances de la déclaration d'appel ne peuvent être suppléées par une déclaration d'appel établie sous forme de fichier numérique joint au message de données relatif à la déclaration d'appel alors qu'il ne ressort d'aucune mention de ce message et donc de la déclaration d'appel, que ce fichier numérique constitue une annexe de ce dernier et fait corps avec lui.

Le fait de ne pas prendre en compte le document joint si le message de données relatif à la déclaration d'appel n'y fait pas référence est suffisamment cohérent et clair et ne porte pas atteinte à la substance du droit d'accès au juge d'appel.

Il ne peut donc être fait application ici de l'article 8 du décret du 20 mai 2020.

Ce document établi sous forme de fichier numérique ne constitue pas non plus une nouvelle déclaration d'appel régularisant la précédente.

En conséquence, il doit être retenu que la déclaration d'appel visant un "appel total" n'a dévolu à la cour aucun chef du jugement critiqué, qu'elle n'a pas été rectifiée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant et que par suite l'effet dévolutif n'a pas opéré par l'effet de la déclaration d'appel de Mme [L], qui n'a saisi la cour d'aucune demande.

Mme [L], qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance d'appel et devra régler à la SCI Marie [N] et à Mme [B] [N] prises ensemble la somme de 1500€ au titre de sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Constate l'absence d'effet dévolutif attaché à la déclaration d'appel du 29 juin 2020 ;

Dit en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur les dispositions du jugement entrepris, dont aucune n'a été déférée à la cour,

Condamne Mme [E] [N] épouse [L] à payer à la SCI Marie [N] et à Mme [B] [N] prises ensemble la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [E] [N] épouse [L] aux dépens.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : C1
Numéro d'arrêt : 20/011751
Date de la décision : 13/01/2022
Sens de l'arrêt : Autres décisions constatant le dessaisissement en mettant fin à l'instance et à l'action

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2022-01-13;20.011751 ?
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